Nous avons eu l'honneur d'interviewer Jane Birkin à l'occasion de la sortie de son album Oh ! pardon… tu dormais, et du disque The Best of Jane Birkin revenant sur l'ensemble de ses succès musicaux. Paroles d'une artiste à la carrière déjà immense, mais qui ne cessera jamais d'embellir la langue et la chanson françaises.
Après avoir vu la pièce de théâtre Oh ! pardon... tu dormais écrite en 1992 par Jane Birkin, Étienne Daho a tout de suite su qu'il voulait en faire un disque. Il a fallu attendre vingt ans pour enfin trouver le bon moment. Après la réalisation de l'album Birkin/ Gainsbourg : le symphonique sorti en 2017, il était temps pour les deux artistes de se retrouver en studio.
Beaucoup de titres sont tirés de l'adaptation musicale du texte de théâtre Oh ! pardon... tu dormais. Des chansons écrites par Jane durant la période douloureuse du deuil de sa fille Kate, mais aussi des textes issus de son journal intime, figurent également sur le disque qui sortira le 11 décembre. "Ce qui était très touchant pour moi était de travailler avec un homme, Daho, qui croyait en moi comme écrivain, qui respectait tellement ce que j'avais écrit".
Votre dernier disque, Enfants d'hiver, était votre premier album avec vos propres paroles et Oh ! pardon... tu dormais est le second. Où trouvez-vous votre inspiration ?
"Dans les deux cas, c'était dans ce qu'il me manquait le plus".
D'après l'artiste, Enfants d'hiver évoquait la nostalgie de l'enfance. De son côté, Oh ! pardon… tu dormais explore, raconte et se plonge, avec beaucoup de poésie toujours, dans la nature des comportements des hommes et des femmes ensemble.
Mais il y a toujours un soupçon de nostalgie dans ce deuxième album écrit par Birkin et Daho, "nostalgie des coups de foudre qui n'existent plus, des amertumes, des jalousies, des passions et des déceptions..." Ce sont des thèmes qui semblent encore très actuels à la chanteuse britannique.
Est-ce important pour vous de chanter vos propres paroles, alors que la moitié de votre discographie a été composée par Serge Gainsbourg ?
"D'une certaine manière, je chantais lui, j'étais lui, je défendais son caractère et ses blessures. Dans ce disque-là, je suis moi."
Jane Birkin explique que, plutôt qu'une nécessité, c'était un défi d'écrire ses propres chansons. Il ne s'agit en aucun cas de rivaliser avec la poésie de Serge Gainsbourg, mais plutôt d'arriver à toucher le plus grand nombre de personnes avec les paroles de l'album inspirées de pensées si personnelles. "On peut dire que ses textes [de Serge Gainsbourg] appartiennent aux régions d'Apollinaire. Quant à moi, j'exprime des sentiments, sans essayer d'avoir le talent d'un poète."
Quand vous repensez à votre immense carrière, quel est le moment qui a été le plus fort ? Celui qui vous a le plus marquée ?
"L'enregistrement de Je t'aime moi non plus. C'était extraordinairement excitant et culotté à faire. J'étais passionnée par Serge, et enregistrer cette chanson à Marble Arch.…tout était sublime pour moi. On savait que c'était dangereux, c'était un drôle de début quand même."
Quelles sont les plus belles chansons que Serge Gainsbourg vous ait écrites ? Celle qui vous touche le plus, personnellement et pourquoi ? Une anecdote ?
Jane Birkin répond tout d'abord Les dessous chics et Fuir le bonheur. Elle ajoute toutefois qu'Une chose entre autres, fait également partie de ses favorites, notamment pour les paroles magnifiques qu'elle me cite sans aucune hésitation à l'appareil :
"Une chose entre autres que tu ne sais pas
Tu as eu plus qu'un autre
L'meilleur de moi, est-ce ta faute?
Peut-être pas
Les parcours sans faute n'existent pas
J'en ai vu d'autres
T'inquiète pour moi
J'me démerde avec ce que je n'ai pas
J'suis passé a autre chose
Tu crois que j'allais revenir sur tes pas
Les miens, les nôtres, mais ça va pas, dans ta tête, tu te prends pour quoi"
L'artiste se rappelle des moments de partage avec le public quand elle interprétait Une chose entre autres pendant la tournée du Symphonique. "Le jouer devant les gens et les voir pleurer, était bouleversant, vraiment. Dans Le symphonique c'était probablement la chanson qui me touchait le plus, pour le public également."
