Qui eût cru que des études littéraires suivies d’un Master en finance conduiraient Séverine Itany à s’installer à Londres et surtout à fonder un site de vente de produits français en ligne au Royaume-Uni ? Voici toute l’histoire de cette « serial entrepreneuse ».
Séverine, comment peut-on vous présenter aujourd’hui ?
Je suis française, mère de deux enfants avec un rythme de travail extrêmement élevé. J’aime les défis. En effet, après plus d’une dizaine d’années dans le secteur de la finance, la banquière internationale a laissé la place à l’entrepreneuse. Depuis deux ans, je suis la directrice de Mon Panier Latin.
Quel est votre parcours ?
Née à Paris, j’ai passé mon enfance sous les tropiques, en Guadeloupe, avant de revenir en métropole où j’ai poursuivi ma scolarité et achevé mes études supérieures en finances à l’Institut Supérieur du Commerce de Paris (ISC Paris).
J’ai découvert Londres à l’occasion d’un voyage scolaire lorsque j’étais adolescente. J’ai tout de suite adhéré à ce lieu d'inclusion - où les gens peuvent être librement ce qu'ils veulent être, mais aussi où les différences sont acceptées et embrassées. Je suis alors régulièrement revenue dans la capitale britannique jusqu’à mon installation définitive, en 2009.
J’ai construit ma carrière en finance internationale pendant près de quinze ans dans les métiers de la gestion d’actifs, mais aussi de la finance d’entreprise.
A l’aube de la pandémie j’ai décidé de changer de vie, de réaliser ce projet qui me correspond totalement en lançant Mon Panier Latin.
Comment a débuté l’aventure de votre supermarché en ligne Mon Panier Latin ?
A l’image de beaucoup de compatriotes vivant à l’étranger, je ne trouvais pas mes produits français préférés dans la capitale. Le début de la pandémie a été le déclic pour ce projet que je murissais depuis longtemps : apporter nos produits chouchous de France au Royaume-Uni tout en les rendant abordables.
Le confinement a-t-il été un accélérateur ?
Tout à fait. De nombreux Français et francophones n’ont pas pu se rendre dans l’hexagone pour les fêtes de fin d’année et nous voulions leur offrir un petit bout de France avec nos produits. J’ai alors embarqué quelques personnes dans l’aventure. Nous sommes vite devenus une petite équipe très motivée et nous avons rencontré une demande toujours plus élevée. Après plus d’une année d’exercice, je suis très fière de rencontrer des Français qui, lorsque je discute avec eux, connaissent, consomment et expriment un attachement à Mon Panier Latin.
Quand on parle de livraison de courses à domicile, difficile de ne pas penser à tout ce qui se cache derrière, entre lieu de stockage, outil informatique, flotte de véhicules… C’est un sacré pari !
Effectivement, c’est un challenge au quotidien pour veiller à la satisfaction de notre clientèle.
Pour ce faire, au niveau de la « supply chain », il s’agit de pouvoir maitriser le processus d’approvisionnement des produits à travers les achats et la relation avec nos fournisseurs pour trouver les meilleurs produits à des tarifs intéressants. Nous sommes constamment à la recherche de fournisseurs capables de nous offrir une continuité dans la disponibilité des produits.
Quant à la logistique, nous avons notre flotte de véhicules et faisons aussi appel à des partenaires pour l’acheminement de notre marchandise. Puis il nous faut aussi entreposer, mettre à jour notre plateforme et enfin procéder à la livraison de nos clients.
Lorsqu’on a la passion et la détermination pour un projet, il faut y croire et tout mettre en œuvre pour y arriver. Je pense en plus que c’est une noble intention que de vouloir participer à la diffusion de la gastronomie française au Royaume-Uni.
Le point fort de votre entreprise, c’est aussi de livrer dans tout le Royaume-Uni…
Mon Panier Latin c’est une boutique en ligne de produits français dont certains sont difficiles, voire impossibles à trouver ici. Nous mettons tout en œuvre afin que chacun puisse recevoir ses produits chez lui, au meilleur tarif. Nous essayons de réduire nos marges au maximum pour proposer les prix les plus attractifs. En fin de compte, nos clients font leurs courses comme s’ils étaient en France. Nous mettons tout en œuvre pour les livrer en deux à trois jours maximum, qu’ils habitent à Brighton, Bath ou Leeds. Ne pas se limiter à Londres était dès le départ une évidence et c’est un pari qui s’est avéré gagnant. En effet, près de la moitié de nos clients ne vivent actuellement pas dans la capitale britannique.
