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En live à Hyde Park, les Stones n’ont pas pris une ride

Scène BTS Hyde Park Sunset - Jean ReversatScène BTS Hyde Park Sunset - Jean Reversat
Rolling Stones au BTS Hyde Park - Jean Reversat
Écrit par Jean Reversat
Publié le 12 juillet 2022, mis à jour le 13 juillet 2022

Le groupe souffle cette année ses soixante bougies. De retour à la maison, les Stones soulèvent Londres pour la 203ème fois. Et ils sont toujours aussi bons.

 

« Tu vas voir les Stones », me lance-t-on vendredi matin. Deux jours auparavant, je pensais simplement passer un dimanche soir comme les autres : blues ambiant et abus de consommation ‘netflixienne’. J’ai pourtant eu la chance d’assister à une partie du Sixty Tour, la tournée des 60 ans de ce groupe mythique. Ma réaction : de l’ébahissement, mixé à une profonde réflexion pour rassembler l’ensemble des connaissances que je possédais sur la musique du groupe. En quelques mots, Sympathy for the Devil, (I Can’t Get No) Satisfaction et Paint It, Black, qui trainent respectivement dans une playlist Spotify. Soit. Mais les Stones, c’est les Stones.

 

Et on ne déconne pas avec les Stones.

 

Ce fameux groupe qui a marqué plusieurs générations et plus largement l’histoire de la musique. Pour trente albums studios produits, ils en ont vendu 240 millions, ce qui est le quatrième chiffre le plus important dans le monde, selon OfficialChart.com. Les faiseurs de rêve sont Michael (Mick) Jagger à la voix, Keith Richards (Keef) et Ronnie Wood à la guitare, ainsi que le batteur Charlie Watts (décédé l’an dernier). D’autres membres sont passés par là, notamment aux débuts du groupe, en 1962 avec Brian Jones, Ian Stewart, Mick Taylor et Bill Wyman.

 

Hyde Park, the place to be

Les statistiques, si impressionnantes soient elles, sont une chose, mais qu’en est-il de la réalité ? Je me rends à Hyde Park, côté est. Les Stones ont prévu de jouer à 20h, je prends donc de la marge – disons trois heures. Mon anticipation est loupée car une foule immense est déjà aux portes. Je profite du ‘rush’ vers les stands à bières, pour m’avancer le plus possible vers la scène. Comme dans la plupart des grands festivals, elle ne manque pas d’excentricité : un grand chêne – fictif – borde la structure, couverte d’écrans géants. 65.000 personnes sont attendues ce soir.

 

L’artiste britannique, Sam Fender, ouvre le bal. Il est plutôt bon. Mes reproductions de ses refrains, moins. Je ne connaissais pas son répertoire Indie, mais Seventeen Going Under, son tube de l’année passée, séduit par sa sincérité qui explique comment Sam aidait sa mère dans les galères financières familiales.

 

Je profite de la pause pour engloutir une pizza, ce qui n’est pas très beau à voir. Évidemment, Anna et son petit ami Carlos n’en loupent pas une miette. Vous aussi vous connaissez bien les Rolling Stones ? « J’y baigne depuis que je suis enfant. En fait, toutes les générations dans ma famille les ont connus, différemment », répond amusée Anna, une pure londonienne. Carlos, d’origine espagnole, renchérit « Mick va avoir 80 ans et pourtant il continue de rassembler tous ces gens. Il m’épate ». 

 

Charlie Watts, aux sources des Rolling Stones

Les images de Charlie Watts, sur les grands écrans, brisent l’interlude. L’iconique batteur du groupe, décédé en août dernier, apparaît souriant. Le 6 juillet 1969, les Stones jouaient aussi à Hyde Park, deux jours après le décès de Brian Jones, l’un des membres fondateurs du groupe. Pile 53 ans nous sépare de ce malheureux accident, mais une fois de plus, Hyde Park semble être le lieu propice au deuil des membres.

 

Jagger lance, « Nous avons joué avec Charlie pendant 60 ans et il nous manque énormément, alors nous lui dédions ce spectacle ». C’est peu dire, Mick, car Charlie fut une infusion aromatisée au jazz et au groove pour les Rolling Stones. Cette patte de créativité s’accompagnait d’une capacité hors norme de s’adapter aux contretemps exigés par la guitare de Richards. Ce dernier désigna Charlie de « salles des machines » du groupe.

 

Alors le groupe lance Get Off of My Cloud, comme pour rappeler que les Rolling Stones sont encore de la partie et que personne ne les empêchera de jouer. Flanqué de ses fidèles Keith et Ronnie, Mick Jagger est survolté : mesdames et messieurs, le show commence.

