Au cours des derniers mois, de nombreuses femmes ont rencontré des difficultés d’accès à l’avortement, et beaucoup se sont retrouvées contraintes de poursuivre des grossesses non-désirées jusqu’à leur terme. Notre rédaction est allée à la rencontre de Katherine O’Brien, membre du British Pregnancy Advisory Service (BPAS), pour revenir sur ce problème qui semble tout droit sorti des années 1950.
Le British Pregnancy Advisory Service est le premier service de soin d’avortement au Royaume-Uni. Créé il y a près de 50 ans, ce service accompagne des centaines de milliers de femmes à travers le pays dans leur traitement abortif, de simples conseils et renseignements à la fourniture de médicaments. Le BPAS a relevé une importante augmentation des demandes d’accès à l’avortement au cours des derniers mois, qui s’accompagne de difficultés pour beaucoup de femmes.
Comment la pandémie a-t-elle compliqué l’accès à l’avortement au Royaume-Uni ?
Un avortement, qu’il soit médicamenteux ou chirurgical, est une démarche qui nécessite systématiquement un rendez-vous médical au préalable, rendez-vous qui, jusqu’à récemment, s’effectuait uniquement en face à face. Mais au cours de la pandémie, « le mot d’ordre étant de rester chez soi pour sauver des vies, beaucoup de femmes étaient anxieuses de se rendre dans des cliniques. La majorité des femmes qui ont recours à l’avortement sont déjà mères et dans ce cas, elles avaient leurs enfants à la maison pendant tout le confinement, ce qui rend difficile leur venue à la clinique. » raconte Katherine O’Brien, co-directrice de campagne et de communication du BPAS. En 2020 et 2021, le NHS a ainsi relevé une baisse de 22% des contacts liés à la contraception et à l’avortement avec les services de santé sexuelle et reproductive, par rapport à l’année 2019. « Même avant la pandémie, l’accès à l’avortement pouvait être extrêmement difficile » ajoute notre interrogée, « certaines femmes ne peuvent pas prendre facilement de congés payés pour venir, d’autres vivent dans des zones reculées et d’autres encore sont surveillées chez elles soit par leurs parents lorsqu’elles sont très jeunes, soit par leur mari. Ces femmes-là se retrouvent à commander des médicaments abortifs illégaux en ligne qui peuvent être très dangereux pour leur santé. »
Entre mars 2021, date à laquelle la plupart des restrictions de confinement ont pris fin au Royaume-Uni, et septembre 2021, le BPAS a enregistré environ un tiers d’appels supplémentaires. Le besoin d'accès à l’avortement augmente donc, mais en raison de problèmes de personnel et du manque d'espace hospitalier pour les rendez-vous et les interventions chirurgicales, il n'est pas toujours possible d’y accéder. Un nombre croissant de femmes sont donc contraintes de poursuivre leur grossesse contre leur gré. Le BPAS a rapporté ce problème au gouvernement qui a tenté de réagir.
Un ajustement temporaire de la loi
Le Secrétariat d’État à la Santé a ainsi amendé la législation concernant les procédures d’avortement au cours de l’année. Katherine O’Brien explique que désormais « les femmes qui souhaitent avorter ont accès à des rendez-vous médicaux en ligne pour tous les cas de début de grossesses (soit en dessous de dix semaines), et peuvent avoir leurs médicaments abortifs livrés à domicile ». Ces mesures ont permis un taux d’avortement de 88 % à moins de 10 semaines de gestation en 2020, contre 82 % en 2019 et 77 % en 2010 selon le BPAS. Parmi ces avortements, 26 % sont mêmes pratiqués avant 6 semaines de gestation en 2020, contre seulement 15 % en 2019.
