Le Coronavirus ranime les débats philosophiques. La population doit se confronter au dilemme entre priorités individuelles ou bien commun.
S’octroyer un bain de soleil dans le parc constitue en temps normal le plus innocent de nos petits plaisirs. Cela est devenu désormais répréhensible par les autorités. Les parcs devraient donc être fermés.
Le confinement n’est certainement être facile à vivre. Quand il fait grand soleil et chaud, nous sommes tous gagnés par ce besoin irrésistible de sortir, de sentir le soleil sur notre visage, de nous allonger sur la pelouse, ou de bouquiner assis contre un arbre. Ne serait-ce que pour fermer les yeux pendant quelques secondes et prétendre que la vie a repris son cours normal. Comment cela a-t-il pu devenir condamnable ?
Les libertaires les plus extrêmes ne sont pas d'accord. Ils mettent en avant que la liberté de tout à chacun demeure d'une importance telle, que la perdre serait pire que la mort en elle-même. La majorité d'entre nous n’adhère pas. Nous avons accepté la nécessité liée à notre éloignement social. Mais quand bien même, le confinement et les règles qui l’encadrent, ne nous interdisent pas de sortir de chez nous. Il existe en effet des exceptions. Pourquoi ne pourrais-je donc pas personnellement faire l'objet de l'une de ces exceptions ? Juste une fois pour me permettre d'apprécier un bon pique-nique en famille. Si le parc à côté de chez moi est vide, raison de plus pour m'accorder un bon bol d'air frais. Nous nous serions aérés l’esprit sans avoir causé de tort à autrui, étant donné que tout le monde est à la maison. Que peut-il y avoir de mal à cela ?
Tant les philosophes moralistes que les politiques n’ont eu de cesse de débattre ardemment la question de la préconisation des choix individuels ou du bien commun, des règles associées et de leurs exceptions. Ils en sont arrivés à de nombreuses conclusions plausibles.
Il serait pleinement rationnel, selon les théoriciens du jeu, de procurer certains passe-droits auprès d'exception (ma famille et moi par exemple), sans que les autres ne puissent eux-mêmes en bénéficier. Certains philosophes moralistes ont également présenté cela comme quelque chose de moralement légitime et juste. D’après les utilitaristes, les règles sont instaurées dans le but d’être enfreintes, car cela rend les gens encore plus heureux. John Stuart Mill décrit nos obligations morales telles la source de ce qui permet de générer les bonheurs les plus intenses. Dans le contexte lié au coronavirus, cela signifie rester éloignés les uns des autres.
Si le fait de faire un pique-nique ou de prendre un bain de soleil dans le parc, alors que dans le même temps le reste de la population reste bien sagement à la maison, participait à vous rendre plus heureux, il serait alors juste moralement que de l'effectuer. Le mécontentement légitime des personnes restées confinées ne permettrait pas d'atteindre le bonheur total (bien que ce genre de frustration puisse aussi apporter son lot de satisfactions). Il y aurait aussi le risque d'inspirer les autres à en faire de même. Les parcs pourraient redevenir bondés. Ce qui serait dangereux pour l'ensemble d'entre nous. Conclusion, je me dois d’être discret. Si je parviens à l’être, pas de nuisance à autrui, donc pas d’erreurs commises.
Tout ceci pourrait-il concrètement être réel ?
Emmanuel Kant pensait que la question fondamentale liée à la morale devait se poser différemment : que se passerait-il si tout le monde le faisait ? Kant pensait qu'il était juste d'agir dans le sens de ce qui pourrait être quelque chose d'universel. Nous savons que si tout le monde se rend au parc, il ne serait pas possible de s'y rendre en toute sécurité. En agissant de la sorte, j'agis d'une façon qui ne pourrait être reproduite par les autres. Ce serait s’appuyer sur la capacité d'obéissance d’autrui, afin d'en tirer profit personnellement. Je me considère tel une exception, tel un cas à part. Cela serait irrespectueux au possible envers les autres, il serait question d'une injustice.
Si nous admettons que la morale n'est pas liée uniquement aux nuisances ou bienfaits, mais aussi aux principes de justice et de respect, nous pouvons comprendre le pourquoi du comment pique-niquer dans le parc ne serait pas approprié. Mais si nous commençons à raisonner de la sorte, il nous faut commencer à voir bien plus loin. Karl Marx souligne que les décisions que nous prenons à titre individuel sont issues d'un passif que nous n'avons pas choisi. Le confinement est vécu de façon singulièrement différente par tout un chacun. Et ce, en fonction de nos personnalités, de notre contexte familial ou de nos conditions de vie. Il est évidemment plus confortable que de vivre son confinement dans une grande propriété avec jardin plutôt que dans un appartement au sommet d'une tour sans aucun espace extérieur.
Le confinement a renforcé les inégalités sociales
Il est désormais encore moins pardonnable pour les plus privilégiés d'entre nous d’enfreindre la loi. Le fait de prôner le respect des recommandations officielles est une chose, mais le fait de blâmer les potentiels écarts de conduite sans même prendre connaissance des conditions d'isolement de la personne concernée ou de ses motivations en est une autre. Évidemment que ces personnes fautives devraient être capables de se plier aux mesures de crise. Mais soyons compréhensifs, car la plupart d'entre nous fait vraiment de son mieux.
Il est un signe fort de la crise que la question de ces simples bains de soleil tolérés ou pas, fasse désormais partie des choses parmi celles qui comptent le plus dans nos existences. Le bonheur pour tous, même si ce bonheur dépend du niveau d’obéissance des autres, comme peuvent le suggérer les utilitaristes. Ou bien le bonheur issu des principes de respect et de justice si chers à Kant. Ou encore le bonheur issu de notre propre responsabilité individuelle sur laquelle Marx insiste tant.
Finalement, nous pouvons évoquer un autre principe cher à Marx (ainsi qu’à Rousseau ou Hegel) : la valeur de la solidarité. Les disparités sont très importantes, car un petit nombre d’entre nous porte l’entière responsabilité pour l’ensemble de notre population. Les médecins, les infirmières, ainsi que les autres travailleurs essentiels risquent continuellement leurs vies afin de lutter contre l’épidémie. Pour le reste d’entre nous, il n’y a que cette maigre contribution que nous pouvons apporter à l’édifice global. Il est donc facile de vite se sentir inutile et submergé.
Pour autant, en restant à la maison, nous nous portons concrètement solidaires de ceux qui sont en train de faire plus. Nous faisons notre part du travail.