Vous expliquez dans une interview qu'à l'époque du Bataclan [album Jane Birkin au Bataclan sorti en 1987] vous vous êtes coupées les cheveux, vous vous êtes habillées comme un garçon, vous ne mettiez plus de maquillage pour que les gens n'entendent que la musique de Serge, à quel point les chansons de Serge Gainsbourg ont-elles façonné votre personnage et votre style ?
"Au Bataclan je chantais sans maquillage, je portais des pantalons de garçons, des tennis, une chemise d'homme et un marcel. Ce style a lancé une mode curieusement, alors que ce n'était pas fait pour ça du tout. Le but était que le public écoute seulement les mots de Serge, et la beauté de sa musique."
"Serge désapprouvait et me disait 'tu vas faire un effort quand même, tu vas lécher tes lèvres, tu vas gonfler tes cheveux'. Il ne pensait pas que c'était une bonne idée, mais en même temps, il est venu avec une paire de ciseaux à ongles et il est venu me couper les cheveux. Je venais juste de jouer au théâtre dans La fausse suivante avec Chéreau, donc j'avais une certaine confiance que je n'avais pas avant. C'était une deuxième vie le Bataclan."
"J'étais assez gonflée de chanter Avec le temps de Léo Ferré. Cela a beaucoup déplu à Serge mais je voulais chanter une chanson qui n'était pas de lui. Il m'a dit 'je t'ai écrit des choses tellement belles, pourquoi il faut que tu chantes les chansons de quelqu'un d'autre ?'"
"Il a quand même accepté que je chante une autre chanson qui n'était pas de lui, As time goes by de Dooley Wilson. Je lui ai demandé 'alors, j'ai le droit de chanter des chansons d'autres auteurs, seulement s'ils sont américains ou morts ?', et il m'a répondu 'oui c'est ça !'."
Comment pouvez-vous expliquer que Serge Gainsbourg vous ait consacré son écriture et son talent de compositeur pendant tant d'années ? Même après votre rupture, il a continué à vous écrire des chansons. Vous considérez-vous comme sa muse ?
"Je ne sais pas, il faut lui demander. Il faudrait un psychiatre pour comprendre pourquoi. Au début, c'était sûrement parce que j'étais dans sa vie, et après, c'était peut-être une manière de me garder dans sa vie. Personnellement, je n'ai jamais vu un compositeur écrire des chansons jusqu'à sa propre mort à la personne qui l'a quitté, et dont les thématiques sont les blessures que cette personne lui a infligées."
"Quand j'ai reçu le prix Charles Cros pour Baby Alone in Babylone [en 1984], j'étais fière que de cette séparation soit sortie quelque chose d'aussi extraordinaire."
À quel point votre rencontre avec Serge Gainsbourg a-t-elle été déterminante dans votre carrière musicale ?
Jane Birkin nous explique que Serge Gainsbourg a réussi à déceler quelque chose en elle, que son ex-mari, John Barry, pourtant compositeur "le plus célèbre dans le monde entier, bien plus que Serge" rappelle-t-elle, n'a pas su trouver.
Jane Birkin insiste également sur le rôle du public français. "Il m'a donné un courage que je n'avais pas en Angleterre. Trouver ce pays étranger, la France, et être embrassée par son public, m'a donné des ailes."
Le disque The Best of Jane Birkin est sorti le 16 octobre 2020. Comment ce disque est-il né ?
"J'ai signé de nouveau avec Universal, donc comme je suis revenue à la maison-mère en quelque sorte, c'est assez logique que le label ressorte tous les anciens titres. J'en suis très honorée."
Comment avez-vous choisi les chansons présentes sur ce disque best of ? Cela a-t-il été compliqué de faire un choix ? Les avez-vous choisies seules ?
La chanteuse explique que le choix n'a pas été facile car il a fallu accepter de laisser de la place à des morceaux populaires, qui ont davantage plu au public plutôt qu'à elle. Sélectionner seulement quelques chansons dans chacun des douze albums sortis au long de sa carrière n'a pas été simple non plus.
"J'ai été extraordinairement têtue pour que certaines chansons soient présentes dans l'album, et je me suis pliée aux choix des maisons de disque qui estimaient que certains morceaux étaient importants pour ma carrière. Lolita Go Home, par exemple, les gens s'en souviennent. Ils ne se souviennent peut-être pas Des Ils Et Des Elles, alors que moi, j'aime cette chanson."
L'album Oh ! pardon… tu dormais sort le 11 décembre 2020 dans les bacs. En ces temps compliqués où la réalité des chiffres et des graphiques angoissants a envahi notre quotidien, "prenez-soin de vous", comme me l'a gentiment conseillé Jane Birkin avant de raccrocher, en vous laissant bercer par la poésie et les douces notes de Jane Birkin et d'Étienne Daho.
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