 

Scène BTS Hyde Park avec le logo des Rolling Stones - Jean Reversat
Scène BTS Hyde Park avec le logo des Rolling Stones - Jean Reversat

Chanter pour ne pas avoir le blues

Pour ma part, je ne connaissais pas les premiers morceaux. Certains m’en collerait une pour cette ignorance. Rassurez-vous je n’en ai pas perdu une miette. L’oreille attentive, j’enregistre les refrains, de manière à ne pas effrayer ma voisine londonienne par une prononciation douteuse. Les bras en position garde, je me dandine en rythme. « Here it comes, Here it comes … » qu’est-ce que c’est bon ! 19th Nervous Breakdown me fait réaliser la puissance des Stones. Pour l’anecdote, Mick Jagger expliquait dans la revue Rolling Stone que le titre lui serait venu entre deux représentations live. « Je ne sais pas pour vous, les gars, mais je me sens prêt pour ma dix-neuvième dépression nerveuse », lâcha-t-il, ce que ses camarades s’empressèrent de retenir.

 

Quatrième bière pour Josh – le choriste de Sam Fender – qui me serre la main en me soufflant, « on est un peu pareils toi et moi, c’est cool ». Si l’on met de côté nos vingt ans d'écart, effectivement, nos hurlements s’accordent. Il faut dire qu’à l’approche du milieu du concert, les Stones nous ont immergé dans le show.

 

Mick entraîne le public avec lui, chanson après chanson, refrain par refrain sous un ‘sunset’ exceptionnel : Like a Rolling Stone finalement. Ce magnifique morceau est écrit, non pas par le groupe – ce dont j’étais convaincu – mais par Bob Dylan. Son titre ne fait d’ailleurs pas référence aux quatre trublions, mais à un proverbe : « a rolling stone gathers no moss » (« Une pierre qui roule n'amasse pas de mousse »), explicitant la non-compatibilité qu’a le vagabondage avec les liens et attaches, matérielles ou humaines.

 

En y réfléchissant, une sorte de connexion, moins explicite, existe derrière. Les Rolling Stones s’appelaient originellement les ‘Rollin Stones’, en référence à un titre de l’artiste Muddy Waters, Rollin' Stone. Like a Rolling Stone est un des premiers titres rock’n’roll de Bob Dylan et l’attitude attribuée aux rockstars suggère de vagabonder sans s’attacher. Comme quoi, c’est sur la signification de ce proverbe que s’est construit une partie de la musique et culture rock !

 

L’effet Keef

Comme le dit la chanson, « you can’t always get what you want » : Mick se retire pour faire une pause, après la sulfureuse combinaison You Got Me Rocking & Honky Tonk Women. Il en profite pour présenter l’ensemble de l’équipe accompagnant le groupe. Steve Jordan notamment, le batteur qui a rejoint les Stones pour la tournée des soixante ans. Il n’est pas un étranger pour les tireurs de langue. Keef (Keith Richards) a enregistré à ses côtés Crosseyed Heart en 2015, son troisième album sans les Rolling Stones, 25 ans après Main Offender. Le génie de la guitare reprend alors la main avec le batteur et Ronnie, pour interpréter deux titres des Rolling Stones : Happy et You Got the Silver.

 

La tension retombe autour de moi. Ces deux titres incarnent les racines de la musique des Stones : le blues et la country. Richards s’imprégnait d’acoustique d’outre-Atlantique dans sa jeunesse au moyen des « premières radios pirates », comme il le raconte dans le documentaire Under the Influence. À son image, je suis transporté près des ranchs, santiags aux pieds et les paupières refermées. Richards aborde un grand sourire : même si l’on ne peut pas tout avoir, lui fait ce qui lui plaît le plus.

 

Disco, drogue, Y.M.C.A : voilà Miss You

Nouvelle veste pour Jagger, qui en a enchaîné dix-neuf en une soirée. Même Adèle - de passage à Hyde Park le jour précédent - possédait une garde robe plus mince. Cette fois, la veste du chanteur est jaune poussin, à la Kill Bill. Les étendues sauvages américaines sont désormais bien lointaines car l’air déjanté de Miss You m’enflamme. Cette fois, le chanteur a toutes les manettes en main. Il a conçu cette chanson et une bonne partie de l’album, Some Girls, sans Richards, inculpé par la justice canadienne pour consommation de drogues en 78.

