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Rafael Dumett, auteur d’un roman aujourd’hui best-seller au Pérou

Rafael Dumett, auteur d’un roman aujourd’hui best-seller au PérouRafael Dumett, auteur d’un roman aujourd’hui best-seller au Pérou
© Agnieszka Dumett
Écrit par Le Petit Journal LIMA
Publié le 5 novembre 2021, mis à jour le 6 février 2024

Romancier péruvien, auteur du livre le plus vendu au Pérou depuis 2018, Rafael Dumett répond avec franchise à nos questions et revient notamment sur son expérience de vie en France où il a vécu 7 ans.

Son roman, El espía del Inca, est un roman d'espionnage qui se déroule à l'époque des Incas. Rafael Dumett reconstitue une tentative de sauvetage de l'Inca Atahualpa, retenu captif par les Espagnols en 1533. Cet événement, vaguement mentionné dans certaines chroniques, est recréé avec une documentation solide, mais avec toutes les licences de la fiction romanesque. Le protagoniste de ce roman est un espion du service d'espionnage inca doté d'un pouvoir spécial : celui de compter un nombre quelconque d'objets à la vitesse de l'éclair. Ce roman a été considéré par de nombreux critiques comme le meilleur roman péruvien écrit au cours du siècle. Et il a été le livre le plus vendu au Pérou en 2018, 2019 et 2020. Rafael Dumett vit aujourd’hui en Californie, où il travaille à un roman global sur l’histoire du 20e siècle et des extrêmes droites.

 

Rafael Dumett, vous avez vécu 7 ans à Paris…

En effet, j’y ai fait des études de théâtre à l’Institut d’études théâtrales de la Sorbonne. A l’époque, dans les années 1990, il n’existait rien de tel au Pérou. Cette expérience, très intéressante, m’a permis de découvrir les différentes formes théâtrales du monde : européennes, orientales, africaines. Les cours de Monique Banu-Borie m’ont très fortement marqué, et leur trace est bien présente dans mon roman : ils étaient consacrés aux rituels dans le théâtre, au chamanisme… La figure d’Antonin Artaud planait au-dessus de nous… Grâce à mes divers abonnements, j’ai aussi vu des centaines de spectacles vivants : à la Cartoucherie, au Bouffe du Nord, au Théâtre de la ville. Moins à la Comédie française qui me paraissait trop classique. J’ai moins découvert la culture française (encore que la gastronomie…) que l’ouverture universelle que donnait Paris à l’époque… J’ai vécu avec la communauté des gens de théâtre et survivais en traduisant du français à l’espagnol, toujours dans ce milieu. Ce fut vraiment une expérience incroyable !

 

Pourquoi avoir choisi la France à ce moment-là de vos études ?

En fait, j’avais fréquenté le collège de la Recoleta, qui à l’époque proposait un enseignement d’excellence en français. J’avais aussi quelques appuis sur place. Mais pas d’ancêtres qui aient eu une relation avec la France. Au Pérou, c’étaient les années de violence liées au Sentier lumineux. J’étudiais alors à la fois la linguistique et le théâtre, mais je n’avais pas vraiment l’idée de devenir acteur. Cette formation à la Sorbonne a été extraordinairement enrichissante – inégale aussi –, mais elle ne menait pas à une carrière de comédien non plus. Je n’ai pas terminé ma maîtrise, mais pleinement profité de Paris et de sa vie culturelle.  

 

Pourtant vous n’êtes pas resté à Paris…

Tout était très difficile en France : avoir des papiers, trouver un travail rémunéré, s’intégrer à la communauté française. Je me rappelle les queues qu’il fallait faire tous les ans à la préfecture, et comment il fallait faire face au fonctionnaire qui me voyait comme un délinquant. Sa décision était totalement arbitraire. Je ne parlerais pas, pour moi du moins, de xénophobie, mais ce n’était pas facile – et ma concierge a presque dit « bon débarras » quand je suis parti. « Il faut rentrer chez soi », avait-elle dit sur un ton très singulier. On reste un étranger, sans accès à la société française, qui est très fermée. Je vis aujourd’hui en Californie, et j’ai retrouvé l’ouverture universelle à la culture et aux gens que je trouvais, en France, dans ce monde du théâtre.

Il n’y a pas aux Etats-Unis cet arbitraire français. Je peux m’y épanouir comme écrivain et comme personne. Tout effort y est récompensé.

 

Comment expliquez-vous que de nombreux écrivains péruviens soient hors du Pérou ?

Nous avons de fait besoin d’une distance géographique pour écrire, même si, dans mon cas, l’élaboration de l’Espion de l’inca a demandé un travail de terrain considérable. J’ai voyagé dans tous les lieux qu’évoque mon roman… De façon générale, la société péruvienne est dominée par une poignée de petits groupes qui contrôlent tout. Quelqu’un comme moi qui n’appartient pas à cette élite n’a aucune chance. Au Pérou, aucun éditeur ne voulait me publier : l’ambition de ce roman, aussi bien son format que son ampleur (900 pages) paraît ridicule au Pérou… Du reste il est sorti d’abord sous forme électronique (en 2012), puis sous forme papier (2018) et a fait son chemin par le bouche-à-oreille, sans aucun soutien.

Au Pérou, aucun éditeur ne voulait me publier !

 

Pensez-vous qu’il aurait du succès en France ?

Pour la France, on ne peut jamais rien anticiper… On ne sait pas ce qui intéresse les Français. Le type d’écriture que je mets en place, avec une intrigue très forte (plot) intéresse fortement les Américains.

 

Revendiquez-vous l’influence de la littérature française ?

En fait non, et j’ai trouvé en France un accès à tous les livres du monde, à des auteurs de moi inconnus. C’est moins la culture française en tant que telle que sa capacité à diffuser toute la richesse du monde qui m’a fasciné. Néanmoins je lis et j’aime deux auteurs francophones : Marguerite Yourcenar et Victor Serge. La littérature française me paraît en ce moment d’une trop grande légèreté.

C’est moins la culture française en tant que telle que sa capacité à diffuser toute la richesse du monde qui m’a fasciné.

Mais mon projet d’écriture actuel comprend la France : il s’agit d’un livre qui, autour de Barbie et de ses accointances au sommet de l’Etat français, décrit l’ombre de l’extrême droite européenne sur l’Amérique latine, dont l’opération Condor est le visage le mieux connu. Rappelons-nous la torture, la contre-insurrection, les disparitions de personnes… tout ceci a des racines européennes que je veux éclairer. La France y joue un rôle central, comme l’Allemagne, les Etats-Unis, la Croatie ; je veux en étudier toutes les ramifications, montrer, sous une forme romanesque, tout le mal que cette extrême droite a fait en Amérique latine et donner une nouvelle intelligence à cette histoire passée, dont les traces sont encore bien vivantes.

 

Propos recueillis par Sylvie Taussig, écrivaine et chercheuse au CNRS. Dernières publications : Richelieu (Gallimard, Collection Folio biographies, 2017) ; Sous le nopal (Jingwei éditions, 2017) ; Le Système du complotisme (Bouquins, 2021).

 

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