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Diego Trelles Paz : « Il y a pour moi en France un véritable espace de liberté »

Diego Trelles Paz : « Il y a pour moi en France un véritable espace de liberté »Diego Trelles Paz : « Il y a pour moi en France un véritable espace de liberté »
©TrellesPaz
Écrit par Le Petit Journal LIMA
Publié le 19 novembre 2021, mis à jour le 19 novembre 2021

Écrivain péruvien, originaire de Lima, Diego Trelles s’est installé à Paris après des études aux États-Unis. Il nous donne sa vision de la société française et de la situation politique au Pérou.

Diego Trelles Paz est un romancier dont deux livres sont jusqu’à présent traduits en français, chez Buchet Chastel, Bioy (2015) et La Procession infinie (2019). Il a grandi à Lima, dans le quartier de Magdalena, et a fait ses études aux Etats-Unis, dont un doctorat en lettres sur le roman policier alternatif en Amérique latine, avant de s’installer en France où il poursuit l’écriture de sa trilogie.

Je ne retournerai pas vivre au Pérou, j’espère continuer et finir ma vie en France.

Nous avons pu voir quelle a été la catastrophe humanitaire de la crise Covid19 au Pérou, où le système de santé publique est détruit, alors même que notre pays était présenté comme l'exemple du modèle néolibéral dans la région. Comment peut-on trouver normal que des milliers de Péruviens soient morts par manque d'oxygène ou de lit de soins intensifs ? En France, la société est plus juste ; il y a une meilleure qualité de vie pour tous, et l'accès à l'éducation, à la santé, à la culture et à la sécurité est beaucoup plus horizontal et démocratique.

Le système néolibéral imposé et renforcé grâce à la Constitution de la dictature par les groupes d'affaires et les castes familiales qui ont dirigé le Pérou pendant plus de trente ans et jusqu'à il y a quelques mois fait que, par exemple, les gens de ma génération doivent s’endetter pour que leurs enfants s’instruisent dans des établissements privés, et aucun gouvernement n'investit ou ne lance une véritable réforme pour restaurer l'éducation dans les écoles publiques. Malgré sa précarisation constante, bien qu'étant l'un des pays du G10, la France reste structurée et résiste comme pays où on paie plus d’impôts, grâce à cela, on a la santé, l’éducation et la sécurité.

Si au Pérou, il y a une idée de proximité, de confiance : rendre visite sans avertir, envahir l’espace de l’autre…, en France, la conception des relations est plus froide, et l’on peut se sentir seul quelquefois. Mais finalement cela ne pèse pas beaucoup dans mon choix. Et Paris est une métropole culturelle de premier niveau, où tout se passe.

 

Avez-vous vécu le racisme et la xénophobie dont on parle beaucoup pour la France ?

Le racisme et la xénophobie, comme partout dans le monde, sont présents dans la société française. Quand on vit en France, il est très facile de voir la fracture sociale qui existe mais, au moins à Paris, je pense qu'il y a une très grande conscience citoyenne qui essaie de réagir contre ces maux sociaux. Personnellement je n’ai jamais subi d’attaques xénophobes. Sans doute, à la préfecture, il y a des abus patents, voire une politique d’abus. Les étrangers sont traités avec beaucoup de perversité, et cela surgit toujours là où on s’y attend le moins. Mais d’une part on s’habitue à gérer la bureaucratie, et aussi on se forme des armes pour se défendre. Mon expérience générale est que le rejet de l’étranger n’est pas l’apanage de l’Europe : cela se passe aussi au Pérou et en Amérique latine aujourd’hui avec les Vénézuéliens. En fait cela a à voir avec le pouvoir.

 

Vous avez une page Facebook qui est très suivie. Vous y paraissez comme une personnalité d’intellectuel de gauche…

Intellectuel de gauche, je le suis en tant que personne publique ; mais dans mon écriture, je ne me considère pas comme un écrivain engagé ni ne voudrais être tenu pour tel. Je n’y développe pas une intention pédagogique. Il s’agit plutôt d’une invitation au dialogue, avec l’ambition que le lecteur puisse prendre une position, quelle que soit l’idéologie dont il provient.

Au Pérou les médias ne me donnent pas de place. C’est un strict monopole de la presse, sans aucune liberté d’opinion. Ils délivrent un flux déterminé d’informations associées au néolibéralisme : il n’y a pas de presse de gauche, et des personnes très brillantes se retrouvent sans espace dans le discours public. Ce monopole de la presse après 30 ans de néolibéralisme, c’est quelque chose d’inédit. Auparavant, les écrivains, de gauche ou de droite, avaient une présence dans l’espace public.

En fait, il n’y a pas de vraie démocratie au Pérou, à cause des médias, mais aussi du pouvoir civil.

Ma page Facebook est donc devenue, comme espace virtuel, un lieu d’échanges publics. J’y ai un contact avec un public de personnes qui me connaissent et suivent ce que je fais, au-delà des médias du Pérou.

