Jean-Yves Loude, écrivain-voyageur, vient de publier un nouveau récit consacré au monde lusophone. Après Lisbonne, le Cap-Vert et le Brésil, il nous fait découvrir l´archipel portugais des Açores. L´auteur sera à Lisbonne à l´Institut Français du Portugal pour présenter le livre ce 28 février à 19H.
Les Açores, terre de "héros anonymes".
Poète, ethnologue, journaliste, scénariste de cinéma, auteur de livres pour la jeunesse, Jean-Yves Loude, né à Lyon en 1950, est aussi un étonnant voyageur, un homme qui aime l´aventure, surtout quand elle se matérialise dans des livres imprégnés des rumeurs et des senteurs qui tissent la vie quotidienne.
On n´ignore pas sa passion pour le monde lusophone auquel il a déjà consacré pas mal de livres : Cap-Vert, notes atlantiques (1997) ; Lisbonne, dans la ville noire (2003) ou Pépites brésiliennes (2013), parfois en collaboration avec son épouse Viviane Lièvre. Cette année, il est de retour à ses amours lusitaniennes avec un récit très surprenant et original intitulé Un cargo pour les Açores.
Les Açores sont un archipel portugais dont la plupart des Européens n´auront peut-être jamais entendu parler, sauf éventuellement en 2003 lors d´un sommet où trois Premiers ministres européens et un président américain ont préparé la guerre en Irak. Néanmoins, les Açores (vautours ou éperviers, l´autour des palombes figurant sur le drapeau) sont des îles d´une beauté inouïe, situées dans l´Océan Atlantique nord, à environ 1450 km à l´ouest de Lisbonne.
Un cargo pour les Açores
Dans ce récit on tombe sur Lion (un alter ego de l´auteur), un voyageur français connu pour ses enquêtes sur les mémoires «assassinées» des Afriques et ses traversées du monde portugais. Il a arpenté les siècles sombres de la traite négrière et recensé les créations nées des résistances farouches à l´esclavage. Comme on nous l´annonce dans la quatrième de couverture, « il croit encore à la capacité humaine d´élire la beauté plutôt que la destruction ». Chaque fois qu´il en doute, il se réfugie à Lisbonne. C´est dans la capitale portugaise qu´un libraire musicien (en fait João Pimentel, le propriétaire avec sa femme Carmo Gregório de la librairie lisbonnaise Fabula Urbis) lui tend la clé de son archipel natal, les Açores.
À bord d´un cargo nommé Corvo (corbeau, le nom d´une des neuf îles des Açores), Lion embarque pour un inoubliable voyage dans l´archipel méconnu. Le récit contient des chapitres consacrés à chacune des îles de l´archipel et l´on côtoie non seulement les figures qui ont fait la gloire des Açores mais aussi celles qui les ont visitées, qui ont décrit leurs beautés et qui ont saisi l´originalité et l´esprit du peuple qui les habite, un peuple très religieux qui est souvent parti aux Etats-Unis et au Canada pour échapper à la misère et à l´insularité. Puisqu´il est question d´insularité, peut-on dire qu´elle rend les peuples tristes, repliés sur eux-mêmes ? Certains le disent à propos des Açoréens, mais c´est ignorer la véritable nature de ces «héros anonymes», comme on les qualifie, qui vivent parfois éloignés les uns des autres, mais dont la sympathie et la fraternité sont énormes quand vous entrez un peu plus dans leur intimité. Ils ont enrichi le patrimoine littéraire portugais de quelques noms de haute volée comme, entre autres, Antero de Quental, le grand poète philosophe dont les sonnets comptent parmi les plus poignants de la langue portugaise et qui s´est suicidé dans la ville de Ponta Delgada le 11 septembre 1891, mais aussi Vitorino Nemésio (1901-1978), poète aussi, essayiste, professeur universitaire de littérature française (qui a même écrit directement en français le recueil de poèmes La voyelle promise) et auteur de Gros temps sur l´archipel, un des plus grands romans portugais du vingtième siècle. C´est aux Açores que sont nés également les deux premiers présidents portugais : Manuel Arriaga et Teófilo Braga, ce dernier homme de lettres également.
Ce récit de Jean-Yves Loude fourmille de figures, d´événements, de curiosités qui vous font avoir envie de découvrir les Açores. En 1924, un grand écrivain portugais, Raul Brandão, natif de Porto, a écrit le récit de son voyage aux Açores et, dans la partie consacrée à l´île de Corvo, si dans un premier temps le cadre de vie des gens, pareil aux murs d´une prison, écrivait-il, lui apparaissait insupportable-l´odeur fétide des venelles, les garçons puant le bétail, des êtres anguleux et sévères qu´on eût dit sortis d´un retable de pierre- soudain il s´est fait le chantre de ces gens car les Corvinos avaient su tenir la violence à distance. Comme nous l´évoque Jean-Yves Loude : "Ils avaient construit une sorte de république égalitaire où le plus riche (s´il en était un) ne se distinguait pas des autres. Il marchait pieds nus, comme tous, s´attablait, travaillait, dormait au rythme de la communauté. Accourait au son de la cloche à la moindre nécessité d´entraide, comme tout un chacun. On ne recensait aucun crime, ni de conflit majeur, ni de vengeance traînante".
En lisant ce récit, outre les références au brouillard légendaire, aux volcans, aux pêcheurs de baleines, vous découvrez les noms du compositeur et pianiste Francisco de Lacerda, du sculpteur Ernesto Canto da Maia, de l´ethnographe et écrivain José Dias de Melo ou du libraire Carlos Nascimento qui fut au Chili le premier éditeur de Pablo Neruda, mais vous apprenez aussi (si vous n´avez pas lu Constellation d´Adrien Bosc, grand prix du roman de l´Académie Française en 2014) qu´en 1949, un avion d´Air France a disparu en descendant sur l´île Santa Maria et que dans cet accident ont péri trente-sept passagers parmi lesquels le boxeur Marcel Cerdan et la musicienne prodige Ginette Neveu. Vous apprenez aussi que Chateaubriand est passé par les Açores en se déplaçant aux États-Unis.
Ce carnet de voyage de Jean-Yves Loude nous prouve à satiété que littérature et voyage font décidément bon ménage.
Jean-Yves Loude, Un cargo pour les Açores, avec la collaboration de Viviane Lièvre, Actes-Sud, Arles, mai 2018.
Institut Français du Portugal : Rua Santos-o-Velho Nº11 - Lisbonne
(Reprise)