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Sophie Canal, « L’espagnol a été le détonateur de mon écriture »

Sophie Canal, « L’espagnol a été le détonateur de mon écriture »Sophie Canal, « L’espagnol a été le détonateur de mon écriture »
Écrit par Guillaume FLOR
Publié le 10 juin 2022, mis à jour le 16 juin 2022

Écrivaine française, installée depuis 25 ans au Pérou, Sophie Canal écrit ses nouvelles et ses romans en espagnol. Elle nous explique pourquoi et nous raconte son parcours littéraire.

Après des études à Tours, Sophie Canal arrive au Pérou pour enseigner la philosophie au Lycée français de Lima, il y a maintenant 25 ans. Elle passe les six premières années sous le statut d’expatriée, au terme desquelles se pose la question de son retour en France. « Le tournant de ma vie a été quand j'ai décidé de rester vivre ici au Pérou. Je me suis alors vraiment lancée dans l’écriture et avec deux anciens élèves, j'ai créé une maison d'édition indépendante avec l'objectif de publier des jeunes auteurs péruviens ».

Désormais sous le statut de résidente, elle conserve son poste de professeure de philosophie et retrouve sa deuxième passion, la littérature. « J'écrivais déjà en France, j'étais sur le point de publier un roman chez Actes Sud mais ils m'ont demandé de couper la moitié du livre et je n'ai pas voulu. J'ai loupé le coche à ce moment-là. Et après quand je suis partie pour le Pérou, j'ai envoyé mon deuxième roman à plusieurs maisons d’édition en France, mais il n'a pas été accepté. Donc, en arrivant ici, j'avais deux romans en français sous la main ».

 

Pourquoi êtes-vous passée du français à l’espagnol pour écrire vos livres ?

« L’espagnol s'est imposé un petit peu malgré moi. J'ai toujours écrit et j'ai toujours voulu publier mais comme ça n’a pas été possible en France, je me suis dit pourquoi ne pas essayer de publier en espagnol au Pérou. Avec notre maison d'édition Matalamanga, créée en 2006, nous étions tout un groupe littéraire, j’étais uniquement avec des Péruviens, donc tout le monde écrivait en espagnol. Nous avons publié plein de jeunes auteurs qui ont eu du succès avec leurs livres et certains ont même eu une influence importante ensuite sur la culture au Pérou. Ça m'a boosté et j'ai donc décidé de traduire mon recueil de nouvelles que j’avais écrit en français. Puis, j'ai fini d'écrire les dernières nouvelles de ce livre directement en espagnol parce que je commençais à bien parler la langue ».

Commencé en français, traduit, puis terminé en espagnol, « Geometría del deseo » (Géométrie du désir), le premier livre publié de Sophie Canal, paraît en 2011 au Pérou. Présenté à Barranco, le recueil se vendra ensuite très bien, ce qui encouragera l’écrivaine française à continuer d’écrire en espagnol.

 

Sophie Canal, « L’espagnol a été le détonateur de mon écriture »

 

Puis un nouveau roman, écrit cette fois-ci directement en espagnol et surtout à deux !

Écrire un roman à deux est déjà quelque chose d’assez rare, mais encore plus quand les deux auteures sont françaises et qu’elles écrivent en espagnol (elles sont les deux seules à le faire au Pérou). En 2015, Sophie Canal se lance donc dans l’écriture à « quatre mains », avec son ex-collègue du Lycée Français de Lima, Christiane Félip Vidal (ancienne professeure d'espagnol, devenue écrivaine sur le tard, avec un certain succès).

« Nous avons créé une biographie imaginaire d'une Péruvienne née à Arequipa en 1914 qui aurait émigré en France, une jeune rebelle qui voulait connaître les surréalistes de l’époque. Elle part donc à Paris où elle intègre tous les cercles d’artistes des années 20. Maîtresse du photographe Man Ray, elle devient poète et mène une vie assez décadente et tourmentée en fréquentant notamment les fumeries d'opium. Dans les années 40, à cause de la guerre en France, elle revient au Pérou où elle devient professeure à l’université, mais dans la société machiste de Lima, elle n'est pas du tout reconnue. Elle publie un recueil de poésie qui est complètement détruit par la critique ».

« Notre roman « La Flor artificial » est un peu un jeu de rôle puisque dans le livre, je suis cette femme, je joue le rôle de la poète, j’ai écrit tous ses textes : journal intime, sa pièce de théâtre… et Christiane Vidal joue le rôle de la biographe. C’est un roman un peu patchwork, un jeu entre la réalité et la fiction ».