 

Bien que Ronnie et Jagger le démentent, il y a clairement un lien avec la vague disco des ‘seventies’. Le défunt Charlie se souvenait dans le documentaire, Top 2000, « (d’avoir été) à Munich et d'être revenu d'un club avec Mick (en) chantant une des chansons des Village People - "Y.M.C.A.", je crois - et Keith est devenu fou, mais ça sonnait bien sur la piste de danse. ». D’où Miss You.

Keef à la guitare au BST Hyde Park - Jean Reversat
Keef à la guitare au BST Hyde Park - Jean Reversat

 

Paint It, Black

L’écran géant brille de mille feux à travers la nuit tombée sur Hyde Park. Paint It, Black, est lancé, au même titre qu’une femme de la même génération que les Stones. Désormais devant moi, cette ancienne professeure londonienne regorge tout autant d’énergie que Jagger. Elle m’expliquera – en français – que c’est la quatrième fois qu’elle les voit en concert, et que, « même si au bon vieux temps les choses étaient différentes, le show est grandiose ».

 

Grandiose, comme la performance de Ronnie avec son sitar. Instrument exotique puisqu’il provient d’Inde, mais tout à fait central dans le morceau Paint it, Black. C’est Brian Jones qui avait eu cette idée en 1966, après avoir appris les bases de cet instrument auprès d’un disciple du célèbre compositeur, Ravi Shankar. Il s’était aussi inspiré du guitariste des Beatles, George Harrison, d’après le tube Norwegian Wood (This Bird Has Flown), un an auparavant.

 

Puis, le son des maracas résonne, Richards joue les premiers accords et le drapeau Ukrainien s’affiche sur les écrans géants. Beaucoup l'attendaient ; Gimme Shelter est lancé. Un morceau collant parfaitement aux scènes de dévastation causées par les bombardements russes qui défilent sur la scène. Il délivre de fait un message pour la paix, avec son refrain « war, children … is just a shot away ».

 

Jagger et la chanteuse Sasha Allen le chantent en duo, sur l’extension d’estrade au-dessus du public. Frissons. La jeune accompagnatrice de Mick porte sa voix à des octaves impressionnantes, convulsant énergétiquement face à la pop-star, qu’elle ramènera, main dans la main, auprès de son ami de toujours, Keith Richards. Elle, ayant dû céder sa place la semaine précédente à cause de Covid-19, était plus vivante que jamais. L’air de dire : pas de problème, les Stones, nous continuerons à porter votre musique.

 

Soixante ans plus tard, les Stones ont toujours le diable au corps

Subitement, extinction des feux.

 

Contrairement aux Eagles, en live au BTS la semaine dernière, les Rolling Stones décident d’éteindre toutes les lumières pour feinter l’oubli des tubes les plus populaires ; Sympathy for the Devil et (I Can’t Get No) Satisfaction. Si Satisfaction est crucial pour l’envoi d’une programmation des concerts des Stones, placer Sympathy for The Devil à ses côtés est un fait rare dans leurs tournées. Rien que dans l’actuelle tournée Sixty, seuls les passages à Hyde Park et à la Johan Cruijff ArenA d’Amsterdam (7 juillet) ont eu droit à cet aménagement. Habituellement, Gimme Shelter ou Jumpin’ Jack Flash sont préférés pour accompagner la conclusion.

 

Et c’est un choix judicieux. Après un climax essoufflant, l’air de samba propre à Sympathy for the Devil s’introduit, à pas feutrés, dans l’obscurité du parc. Les écrans géants symbolisent ce retour par des scintillements dorés, s’apparentant aux étincelles de l’enfer, domaine du ‘devil’. Les paroles évoquent le point de vue de Satan face aux atrocités de l’histoire, comme les guerres de religions ou la Seconde Guerre mondiale. Une référence à l'occulte qui leur avait valu des soupçons d’implication dans des cultes sataniques !

 

Les vices du malin vous entraînent alors vers la débauche incarnée par (I Can’t Get No) Satisfaction. La chanson conclut en beauté le spectacle, accompagné du ronflement de la foule en extase. En 1995, Jagger dévoilait dans une interview que cette chanson « (est celle) qui a vraiment fait les Rolling Stones, qui nous a fait passer d'un groupe ordinaire à un groupe énorme et monstrueux […] (avec) un air de signature, plutôt qu'un grand tableau classique ». Par contre, ne répétez pas « I can’t get no satisfaction » devant un anglophone, puisque ce serait commettre une erreur grammaticale (due à la double négation).

 

 

Jagger, Richards, Wood (et Watts) sont décidément hors du temps, à l’image de leur morceau Out of Time, joué ce soir alors qu’il n’a été interprété qu'une dizaine de fois dans l’histoire des concerts du groupe. Chez les Rolling Stones, le diable se cache dans les détails.