 

Dans cette page, par exemple, vous défendez le nouveau président péruvien, de gauche…

Il est très important que la gauche soit arrivée au pouvoir. Dans tous les pays démocratiques, il est important et nécessaire qu’il existe une alternance politique, mais au Pérou, l’ensemble des forces de la droite, un ensemble considérable, s’oppose à ce président et veut le destituer, par des moyens antidémocratiques. Au Pérou, la démocratie est faible, fragile. La situation n’est absolument pas comparable à ce qui se passe en France où il existe des contre-poids et des contre-pouvoirs, où les gens, forts d’une vraie éduction politique, descendent dans la rue pour manifester. Mais il y a un petit point commun, c’est l’incapacité actuelle des forces de gauche de se mettre d’accord.

 

Tenez-vous cette image de l’intellectuel engagé des modèles français ?

Le mot « engagé » me pose problème et je n'ai donc pas l'habitude de penser à mon travail en fonction de cette étiquette, que je trouve limitative. En réalité, mes modèles, surtout pour l'écriture, ont été hispano-américains et anglo-saxons, surtout lors de mes années de formation. Bien sûr, j'ai lu et je continue à lire beaucoup de poésie, de récits et d'essais d'auteurs français.  L’écrivain français qui m’a marqué le plus, c’est Céline.

 

Ce qui est paradoxal pour un intellectuel de gauche…

Pour ma part, je n’aurais pas refusé de célébrer son centenaire. C’est un écrivain qui possède une capacité narrative impressionnante et une intense puissance lyrique. Plus généralement il est vraiment difficile de répondre à la question de savoir si un écrivain devrait être censuré pour les aberrations qu'il commet ou défend.  Céline est un écrivain extraordinaire qui continue à être lu et étudié dans le monde entier, et ce sont précisément ces contradictions entre la beauté de son écriture perverse et l'horreur fasciste qu'il finit par défendre qui peuvent fournir la clé d'une meilleure compréhension de son art. Ecrire c’est bien construire une certaine façon de regarder et de narrer de manière à prendre en considération les nécessités du personnage. L’horreur - et c’est bien l’horreur que je décris dans ma trilogie sur la violence politique au Pérou -, doit paraître à travers la forme.

 

Votre trilogie est consacrée à la violence politique au Pérou. Est-il si difficile de l’écrire depuis le Pérou ?

Il est vrai qu’avec la distance, je peux développer mon œuvre avec plus de tranquillité. Au Pérou, il faudrait que j’accumule les petits boulots, il n’y a pas de place dans le journalisme, et je ne trouverais pas de travail, à cause de ce que j’écris. Le Pérou est au centre de ces trois romans, dont le premier va des années de guerre civile, les années 1980, jusqu’à aujourd’hui ; le deuxième traite de la période post-dictature, d’après la chute de Fujimori ; le troisième, que je suis en train d’écrire (et il me faut environ cinq ans pour écrire un roman) concerne la période actuelle, il est aussi le plus risqué. Mais je ne parle jamais seulement du Pérou, et le dernier inclut la France.

 

Beaucoup d’écrivains péruviens ne vivent pas au Pérou…

Ils partent faire des études, trouver un travail, ce n’est pas nécessairement pour fuir la violence qu’ils s’en vont. Pour ma part, j’ai vécu douze ans aux Etats-Unis où j’ai passé mon doctorat. Mais si je suis hors de mon pays, c’est aussi que j’ai besoin de voir autre chose. Pour écrire, il faut de l’espace et du temps. Au Pérou, je ne pourrais ni l’obtenir, ni vivre en paix à cause de mes positions idéologiques. En France, j’ai reçu une bourse du CNL en 2019 pour mener à bien mon nouveau projet. Il y a pour moi en France un véritable espace de liberté, même si au début, mon installation a été difficile : j’ai vécu pendant quatre ans dans 18 m²…

 

Envisagez-vous d’écrire en français ?

Non, j’écris en espagnol, et je ne pourrai jamais écrire en français ni en aucune autre langue. Je lis de la poésie française, et je dis toujours qu’un écrivain complet doit lire de la poésie. Mais, pour écrire en français, il faudrait une passion pour la langue française, que je n’ai pas. Je suis très fier d’avoir comme éditeur Anagrama, de Barcelone, la maison dont je rêvais quand j’étais jeune. Mes romans ne font pas des ventes immenses, mais mon public est surtout hispanophone. En France, le troisième pays au monde pour le marché du livre, la part laissée au monde latino-américain est très étroite. Mais depuis l’Espagne j’ai accès au Pérou, au Mexique.

 

La France représente surtout la liberté de faire ce que je dois faire, et que je ne pourrais pas faire avec une pleine liberté au Pérou.

Propos recueillis par Sylvie Taussig, écrivaine et chercheuse au CNRS. Dernières publications : Richelieu (Gallimard, Collection Folio biographies, 2017) ; Sous le nopal (Jingwei éditions, 2017) ; Le Système du complotisme (Bouquins, 2021).

 

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