Ces méthodes ne rencontrent « aucun contre-argument médical » selon Katherine O’Brien. « La majorité des femmes peuvent très bien avorter seules. Les rendez-vous en clinique ne servent qu’à leur délivrer leurs médicaments après cela, la plupart du temps, elles rentrent chez elles pour les prendre. Si elles rencontrent des problèmes dans les 24 heures qui suivent, elles doivent bien sûr revenir à la clinique pour un rendez-vous de suivi, mais c’est tout. Les experts médicaux considèrent que ces rendez-vous à distance sont très efficaces et ne représentent aucun risque. ». Mais cette mesure reste une mesure temporaire qui devrait prendre fin d’ici mai 2022. « Ce qu’on demande, c’est que ce fonctionnement puisse devenir permanent, sinon le problème reprendra dès que l’ancienne législation sera remise en place » affirme madame O’Brien « Mais cela fait polémique, et ce ne serait pas la première fois que le gouvernement prendrait une décision absurde en refusant. Il devait rendre sa décision à la fin de l’année, mais celle-ci devra sûrement attendre le printemps prochain, date à laquelle leur mesure temporaire prendra fin. Cela rend notre organisation encore plus difficile puisqu’il nous est impossible de prévoir le futur ».
« Chaque semaine, des femmes sont obligées de poursuivre leur grossesse »
« Avec la pandémie, les cliniques d’avortement ont fermé ou ont eu moins personnel. C’est de plus en plus difficile de trouver des espaces et des chirurgiens qualifiés pour pratiquer une opération abortive. Chaque semaine, des femmes sans-rendez vous se retrouvent obligées de poursuivre leur grossesse » nous confie Katherine O’Brien.
Au Royaume-Uni, les femmes peuvent avorter jusqu’à 24 semaines de grossesse. Après cette date, sauf en cas de complications ou de maladies, il n’est plus possible d’interrompre une gestation. « Mais pour les femmes qui sont à entre 10 et 20 semaines de grossesse c’est très difficile de trouver un rendez-vous pour une opération. Au-delà de 20 semaines, c’est quasiment impossible. Or, les femmes qui demandent à avorter à une telle étape de grossesse avancée sont généralement soit des femmes très jeunes qui ont peur, ou des femmes victimes de violences conjugales, ou encore des femmes qui ont vécu récemment un événement bouleversant comme la perte d’un conjoint ». Katherine O’Brien se rappelle du parcours d’une femme qui s’est vu annoncé à 20 semaines de grossesse qu’elle serait contrainte de la poursuivre jusqu’à son terme, faute de rendez-vous. « A ce moment-là, elle a été dévastée. Elle a dû être internée contre son gré dans un hôpital parce qu’elle essayait de se faire du mal et de faire du mal à son bébé. Elle est restée là-bas jusqu’à son accouchement et elle a ensuite abandonné l’enfant. »
« Des coupes sont faites dans les budgets des services de contraception depuis dix ans »
Pour le BPAS, le problème pourrait être en partie réglé si l’accès à la contraception lui-même n’était pas aussi difficile au Royaume-Uni. « Depuis dix ans, des coupes sont faites dans les budgets des services de contraception, des cliniques sont fermées : ce n’est pas du tout la priorité du gouvernement » considère Kathleen O’Brien.
Mais selon elle, le problème d’accès à l’avortement est un tout autre problème : « Rendre la pilule accessible sans ordonnance, c’est toujours une bonne chose parce qu’il ne devrait y avoir aucune contrainte pour accéder à la contraception, mais elle n’est pas efficace à 100% et pour d’autres moyens plus fiables, comme l’implant, il y a toujours besoin de rendez-vous médicaux en face à face, donc ça n’améliore pas vraiment la situation. En plus, cette mesure risque de ne pas toucher les femmes qui ont le plus de difficultés à accéder à un moyen de contraception. C’est pratique pour les femmes qui ont les moyens de l’acheter, mais ça ne changera rien pour les femmes les plus pauvres qui ne peuvent déjà pas accéder à leur pilule parce qu’elles vivent dans des endroits reculés, qu’elles n’ont pas le temps ou qu’elles ne peuvent prendre de congés ».