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“Ask For Angela” : une énième campagne sans effet réel sur la sécurité des femmes

Campagne Ask For AngelaCampagne Ask For Angela
Capture d'écran Youtube
Écrit par Lili Auriat
Publié le 16 novembre 2021, mis à jour le 16 novembre 2021

OPINION - Une enquête de Metronews a été réalisée concernant le programme « Ask For Angela » et, alors que de plus en plus de femmes se sentent en danger lorsqu’elles sortent le soir, l’enquête a démontré que ce programme, censé leur apporter un semblant de sécurité, ne fonctionnait pas.

 

« Ask For Angela », c’est une campagne d’affichage sur laquelle vous pouvez tomber dans les toilettes de certains bars et boîtes de nuit depuis 2016. Ce programme, en partenariat avec la Met Police - la police londonienne - a été relancé à la rentrée après de longs mois de pandémie où les établissements de nuit étaient peu actifs. Relancé oui, sur les réseaux sociaux, à coup de hashtag ou de story. Mais malheureusement, il semble que de jolies affiches, phénomènes issus de la bonne conscience internet, ne suffisent pas - quelle surprise - à assurer la sécurité des femmes dans la réalité.

 

En quoi consiste le programme “Ask For Angela” ?

Ce programme concerne tout le monde bien qu’il vise particulièrement les femmes. Sur les affiches, vous pourrez lire que, si vous vous sentez en insécurité ou que vous avez été agressé ou harcelé, vous pouvez vous rendre au bar et demander « Angela » afin de demander discrètement de l’aide sans avoir à le faire de façon directe. Le personnel est ainsi censé vous rassurer, vous mettre en sécurité, appeler la police ou bien un taxi, selon ce que vous préférez.

Ce programme est censé être mis en place depuis cet été dans 150 établissements de la capitale britannique. Une formation appelée “WAVE” a été mise en place par l’organisation Safer Business Network pour accompagner ce programme, mais celle-ci n’est pas obligatoire pour les établissements qui souhaitent rejoindre la campagne « Ask For Angela ». Autrement dit, si certains bars et clubs sont suffisamment qualifiés pour soutenir celles et ceux qui demandent « Angela », beaucoup trop n’accompagnent pas encore suffisamment leurs clients et surtout clientes vulnérables.

 

Une formule méconnue du personnel, faute de formation

Pourquoi cette formation n’est-elle pas obligatoire ? Parce que, bien que celle-ci soit gratuite, les établissements devraient payer leurs employés pour l’heure supplémentaire passée à être formés, mais aussi parce que les roulements de personnels sont récurrents dans les bars et les clubs, et que les formations devraient donc être suivies régulièrement. Plusieurs aspects que Safer Business Network considère comme de potentiels freins qui pourraient décourager les établissements à rejoindre le programme si jamais cette formation était rendue obligatoire.

Alors oui, l’initiative est louable. Oui, tous s’affichent partants tant qu’il ne s’agit que de publier son affiche sur les réseaux sociaux. Mais beaucoup moins d'établissements répondent présents lorsqu’il s’agit concrètement de prendre une journée pour expliquer à son personnel comment réagir et apporter le soutien nécessaire aux clients et clientes en cas d’agressions. Une récente enquête menée par MetroNews auprès de 800 travailleurs de l'économie nocturne a révélé que 56% d’entre eux avaient pourtant déjà rencontré des situations impliquant des clients vulnérables. Une démission face à l’action réelle plus que regrettable dans le contexte actuel où l’insécurité des femmes, qui sont susceptibles d’être tuées, violées ou droguées, dépasse le stade du simple mauvais pressentiment.

