Nous nous étions déjà penchés de plus près sur le retrait annoncé de la Nouvelle-Zélande et de l’Australie pour la prochaine coupe du monde de rugby à 13 prévue en Angleterre au mois d’octobre prochain grâce à l’analyse de Mathias PALA, membre du staff de l’équipe de France. Quelques jours plus tard, la compétition était officiellement reportée en 2022. Une question demeure désormais : est-ce une bonne ou une mauvaise nouvelle pour l’émancipation de ce sport parmi les plus sous-côtés de la planète ? Pour y répondre, j’ai conversé avec Adam Innes, le préparateur physique australien de notre XIII de France. Les réponses illustrent la complexité liée à la reconnaissance de ce sport dont le niveau de préparation physique requis dépasse largement les standards d’autres sports.
Comment le report de la coupe du monde a-t-il été perçu au niveau du groupe France ? Dans quelle gestion vous êtes-vous inscrits au niveau du staff pour l’annoncer aux joueurs ?
Laurent Frayssinous, le sélectionneur national, a contacté tous les joueurs concernés, mais bon nous nous y attendions un peu suite au fait que l’Australie et la Nouvelle-Zélande se soient retirées de la compétition. Il était difficile d’imaginer que cela puisse continuer. Donc il y a eu un peu de déception, nous sommes tous très déçus. Joueurs comme membres du staff. Moi-même j’ai des amis en Australie qui sont dans les staffs de différentes équipes, j’ai donc eu des échos dès le départ par leur biais. La seule chose qui aurait peut-être pu « sauver » la compétition est qu’ils avaient proposé la création d’équipes composées respectivement d’aborigènes et de maoris pour remplacer l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Problème étant : seules des nations sont censées pouvoir participer. Les États-Unis et la Serbie étaient donc les pré-supposées, mais je pense que, et c’est mon point de vue personnel, je ne parle pas pour les autres, sans l’Australie et la Nouvelle-Zélande la crédibilité de la compétition est mise à mal, ce ne serait plus vraiment une coupe du monde. Je reste convaincu malgré tout que c’était la meilleure décision de reporter, même si au fond de moi je suis très déçu et que j’aurais voulu participer cette année. Pour la crédibilité internationale du rugby à 13, je pense que cela aurait causé plus de mal que de bien de maintenir une coupe du monde sans l’Australie et la Nouvelle-Zélande.
Tu en viendrais donc à considérer le report tel un service rendu à ton sport plutôt qu’une mauvaise chose ?
Je pense que repousser la compétition donne plus de crédit au rugby international que de la maintenir avec l’absence de deux de ses plus grandes nations.
La Fédération internationale a-t-elle communiqué avec le staff de l’équipe de France ? Comment l’avez-vous appris ?
J’ai eu des informations par le biais de Laurent Frayssinous qui était en contact constant avec la Fédération internationale. Ils faisaient des visioconférences quatre fois par semaine, donc il était au courant de l’évolution de la situation. Il était pessimiste depuis un moment.
En qualité de préparateur physique du groupe, avais-tu déjà commencé la préparation avec tes joueurs ?
Quasiment la moitié des joueurs de l’effectif jouent à Toulouse, je les ai donc aussi en club pour la plupart (NDLR : Adam est aussi le préparateur physique du Toulouse Olympique XIII). Les joueurs de Super League, on évite de trop en faire parce qu’ils sont encore en pleine compétition. Venir perturber leur préparation ne serait donc pas de mon ressort, j’interviens plutôt en fin de saison. Avec Mathias, nous étions déjà en train de travailler avec 7 joueurs du groupe retenu pour la coupe du monde.
Comment les joueurs ont-ils pris la nouvelle ?
En ce qui concerne les joueurs toulousains, que je vois tous les jours, je leur ai transmis les informations que Laurent m’avait communiquées. Tout le monde a dit : « franchement, ce n’est pas crédible ». Tu ne peux qu’être déçu d’un tel report en tant que sportif de haut niveau, mais les joueurs savent aussi voir le positif quant au fait d’avoir une coupe du monde plus valable l’an prochain.
Disposez-vous déjà de plus amples détails concernant la date ?
Le problème avec le calendrier en rugby à XIII, c’est qu’on a seulement une fenêtre allant d’octobre à décembre. Donc on n’a pas vraiment le choix. Pour autant ce n’est pas le plus difficile à mettre en place. Le problème vient plutôt de la couverture médiatique de l’événement, car la coupe du monde de foot se déroulera au même moment. Ce n’est pas le top.