Nous avons bien d’autres points forts qui nous distinguent de beaucoup. L’un des plus importants est l’attention que nous portons à nos clients. En effet, ils sont au cœur de notre projet, qui est entièrement basé sur la satisfaction de leurs besoins et de leurs désirs. Nous ne sommes pas une grosse machine, mais une petite startup au service des expatriés. Nous voulons choyer nos clients et les amener à investir dans la marque en choisissant les produits que nous vendons.
La logistique semble revêtir une importance essentielle
Oui, c’est la clé de tout. La gestion opérationnelle et la logistique sont le nerf de la guerre pour notre entreprise. Cela revêt d’une très grande importance pour une structure comme la nôtre, dans la mesure où nous devons faire preuve de réactivité tout en devant anticiper les demandes de nos clients qui doivent être satisfaits rapidement.
Nos clients sont en effet tous en mesure de nous contacter pour nous demander un produit, n’importe lequel. S’il existe en France, nous allons le lui ramener, même s’il ne fait pas encore partie de notre gamme. Lorsque les suggestions se multiplient pour un même produit, nous le faisons alors entrer dans notre catalogue. C’est ce qu’on appelle un vrai « service plus » qui est reconnu par nos clients. Certains prennent d’ailleurs la peine de nous appeler, juste pour nous remercier. En dépit de toutes les difficultés, nous avons alors l’impression d’avoir accompli une partie de notre mission. Nous avons rendu nos compatriotes heureux.
Un client qui voudrait un lobe de foie gras cru pour Noël peut donc faire appel à vos services ?
Oui, bien sûr. Mais pas uniquement à Noël, toute l’année. Il est vrai que pendant les périodes de fêtes nous faisons le maximum pour satisfaire tout le monde donc nous invitons nos clients à passer commande le plus tôt possible afin d'éviter tous les désagréments ou ruptures de stock qui surviennent parfois chez les producteurs et fabricants.
De manière générale, nous savons livrer les best-sellers comme les produits rares ou de niche. Un jour, un client nous a demandé de la lessive Mir Black. Nous n’y avions pas encore pensé, mais depuis son référencement, c’est devenu un produit qui se vend très bien, à l’image des eaux minérales comme Hépar ou encore du fromage à raclette, plébiscité, même l’été. Pour parler chiffres, en 2020, nous avons commencé l’aventure Mon Panier Latin avec une gamme de 400 références. Aujourd’hui, nous proposons plus de 2 500 produits.
Vous offrez également un service d’abonnement à vos clients. En quoi cela consiste ?
Le client peut venir faire ses courses et décider de recevoir certains produits identiques tous les quinze jours ou tous les mois, à sa convenance et à date précise. Plus besoin alors de se poser de questions, les produits seront livrés chez lui sans qu’il n’ait besoin de passer une nouvelle commande. C’est automatique. Les clients qui choisissent de souscrire à cette offre ultra-pratique bénéficient de 10 % de réduction sur leurs achats, sans oublier une garantie de prix bloqués sur douze mois et un coût de livraison divisé par deux. En parallèle, nous proposons des paniers d’une valeur de 50, 75 et 100 pounds avec une offre de lancement à moins 20 % et la livraison à £1. Ce sont des box que le client remplit avec les produits de son choix. Avec ces innovations pensées pour nos clients, Mon Panier Latin entre dans une autre dimension.
En tant qu’entrepreneuse, vous devez certainement réaliser beaucoup de choses par vous-même ?
C’est le cas de le dire, oui. Que ce soit au niveau de l’opérationnel, du service client, du marketing, des ressources humaine, de la comptabilité, des relations commerciales ou encore de la logistique, j’ai déjà occupé tous les postes dans l’entreprise et j’ai pu étoffer mes compétences et connaissances tout en utilisant celles acquise en école de commerce ou durant ma carrière.