Quel est l’intérêt de cette campagne si elle se limite à des affiches dans les toilettes qui servent à se donner bonne conscience et une bonne image ? Pourquoi donner aux femmes l’illusion qu’elles pourront trouver de l’aide si elles en ont besoin alors qu’elles tomberont très probablement face à une personne non-formée qui ne connaîtra rien du programme et leur demandera “Who’s Angela ?” C’est l’expérience qu’a menée la journaliste Tanyel Mustafa pour MetroNews. Elle rapporte qu’on lui a répondu « Quoi ?», voire qu’on l’a laissée seule dans le bar le temps d’aller se renseigner sur ce programme auprès d’un manager, alors même que des affiches étaient bien accrochées dans les toilettes des femmes.

 

Ask For Angela, un « évènement d’internet qu’on ne retrouve pas dans la vraie vie » ?

Bien que le concept de la campagne « Ask for Angela » puisse venir sérieusement en aide à de nombreuses femmes, il est très imparfait. Il attend de la victime qu’elle fasse la démarche active d’aller demander de l’aide, ce qui est souvent compliqué dans des situations de danger. Quelqu’un qui fait l’objet de harcèlement ou d’une agression se sent souvent vulnérable, humilié, et déboussolé. « Ask For Angela » n’est donc pas la solution miracle surtout si, même après avoir trouvé la force d’aller demander de l’aide, aucun soutien n'est accordé à la victime par manque de connaissance ou de formation adéquate.

Dans son article, Tanyel Mustafa révèle d’ailleurs que les employés des établissements dans lesquels elle a fait l’expérience de « Ask For Angela » lui avaient confié que ce mot de passe était rarement, voire jamais, prononcé par les clients. Dans un sondage mené auprès de plus de 2 000 personnes par Catcalls Of London celles-ci ont expliqué, de manière anonyme, les raisons pour lesquelles elles n'avaient jamais utilisé « Ask For Angela ». Certains n’y font pas appel car ils ne sont « pas convaincus que le personnel du bar soit formé pour cela ou même sache ce que c'est », d’autres considèrent qu’il ne s’agit là que d’un « évènement d’internet qu’on ne retrouve pas dans la vraie vie », quand d’autres ont l’impression que ce programme ne leur est « pas destiné » en raison des affiches souvent placées uniquement dans les toilettes pour femmes.

 

Des mesures concrètes désespérément attendues par les femmes

Mais malgré le turnover régulier du personnel, et malgré les employeurs qui ne souhaitent pas effectuer de formation, il reste des choses que je ne m’explique pas et qui me font voir que la sécurité des femmes est encore loin d’être abordée comme une priorité.

Je ne m’explique pas que, sur tous les établissements de nuit de Londres, seuls 150 font partie de ce programme pourtant en place depuis cinq ans, qui n’impose rien de plus qu’une affiche. Je ne m’explique pas que, même sans formation, autant de personnes ne soient même pas au courant du code « Angela » et n’aient pas les clés pour réagir, allant jusqu’à laisser une personne vulnérable seule au milieu d’un bar où elle se sent en danger. Au travail, chez elles, dans la rue, dans les transports, les femmes ne sont en sécurité nulle part et les mesures qu’on leur propose sont vides de sens et aboutissent rarement à des mesures concrètes. Chaque nouvelle charte ou campagne de sensibilisation devrait s’accompagner de fonds et de formations, grands absents de ces mesures qui s'enchaînent et finissent par ressembler à de la poudre aux yeux. Numéros verts, applications balises, parcours éclairés la nuit, mots de passe aux bars, capuchons anti-drogues (payants) pour son verre au bar... Peut-être faudrait-il enfin cesser de mettre des pansements sur une fuite d’eau, et résoudre le problème à la racine ?

La Met Police a, de son côté, déclaré que son objectif était « que Ask For Angela opère dans tous les sites de la capitale ». Mais ils ont ajouté « qu’avec quelque 30 000 sites, il (leur) faudra du temps et des fonds pour atteindre ce niveau de couverture. » Du temps, depuis 2016 ils en ont eu, et de la patience les femmes, n’en n’ont plus.