Pourquoi cette période d’octobre à décembre représente-t-elle la seule fenêtre ? Est-ce dû à une juxtaposition des calendriers de la Super League (ligue anglaise), de la NRL (ligue australienne) et du championnat de France ?
C’est précisément parce que les championnats anglais de Super League (1ère division) et de Championship (2ème division), le championnat Élite français et la NRL sont alignés quasiment parfaitement que les instances ne peuvent pas disposer d’une autre fenêtre pour entériner l’organisation de la coupe du monde.
Une trêve d’octobre à mars, pourquoi en est-il ainsi ?
On considère que les joueurs ont besoin de 4 à 6 semaines de récupération obligatoire après une saison. On aimerait qu’ils puissent récupérer tant physiquement que mentalement. Ils ont un programme à suivre, certains sont moins assidus que d’autres. En Europe, on dispose de 12 semaines à peu près pour préparer les joueurs. En NRL c’est entre 16 et 20. Selon moi, le football américain mis à part, nous parlons ici du sport le plus exigeant au monde. Car il faut avoir une base d’aérobie, de l’endurance, de la rapidité, de l’explosivité et une masse musculaire suffisante pour pouvoir encaisser le double voire le triple de plaquages en comparaison par exemple du rugby à XV. En football américain ils font la même pause que nous. Dans le passé, on a pu observer deux années pendant lesquelles il y a eu des grèves parmi les joueurs, leur faisant manquer deux mois de compétition. Ces années-là avaient été celles comptabilisant le plus grand nombre de blessures.
Si une telle pause en fin de saison est nécessaire, comment se serait articulée la préparation de la coupe du monde si son commencement avait été maintenu 13 jours seulement après la fin de la saison régulière ?
Ce qui change par rapport à un club quand on travaille avec une équipe nationale c’est la nature des exercices. En club on travaille sur le développement des qualités physiques (masse musculaire, force, explosivité etc…). En équipe nationale nous sommes plus dans le maintien, nous essayons de garder les mecs frais et de créer une cohésion. Le temps de préparation est bien entendu grandement réduit pour un événement tel que la coupe du monde. Les équipes auraient toutes eu à jouer entre 3 et 5 matches minimum durant la compétition. On était censé avoir, entre chacun d’eux, des espacements respectifs de 5, 7 et 6 jours en ce qui concerne les 3 premiers matchs.
Je suppose que tu dois être scruté de très près par les clubs tout au long de ce travail de maintien en équipe de France ?
Si tant est qu’un joueur vienne à se blesser… Il y a une certaine pression venant des clubs. C’est la raison pour laquelle l’Australie s’est retirée de la CdM. En NRL, les joueurs sont obligés, contractuellement, d’avoir 6 semaines de repos après la fin de la saison. En Europe, et en Super League, les syndicats de joueurs ne sont pas très puissants, voire inexistants. Ils n’ont pas de poids sur les décisions. En Australie et en NRL c’est complètement différent, les joueurs sont bien défendus.
L’action des syndicats de joueurs en Europe et plus particulièrement en Super League ne serait-elle donc pas allée dans le même sens que celle entamée par les syndicats au sein de la NRL ?
Niveau structure, la NRL est loin devant la Super League, qui pourtant domine outrageusement les débats en Europe. Si on regarde par exemple le cas de Toronto, dont la franchise a été retirée de la Super League l’année dernière, les joueurs là-bas n’ont toujours pas été payés. Des histoires comme ça j’en ai mille. En Australie c’est impossible que ça arrive, les syndicats sont ultra puissants. Ils se sont battus pour permettre l’amélioration du salaire minimum des joueurs, et un pourcentage de rétrocession des droits télé obtenus par la NRL. La plupart de ces « acquis sociaux » n’ont cependant été acquis que récemment, l’année dernière pour la plupart (début 2020). Il faut savoir que les droits audiovisuels en NRL pèsent 2 milliards, dont nous (les différents acteurs du rugby à XIII) voulons notre part du gâteau.
Le contexte sanitaire actuel a-t-il pesé dans la décision commune prise par la Nouvelle-Zélande et l’Australie de se retirer de la compétition ?
