Après avoir publié en 2020 le récit "Alpinistes de Staline", épopée des frères Evgueni et Vitali Abalakov, pionniers de l'alpinisme en Urss, l'écrivain Cédric Gras complète le diptyque avec "Alpinistes de Mao", toujours chez Stock.
En 1960, le Parti communiste chinois choisit Xu Jing, Liu Lianman et autres camarades pour porter au sommet le buste de Mao Zedong. La terreur communiste est présente dans le récit via La Révolution culturelle chinoise et l´occupation du Tibet.
L´écrivain Cédric Gras
Né en 1982 à Saint-Cloud, Cédric Gras a tôt développé une passion pour la marche et l'alpinisme tout en suivant des études de géographie. Après avoir reçu en 2004 une Bourse de la vocation octroyée par la Fondation Marcel Bleustein-Blanchet, il a achevé ses études à Omsk, en Russie, en 2005, et puis a enseigné à l'Université de Vladivostok avant de créer l'Alliance Française locale qu'il a dirigée jusqu'en 2009. Il a également passé une année doctorale à étudier l´Extrême-Orient russe et il a participé en 2012 à une expédition en moto avec l'écrivain Sylvain Tesson avant de créer et de diriger l'Alliance Française dans plusieurs villes ukrainiennes.
En 2020, il a reçu pour Alpinistes de Staline, son huitième livre, le prix Albert Londres. Ce récit nous raconte l'histoire de Vitali et Evgueni Abalakov, deux frères partis à la conquête des sommets au nom de l'Urss. C'est dans les années 30 que les pics soviétiques (dans le Caucase, le massif des montagnes de Pamir) commencent à attirer l'attention des hauts fonctionnaires. Il faut donc gravir les monts, au nom de la science, de l'exploration et surtout de la gloire du nouveau régime. Les frères Abalakov deviennent en quelque sorte des héros, ce qui n'empêche nullement qu'un d'entre eux, Vitali, soit victime des purges et d'accusations mensongères et connaisse la prison pendant deux ans. Il fut accusé d'avoir emmené Saladin- un militant communiste suisse décrit comme un espion étranger –dans les zones frontalières de l'Urss, alors que celui-ci avait obtenu un visa en bonne et due forme. On a également reproché à Vitali d'avoir planifié un faux projet de meurtre sur la Place Rouge. Cédric Gras rappelait l'année dernière dans une interview accordée au magazine National Geographic que parfois il était impossible de donner des raisons qui expliquent les arrestations pendant les purges staliniennes. Les purges visaient à terroriser la population pour qu'il n'y eût pas d'opposition.
Alpinistes de Mao, l´histoire de prolétaires chinois choisis pour porter le buste de Mao au sommet de l´Everest
Pour écrire Alpinistes de Mao, paru en mars aux éditions Stock -le même éditeur qui a publié Alpinistes de Staline-, Cédric Gras a plusieurs fois voyagé en Haute Asie et a eu accès à des documents inédits pour reconstituer le destin singulier des prolétaires chinois, devenus alpinistes, que rien ne prédestinait au vertige des cimes.
Les alpinistes dont il est surtout question dans ce récit s'appelaient Xu Jing et Liu Lianman qui dans leur jeunesse n'avaient jamais vu les montagnes. Si les premières expéditions dans les montagnes du continent asiatique sont l'œuvre des «impérialistes» occidentaux, le soleil se lève pour les communistes quand l'Urss commence elle aussi à présenter des résultats probants. C'est en Urss que les chinois peaufinent leur formation et c'est tout d'abord en collaboration avec les Soviétiques que l'alpinisme chinois affiche ses ambitions : «L'expertise prodiguée par le «grand frère» soviétique s'étend jusqu'aux cimes. Pékin assure pourtant ne pas avoir été à l'initiative en la matière. Dès 1954, le comité central des syndicats de l'Urss aurait lui-même proposé à son homologue chinois de préparer des expéditions communes. Les chroniques russes sont vagues, employant toujours le terme «invités» dès lors qu'ils iront grimper au Tibet.
Moscou avait un intérêt concret dans la formation de Xu Jing et de ses camarades. L'aide alpinistique à la Chine n'eut jamais qu'un but : l'Everest et la naissance d'un « himalayisme socialiste ». Néanmoins, du côté chinois, les ambitions à long terme étaient tout autres. C'était l'époque du Grand Bond en avant et de la colonisation du Tibet à marche forcée. Une fois maîtrisée la rébellion tibétaine contre l'invasion chinoise, le régime communiste du Grand Timonier fait cavalier seul et se lance dans l'aventure en 1960. Formés en un temps record, Xu Jing, Liu Lianman et leurs compagnons de cordée, triés sur le volet et dévoués à la cause du Parti, vont tout affronter pour porter le buste de Mao au sommet et y faire flotter le drapeau rouge. Très peu expérimentés, aux prises avec l'altitude, le froid, les engelures et les avalanches, mais imprégnés d'une opiniâtreté irréfutable, ils préfèrent mourir que trahir le Parti et les attentes du peuple. Il n'y a aucune photo ni aucune autre preuve indiscutable qu'ils eussent atteint le sommet quoiqu'ils soient réellement montés très haut, mais leur victoire fut annoncée et la propagande a fait office de vérité.
Les expéditions durent plus ou moins jusqu'en 1964, mais vers 1965 et surtout en 1966 tout bascule. La Révolution culturelle inaugure une ambiance de terreur qui fait table rase du passé, qui s'acharne contre nombre d'activités et « rééduque » humilie, torture, et tue ceux qui dérogent aux principes de la pureté révolutionnaire, selon des critères le plus souvent complètement aléatoires. La plupart des héros d'un alpinisme soudain devenu inutile, élitiste et contre-révolutionnaire sont envoyés en « classe d'études » ou en « camp de travail ». Xu Jing et Liu Lianman seront eux aussi victimes de la Révolution culturelle quoiqu'ils eussent physiquement survécu à la terreur.
Avec Alpinistes de Mao, Cédric Gras nous raconte avec maestria l'histoire des prolétaires chinois qui ont emporté dans leur tombe les secrets himalayens du régime.
Cédric Gras, Alpinistes de Mao, éditions Stock, Paris, mars 2023.
À lire également du même auteur:
Alpinistes de Staline, éditions Stock, Paris, mai 2020 (édition de poche, collection Points, Seuil, septembre 2021).