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LIVRES – "Le chemin des vierges enceintes", un récit de Jean-Yves Loude

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Écrit par Fernando Couto e Santos
Publié le 14 décembre 2022

Fin connaisseur de l´univers lusitanien, Jean-Yves Loude (avec la collaboration de Viviane Lièvre) nous livre avec Le chemin des vierges enceintes un magnifique récit sur le mystère des représentations de la vierge enceinte, des statues de Marie, la main posée sur son ventre proéminent, qui ont joui d´une ferveur populaire en France, en Espagne et au Portugal du XIIIème au XVIème siècle et qui ont, pour la plupart, disparu. Un voyage hallucinant.  


Le chemin des vierges enceintes

L´écrivain et ethnologue Jean-Yves Loude ne cesse de nous étonner : sa curiosité, sa perspicacité, son sens de l´opportunité sont inépuisables. Après Un cargo pour les Açores publié en 2018, il nous mène maintenant, en fin connaisseur de l´univers lusitanien, vers le chemin des vierges enceintes. Son nouveau récit -qui a de belles photos de son épouse Viviane Lièvre-s´intitule justement Le chemin des vierges enceintes, publié aux éditions Chandeigne qui divulgue depuis des années on ne peut mieux les trésors de la littérature de langue portugaise. Le titre soulève des interrogations et suscite sans doute l´étonnement de nombre de lecteurs : vous avez écrit « vierges enceintes » ? Oui, vous avez bien lu. Du XIIIème au XVIème siècle, les sculptures de la Vierge enceinte, la main posée sur son ventre proéminent dans l´attente de Jésus, ont bel et bien existé et ont, pour la plupart, disparu. Elles ont joui d´une ferveur populaire en France, en Espagne et au Portugal, mais en 1563, sensibles aux critiques des Protestants, les membres du Concile de Trente ont exigé la mise à l´écart de ces images jugées « irregardables ».

Jean-Yves Loude et Viviane Lièvre marchent sur les traces de ces vierges, en guise d´enquête policière, et très vite ils associent ces disparitions à la logique d´un discours d´exclusion élaboré par des hommes religieux aux dépens de la moitié de l´humanité. L´enquête compte quatorze étapes. Elle s´amorce au Puy-en-Velay, France, et se termine à Saint-Jacques de Compostelle, dans la communauté autonome de Galice, en Espagne, mais la plupart de l´enquête se déroule au Portugal, en passant par des cathédrales, des couvents, des chapelles discrètes, des musées ou des villages retirés.


L´existence au Portugal, en Alentejo, de la voyelle majuscule : Ó

Dans l´un des chapitres consacrés à l´Alentejo, on apprend que les vierges enceintes encore existantes au Portugal sont toutes désignées par une voyelle majuscule : Ó. Aussi le nom de Nossa Senhora do Ó (Notre-Dame du Ó) est-il plutôt courant et il existe même le patronyme «do Ó». Jean-Yves Loude raconte que deux théories s´affrontent quant à l´origine de ce Ó : «Ó comme la rondeur parfaite, comme est «magnifique le ventre qui t´a porté», selon Luc XI. Ou Ó comme les sept chants du temps de l´Avent, entre le 17 et le 23 décembre, qui tous commencent par cette interjection sortant d´une bouche arrondie : les grandes antiennes, antifonas, ou prières du salut : Ó Emmanuel, notre Législateur et notre Roi, espérance et salut des nations : Viens nous sauver, Seigneur, notre Dieu. Le débat reste  ouvert».


Promenade autour de la figure de l´écrivain José Régio

Au chapitre « De Portalegre à Lisbonne », on jouit d´une promenade autour de la figure de l´écrivain José Régio. Né en 1901 à Vila do Conde, près de Porto, José Régio était le pseudonyme littéraire du romancier, poète, dramaturge et essayiste José Maria dos Reis Pereira, professeur de Portugais et de Français au lycée national de Portalegre pendant trois décennies. Il était également dessinateur et collectionneur compulsif. C´est un peu à ce titre qu´il figure au récit puisque, à sa mort, en 1969, il a laissé 400 Christ en croix. La maison (une pension, en fait) où il habitait est entre-temps devenue un musée. Intrépide célibataire, il aimait Marie et les femmes. Madame Maria José Maçãs, conservatrice de la Casa-Museu José Régio, rappelle que l´écrivain était un homme double, sans cesse partagé entre foi et scepticisme. Il ne croyait pas en Dieu mais ne pouvait se passer de Lui, il lui a d´ailleurs consacré un livre de poèmes, De Dieu et du Diable, mais on ne peut pas manquer de citer non plus un autre ouvrage singulier dans l´œuvre de José Régio : Benilde ou a Virgem -Mãe, Benilde ou la Mère-Vierge, une pièce de théâtre portée à l´écran par le cinéaste Manoel de Oliveira en 1975. La pucelle Benilde, dont la grossesse fut annoncée par le médecin la veille de ses fiançailles, fut accusée de fausseté alors que, dans un état de transe mystique, elle répond qu´elle n´a connu que les bras d´un ange. L´histoire nous renvoie à la conception virginale de Marie dont la tolérance au niveau artistique a varié selon les convenances ou les intérêts de l´Église à chaque époque et selon les siècles.


L´histoire des travaux de Mestre Pero

Néanmoins, l´une des histoires les plus extraordinaires est celle concernant les travaux de Mestre Pero, un artisan du XIVème siècle -dont le parcours fut reconstitué par nombre de spécialistes- épris de la figure de la Vierge Marie enceinte. Or, ses travaux présentent une troublante similitude de style avec ceux d´un certain Magister Petrus de Bono Oculo qui en 1315 s´est occupé d´une commande pour le portail d´une église de Morella dans la province de Valencia en Espagne. Si l´on a affaire au même auteur, alors il s´agirait de Petrus de Bonnellis, galicus operarios, ou de Maître Pierre de Bon Œil ou de Bonneuil, son lieu de naissance,  c´est-à-dire Bonneuil-sur-Marne, en région parisienne. Quoi qu´il en soit, nous sommes toujours dans le domaine des possibilités, sans aucune certitude.


Dans ce récit qui vous tient en haleine du début jusqu´à la fin, vous trouverez des histoires cocasses et des renseignements qui vous surprendront : des gâteaux et des pierres phalliques, des vierges noires, « A Campa do Preto » (« La tombe du Nègre » ou le tombeau de l´esclave inconnu), des recettes gastronomiques, de beaux paysages, ou les études de l´ethnologue portugais Moisés Espírito Santo.  

Jean-Yves Loude nous enchante avec son immense talent de conteur tant et si bien qu´on regrette que ce récit se soit achevé à la page 407. On en aurait volontiers lu quatre cents autres pages. Inutile de vous dire que l´on attend déjà impatiemment le prochain livre de l´auteur.


Jean-Yves Loude, Le chemin des vierges enceintes, photographies de Viviane Lièvre, éditions Chandeigne, Paris, septembre 2022.

 

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