Chaque année, les musulmans du monde entier attendent le Ramadan avec impatience, synonyme de partage, d’entre-aide et d’humilité. Mais comment vont s’organiser les festivités alors que la plupart des musulmans sont confinés loin de leurs proches ?
La pandémie au Covid-19 a chamboulé les coutumes et les pratiques religieuses. Les expatriés musulmans n’en sont pas exemptés. Mais comment concilier confinement et festivités ?
Prières et mosquées
Encore impensable il y a quelques mois, les plus grands lieux saints de l’islam sont fermés et cela, même durant le Ramadan. Le Dôme du Rocher à Jérusalem, la Mecque et Medine ont pris ces décisions avant les recommandations de l’OMS qui invitent à envisager sérieusement d’annuler les rassemblements sociaux et religieux. La Omra, petit pèlerinage à la Mecque a déjà été suspendue. Pour le Hajj, l’un des cinq piliers de l’islam, l’Arabie Saoudite a demandé à tous les musulmans du monde entier de stopper, pour le moment, leurs préparatifs.
Michel Phan, créateur du site muslim-expat.com qui nous a aidé à récolter la majorité des témoignages nous confie : « la seule chose qui va me manquer sera sans doute la prière du soir en groupe à la mosquée et le petit thé à la menthe avec quelques amis en sortant. Surtout que les soirées sont les meilleures moments pour apprécier ce temps de partage et de vie sociale. »
Pour Millissa, ce sont « des nuits bénies et pleines de spiritualités en groupe qu'il va falloir abandonner (…) où les fidèles remplissent la mosquée de plats succulents, de boissons délicieuses et énergisantes, de thé et de café afin de pouvoir tenir la nuit en veillée. » Mais « beaucoup de mosquées proposent des retransmissions en direct lors de la prière du vendredi et nous espérons qu'il en sera de même pendant le Ramadan. » rassure Rachid, alors que pour lui ne pas prier en groupe « enlève le charme de la rupture du jeûne ».
Iftar façon confiné
Toutes les personnes faisant la Ramadan auront ce pincement au coeur de ne pas avoir ces grandes tablées où familles et amis se retrouvent pour de longs repas. Cet aspect a été souligné à chaque témoignage. Pour Rachid, banquier au Luxembourg dans l’impossibilité de retourner en région parisienne, là où se trouve sa famille, « c’est sans doute ce qui sera le plus difficile ». Mais il ajoute : « nous avons quand même internet et les applications de visioconférence ». Ce qui est le cas de Millissa à Liège « même si la tentation est grande de revenir en France pour passer ces moments en famille, nous sommes tenus de respecter les exigences gouvernementales, la rupture du jeûne se fera donc en visioconférence, sur zoom ou sur skype. »
Entrepreneurs actuellement confinés à Dubaï, Abdel et Lina, qualifient cette période de « conviviale, remplie d'amour, de partages et de spiritualité ». Sauf que cette année « les choses ne se dérouleront pas comme les années précédentes. Nous ne partagerons pas de repas avec nos familles et nos amis. ». Pour Daffa, expatrié à Istanbul, elle regrette les « longues tablées installées par la mairie, symbole de communion et de partage ». Tout comme Clément à Paris : « cette ambiance de se retrouver va me manquer, c'est un vide qui va se créer étant donné l'habitude d'être souvent invité et d'inviter pour partager ce moment ».
Mazen, expatrié en Jordanie, dit regretter profondément de ne pas pouvoir aller « chercher les desserts frais chaque soir pour les fins de repas ».
« Je pense que le Covid19 va impacter les habitudes alimentaires car pendant le Ramadan ici, les gens commandent beaucoup dans les restaurants et cuisinent moins. Cette année avec l'inquiétude et la méfiance, je pense qu'ils vont plus cuisiner et moins commander. » nous apprend Irchad, assistant manager dans le prêt à porter à Oman.
