Libertin et chrétien -comme il se décrivait dans un livre d´entretiens avec Marc Leboucher paru en 2004-, l´académicien Jean-Marie Rouart est également le romancier des passions de l´amour salué par plusieurs prix littéraires, l´ambitieux stendhalien ou le biographe de personnages comme Morny, le cardinal de Bernis ou Napoléon. La figure de Napoléon est justement au cœur de son nouveau roman, paru en janvier aux éditions Gallimard, intitulé "La maîtresse italienne" qui s´inspire de l´évasion de Napoléon de l´île d´Elbe.
Jean-Marie Rouart : romancier des passions de l´amour et biographe
Jean-Marie Rouart, né le 8 avril 1943 à Neuilly-sur-Seine au sein d´une famille de peintres, a bâti une œuvre qui force l´admiration. Libertin et chrétien -comme il se décrivait dans un livre d´entretiens avec Marc Leboucher, paru en 2004 aux éditions Desclée de Brouwer-, élu à l´Académie Française en 1997 au fauteuil de Georges Duby, le romancier des passions de l´amour et le biographe de figures comme Morny, le cardinal de Bernis ou Napoléon, a tissé son œuvre -couronnée par de nombreux prix littéraires dont l´Interallié pour Les feux du pouvoir (1977) ou le Renaudot pour Avant-Guerre (1983)- autour de trois axes essentiels : l´amour, l´échec, et le désespoir menant au suicide (voir à ce propos son excellent essai Ils ont choisi la nuit).
Sa fascination pour la figure de Napoléon Ier lui a fait écrire l´essai sous forme de biographie sentimentale Napoléon ou la destinée (2012). Or, dans son nouveau roman -en forme brève et aux accents stendhaliens- La maîtresse italienne, paru en janvier dernier aux éditions Gallimard, Jean-Marie Rouart a fait de Napoléon un personnage de fiction et reprend sous une nouvelle mouture son évasion épique de l´île d´Elbe en 1815. C´était dans ce tout petit territoire entre la Corse et l´Italie que, par décision des Alliés vainqueurs, Napoléon était assigné à résidence sous contrôle étroit.
"La maîtresse italienne"
Au centre de l´histoire, il y a naturellement -ce qui est somme toute logique s´agissant de Napoléon Ier et de Jean-Marie Rouart- une femme, en l´occurrence la belle, sensuelle, jeune et légère comtesse Miniaci. Il suffit de rappeler le mot de Pauline Bonaparte que l´on trouve en épigraphe du roman : « Si le nez de la comtesse Miniaci eût été plus long, le sort du monde eût été changé… ». Sans elle, l´Empereur n´aurait pu tromper la surveillance de tous ceux qui guettaient le moindre de ses mouvements, à savoir, le gouverneur de la Corse -le chevalier de Bruslart, un ancien chouan qui voulait le faire assassiner-, les militaires des quatre vaisseaux de guerre qui croisaient dans les parages de l´île, les sbires du Congrès de Vienne qui rôdaient et surtout le jeune colonel Neil Campbell, chargé par les Anglais d´empêcher sa fuite. Comment l´Empereur a-t-il donc pu s´échapper ? C´est cela le grand mystère, de l´aveu même de Jean-Marie Rouart dans une interview accordée lors de la parution du roman. Il y a un élément passé sous silence par les historiens que l´auteur fait étaler ici au grand jour : le colonel Neil Campbell éprouvait une passion brûlante pour sa maîtresse, la comtesse Miniaci qui résidait à Florence. Or, en lui rendant souvent visite, sa mission aurait été négligée, ce qui aurait donc permis à Napoléon d´échafauder son plan.
Il faut dire qu´il y a très peu d´éléments biographiques disponibles sur la comtesse Miniaci. L´auteur a eu beau les chercher, il a eu bien du mal à les trouver, malgré son enquête à Florence. Était-elle une espionne ou une courtisane ? Pour qui travaillait-elle ? Pour Murat ? Pour les agents du Congrès de Vienne ? Ou n´était-elle au fait qu´une amoureuse ? Aussi Jean-Marie Rouart s´est-il on ne peut mieux servi de l´imagination pétillante du romancier pour avancer toutes les hypothèses mentionnées. Au fil des pages, il brosse petit à petit le portrait de cette comtesse énigmatique : «À quoi tient l´invraisemblable charme de la comtesse ? Peut-être, plus qu´à sa beauté, à la générosité d´un caractère, à la chaleureuse sollicitude qu´elle diffuse autour d´elle, aux bienfaits dont elle est prodigue envers chacun, sans tenir compte d´une quelconque position sociale. Rarement une coquette a mis autant de sophistication dans la simplicité de ses manières. L´attrait qu´elle exerce tient peut-être à la mystérieuse ambiguïté qui l´enveloppe, suggérant des mœurs qui peuvent la conduire au meilleur comme au pire, à la chasteté ou à la dépravation. Comme le disait en confidence, d´un air entendu, Benito Calvi, un vieil ambassadeur des États pontificaux connu pour avoir bénéficié des faveurs des plus belles courtisanes d´Europe : « Quand je l´observe, je n´arrive pas à savoir si elle a été élevée dans le plus strict des couvents ou dans la plus huppée des maisons de plaisir »».
Une chose est néanmoins certaine : sans l´évasion de l´île d´Elbe, il n´y aurait pas eu les Cent Jours qui ont eu d´énormes conséquences sur l´évolution répressive de la monarchie.
Comment peut-on expliquer cette fascination permanente pour Napoléon Ier ? Jean-Marie Rouart a affirmé là-dessus : « Ce qu´il y a d´extraordinaire chez Napoléon, c´est ce mélange de faiblesse sentimentale et de génie politique ». On sait d´ailleurs que le génie politique est souvent associé au côté sentimental de la vie et que la littérature en fait d´ordinaire état. Aussi Jean-Marie Rouart, outre la phrase de Pauline Bonaparte citée plus haut, a-t-il mis en épigraphe de ce roman une autre citation emblématique, cette-fois ci jaillie de la plume de Julien Gracq : « Si la littérature n´est pas un répertoire de femmes fatales et de créatures en perdition, elle ne mérite pas qu´on s´en occupe ».
Jean-Marie Rouart, La maîtresse italienne, éditions Gallimard, Paris, janvier 2024.