 

Sophie Canal, « L’espagnol a été le détonateur de mon écriture »

 

Vous êtes professeure de philosophie et écrivaine, mélangez-vous les genres dans votre écriture ?

« J'écris depuis l'âge de 18 ans et j'ai toujours eu ce dilemme entre littérature et philosophie. Quand j'ai commencé mes études de philosophie, j’ai toujours vécu ça comme une séparation. Mais avec la publication de mon premier livre ici au Pérou, « Géométrie du désir », j'ai essayé de réconcilier les deux : la géométrie, c’est la raison et le désir, la littérature. Maintenant, je ne fais plus du tout la séparation, tous mes textes plus philosophiques (essais, articles…), je les écris de manière littéraire, et du côté littéraire, je mets beaucoup de philosophie dans mes romans. Je ne fais plus la différence entre les deux. J'essaie aussi de ne plus faire la différence entre les genres littéraires ».

Et pourtant, un genre littéraire bien spécifique va faire irruption dans la vie de l’écrivaine française. Pendant la pandémie, la maison d'édition de littérature fantastique Pandemonium contacte Sophie Canal pour lui demander d’intégrer un groupe de réflexion et de participer à la réalisation d’une anthologie du solarpunk au Pérou, une commande de l’italien Francesco Verso qui cherche à réunir des anthologies de ce genre littéraire dans le monde entier.

« Depuis, la littérature fantastique est devenue un peu mon domaine littéraire, j'ai fait beaucoup de recherches et j'ai écrit plusieurs nouvelles dans ce genre littéraire. Actuellement, je suis en train d'écrire un livre de science-fiction, toujours en espagnol, qui s'appellera « Esclavas ». C’est une commande d’un éditeur avec une date limite en septembre 2022 pour finir le livre ».

« C'est l'histoire d'une Française qui vit au Pérou depuis très longtemps puisqu’elle a 200 ans. Après une pandémie qui a éliminé la moitié de la population, elle s'est réfugiée avec son fils dans une tour entourée de zombies. Elle raconte son passé en Amérique latine et sa relation avec ses esclaves. Elle finira par devenir elle-même esclave de ses esclaves… »

En attendant ce prochain livre de science-fiction, Sophie Canal va publier cette année, chez « Planeta », son troisième livre dont la parution a été repoussée à cause de la pandémie. Il s’agit de la traduction en espagnol du roman écrit 25 ans plus tôt en français et qui n’avait pas trouvé d’éditeur en France. Une histoire très autobiographique puisque l’auteure s’inspire de sa propre vie d’étudiante à Tours pour ce roman.

 

Comment expliquer votre préférence pour l’espagnol comme langue d’écriture ?

« C'est assez complexe mais l’une des raisons est un peu psychanalytique. Quand je me suis séparée de mon mari, j’ai fait une dépression et je suis allée voir un psy. J'ai fait 4 ans de psychanalyse en espagnol. En général, il est préférable de le faire dans sa propre langue et bien pour moi, ça a été tout le contraire. J'ai réussi à mieux m'exprimer dans une langue étrangère que dans ma langue maternelle. Ce fut un déclic pour moi : puisque j'arrivais mieux à faire passer mes sentiments en espagnol qu'en français à l’oral, je me suis dit que ce serait peut-être aussi le cas à l’écrit ».

Pour moi, l’espagnol a été le détonateur de mon écriture, c’est comme un pont qui m'a permis de mieux m'exprimer !

« J'ai fait des recherches sur ce sujet, sur les auteurs qui ont choisi une autre langue pour écrire. Il y a plusieurs écrivains dans ce cas comme Samuel Beckett qui a écrit toute sa vie en français, la canadienne Nancy Huston ou encore Ionesco. Tous disent que la langue d'accueil leur a permis de mieux s'exprimer, de mieux transmettre leurs émotions. Souvent pour des raisons historiques et émotionnelles, la langue d'accueil leur a permis de soigner des blessures, par exemple en fuyant un pays en guerre comme pour l'espagnol Jorge Semprún ».

La France, étant un pays extraordinaire pour les livres, notamment parce que le nombre de lecteurs y est beaucoup plus important, Sophie Canal espère pouvoir y publier un livre. « Mon souhait le plus profond est de faire la boucle, c'est-à-dire de réussir à toucher la France à travers l'écriture en espagnol, avoir un contact avec un éditeur français pour traduire un de mes livres de l'espagnol au français. C'est un peu un rêve de réussir à être écrivaine en France et être reconnue par ses pairs ».

 

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