Les petites structures demandent de la polyvalence, surtout au début. Pour la petite anecdote, j’ai notamment été chauffeuse-livreuse. En fait, il n’y a rien de plus enrichissant que de partir livrer les clients. Cela m’a permis de me rapprocher de ma communauté, de comprendre ses besoins. Il n’y a finalement rien de mieux que le face à face pour analyser les attentes et enregistrer les remarques de ses clients.
Comment le Brexit impacte votre travail ?
Depuis le début cela fait partie du jeu et nous devons faire avec. Nous avons débuté notre activité après le Brexit, donc nous nous attendions à ce que les choses ne soient pas faciles, mais ce n’est clairement pas impossible. Néanmoins, nous devons faire face à un alourdissement des procédures administratives et douanières ou encore des coûts de transport de plus en plus élevés. Nous nous attendons aussi à ce que les choses se compliquent dans les mois qui viennent. Toutes les règles liées au Brexit ne sont pas encore complètement appliquées. Mais nous sommes obligés de nous adapter à la situation, comme nous le faisons actuellement avec l’inflation. Ce sont des aléas avec lesquels nous devons composer. Être entrepreneur demande de toute façon de la flexibilité, de l’agilité et une grande résilience.
Vous lancez une levée de fonds pour laquelle vous encouragez les clients à entrer dans le capital. C’est aussi un moyen de grandir davantage ?
Tout à fait. Depuis sa création il y a dix-huit mois, Mon Panier Latin a connu un bel essor avec déjà plus de 11 000 clients. Nous souhaitons pérenniser notre activité et inclure dans l’aventure certains de nos clients qui ont envie de rejoindre le projet. Il s’agit également d’accompagner notre développement sur le marché B2B et de nous permettre, dans un avenir proche, de disposer d’au moins un magasin physique dans le pays afin que le projet devienne encore plus concret. L’ouverture du capital nous est donc apparue comme une évidence. Nous invitons en ce moment nos clients à devenir actionnaires et acteurs de Mon Panier Latin, avec tout le potentiel que peut représenter une telle aventure.
Le « bien manger » cela compte pour vous. Pensez-vous avoir un rôle à jouer dans l’éducation culinaire ?
Effectivement. Nous avons un rôle à tenir. Nous devons nous engager et apporter notre contribution dans l’éducation culinaire de nos enfants. Ici, il ne s’agit absolument pas de remettre en cause la qualité des produits anglais. Notre seul souhait est de permettre aux Français d’acheter ce qu’ils préfèrent. Après, lorsqu’on ramène un petit bout de France à l’étranger, autant privilégier le goût et toute la culture qui va avec, dont le « bien manger ». Et cela commence avec nos enfants, à l’école. Un établissement français qui ne propose pas de la cuisine française crée, pour moi, une petite dissonance. En ce sens, nous avons commencé à travailler avec certains établissements français pour permettre à la future génération d’accéder à des produits de qualité.
Pour revenir à vos clients, ils sont autant Français qu’internationaux. Le produit ‘made in France’ n’est donc plus réservé qu’aux Français ?
Grâce à des fournisseurs variés, nous vendons des produits que les Français ou les amoureux de notre pays trouvent dans les supermarchés en hexagone. L’un d’entre eux n’est autre que Carrefour dont nous distribuons de nombreux produits. Nous associer avec cette marque était très important. Nous en profitons d’ailleurs pour lancer un appel ! Si l’une des grandes enseignes comme Carrefour, Auchan, Leclerc souhaite intégrer notre capital, elle sera évidemment la bienvenue. Elle nous permettrait de grandir plus vite, tout en lui ouvrant une porte sur le marché britannique. De la même façon, nous serions ravis de pouvoir travailler avec d’autres enseignes, à l’image de Picard, ce qui est tout à fait possible car nous livrons déjà des surgelés. Et pourquoi pas également avec des petits producteurs qui peuvent nous contacter afin de mettre en place un partenariat dans la durée.
La France ne vous manque pas trop Séverine ?
La France me manque ! J’ai parfois la mélancolie de nos paysages, de nos campagnes, de notre terroir et de tout ce qui fait la beauté de notre pays. Mais je suis très heureuse ici, je me sens chez moi à Londres. J’adore ma vie. Je suis très bien intégrée dans mon pays d’accueil et un retour en France n’est pas du tout à l’ordre du jour.