En ce moment, l’Australie a peut-être les restrictions liées au Covid-19 les plus strictes au monde. Il a été supposé que, si l’Australie et la Nouvelle-Zélande participaient à la coupe du monde, un des deux pays, voire les deux, parviendraient probablement jusqu’en finale. Ce qui aurait amené la fin de leur saison pour les joueurs australiens et néo-zélandais à fin novembre. Au retour dans leurs pays respectifs, ils auraient dû se soumettre à une quarantaine de 14 jours, à l’issue de laquelle aurait pu commencer leur période de pause de 6 semaines (légalement obligatoire). Celle-ci aurait donc pris fin mi-février, avec la reprise de la compétition prévue pour mars. Les différentes fédérations ont considéré qu’un seul mois de pré-saison mettrait en péril les joueurs et leur santé. Grosso modo : le temps de préparation des joueurs étaient beaucoup trop court et le calendrier trop serré.
D’autres solutions que le report de la coupe du monde ont-elles été envisagées ?
Il y a même eu l’idée de repousser le championnat NRL à plus tard, ce qui aurait aussi posé un problème de calendrier. Mais réduire la saison n’était pas envisageable, notamment en raison des droits télé, détenus majoritairement par Fox qui paye un certain montant pour un nombre de rencontres. Parmi ces matchs sont inclus les 3 qui composent le State of Origin. Ceux-ci sont absolument intouchables car ils constituent les plus gros produits à vendre en rugby à XIII. C’est l’événement sportif le plus regardé en Australie, plus important même que le All-Star Game. Que tu sois treiziste ou pas, tout le monde regarde. Ça ne bougera pas, notamment avec l’argent que cela fait rentrer dans les caisses. Il me semble qu’ils avaient estimé la recette à 50 millions de dollars. Les matchs du State of Origin se tiennent en juin-juillet, en plein cœur de la saison. C’est aussi pour cela qu’il y a eu une volonté de ne pas repousser la saison de NRL. Si tu enlèves ne serait-ce qu’un seul match, cela entraîne une rupture de contrat avec les chaînes de télévision.
Peut-on considérer que cette décision a été prise en accord avec tous les acteurs du rugby à 13 ?
Pour en revenir à la décision qui a été prise, les joueurs n’ont pas été consultés par les fédérations et les clubs, les syndicats n’ont même pas eu à intervenir. La majorité des joueurs auraient voulu faire la coupe du monde. Cela montre la puissance de la NRL et de ses clubs. Indirectement les joueurs se sont tirés une balle dans le pied avec toutes leurs obligations contractuelles leur assurant leurs droits salariaux et autres.
Quelle est ta position par rapport à tout ça ?
Ça me fait râler, même si je peux comprendre les deux côtés. Je comprends les instances internationales, car si on veut rendre notre sport crédible aux yeux du monde et pouvoir concurrencer le rugby à XV, on a un besoin vital de compétitions internationales. Mais je comprends aussi le point de vue des clubs quand l’absence de joueurs peut leur être préjudiciable. A mon sens, il faut néanmoins mettre l’accent sur l’international si nous voulons qu’un jour notre sport connaisse un développement plus important. Pour moi, la coupe du monde aurait dû se jouer cette année. Le coup porté est lourd, déjà que nous ne bénéficions pas d’une couverture médiatique importante. Ridicule aurait été de jouer une coupe du monde pendant que l’Australie et la Nouvelle-Zélande continuaient à jouer entre eux malgré tout. Mais c’est vraiment lamentable de ne pas avoir été capable de s’entendre pour le bien général de notre sport. En rugby à XIII nous ne sommes pas capables d’organiser une coupe du monde correctement, voilà ce qui en ressort au final. L’an prochain, en termes de couverture médiatique, avec les JO d’hiver avant notre coupe du monde, et la CdM de foot se tenant au même moment que notre compétition, il n’y aura pas 50 000 places pour nous dans les journaux. C’est ça qui me fait râler, on avait une occasion en or cette année, avec un calendrier ouvert, mais ça ne sera pas fait.
À qui la faute ?
Pour moi c’est la faute de la NRL. Quand on voit à titre de comparaison que l’équipe australienne de cricket a tout à fait été capable de venir jouer en Angleterre en juin ou juillet pour les Ashes, c’est ridicule. Les Ashes, les JO et l’Euro 2020 ont été organisés et maintenus, mais en rugby à XIII rien ne se fait. On ne peut pas dire que ce soit dû aux institutions internationales, c’est vraiment la pression exercée par les clubs qui a pesé dans la balance. Une pression des clubs sur la NRL, et de la NRL sur les fédérations nationales. La fédération internationale n’a pas encore assez de pouvoir face à la NRL. C’est cette dernière qui dicte comment se passe le rugby à XIII international. Tout en comprenant les enjeux d’une telle prise de position, il aurait été préférable d’observer la compétition.