Mains gantées mais pas liées
Chaque musulman est dans le devoir de charité, qui constitue l’un des cinq piliers de l’islam. Le Ramadan est toujours une période de dons et d’entre-aide. Pour Daffa « durant ce mois de partage, j'ai pour habitude d'acheter des denrées de première nécessité pour une association mais je ne sais pas dans quelle mesure cela sera possible cette année. ». A Istanbul, une mosquée s’est transformée en supérette gratuite. Les étagères à chaussures des personnes venues prier sont maintenant remplies de denrées alimentaires et de produits de première nécessité. « Après la suspension des prières, j'ai eu cette idée de faire revivre la mosquée en donnant aux gens aisés l’opportunité d'aider les nécessiteux » explique Abdulsamet Cakir, Imam de la Mosquée Dedeman.
Au Maroc, Siham a été prise de court par la fermeture des frontières et n’a pas pu rejoindre son pays natal à temps. Mais elle se dit « confinée dans le partage d’amour, de paix et d’abondance ». Sur les réseaux sociaux, elle a « découvert l’ampleur de la solidarité mise en place par les citoyens marocains ». Même si elle se « dépêche pour vite rentrer » lorsqu’elle fait ses courses, Siham remplie un sac de course pour des personnes dans le besoin. Elle envoie ensuite « un message Whatsapp à Abdellah qui propose ses services sur les réseaux. Avec sa voiture, il se déplace chez les particuliers pour récupérer les dons de sacs de courses et les distribue aux familles démunies et à mon étonnement après chaque distribution, il m'envoie une vidéo de la distribution et les remerciements de la famille nourrie. »
Kahina, infirmière à Kuala Lumpur a aussi remarqué cela « la Malaisie étant un pays musulman le Ramadan est un mois très important ici, en cette période de confinement la Malaisie est très solidaire envers sa population, de nombreux centres ont été ouverts pour accueillir les plus démunis. De la nourriture et un endroit pour dormir leurs sont offerts. La solidarité se fait aussi entre le peuple, notre propriétaire actuellement a même reporté nos mois de loyer jusqu'à la fin du confinement. »
Pour l’Association culturelle des musulmans de La Garde dans le Var, l’idée que la prière se fasse à la maison a été acceptée, mais pas question qu’ils renoncent à leurs actions caritatives. « Une centaine de personnes a déjà fait une demande d’aide de colis alimentaires, soit deux fois plus que la normale. Parmi elles, nombreux sont les étudiants qui ont perdu le job qui leur servait à financer leurs études, ou encore des familles éprouvant des difficultés à cause du chômage partiel » explique Saïd Hichouri, président de l’association. Une initiative qui a trouvé des échos à l'étranger.
Du positif, malgré tout !
Durant ce neuvième mois du calendrier hégirien, les rues et les habitations des pays musulmans se couvrent de lumières et de couleurs, donnant à la population un sentiment de vraie joie et de féerie. Mazen nous livre qu’il « attend chaque année pour voir (sa) ville illuminée, c’est un moment magique. Mais puisque je ne peux pas le vivre cette année, j’ai décidé de recréer cette ambiance à la maison en faisant des travaux manuels de décoration avec ma famille. On a invité la magie dans notre confinement ». Alors que Siham aime ce confinement pour « observer le silence régner sur la belle ville ocre de Marrakech. »
Mazen nous confie avec humour que le confinement est à double tranchant « lorsqu’on jeûne et qu’on a faim, on devient plus susceptible, ça se voit chaque année sur les marchés durant le ramadan. Là, on ne se disputera qu’en famille, en plus sans possibilité de prendre l’air, ça va être un vrai défi ! ».
Les familles ont l’habitude d’aller faire les boutiques durant cette période. Le confinement pour Irchad est une « joie, ce sera (son) premier Ramadan dans la sérénité la plus totale car le ramadan est une période très agitée au magasin et nous fermons tous les jours à minuit voire à 1h du matin le week end durant ce mois. »
Pour Daffa « cette ambiance inouïe, je la vois comme une occasion unique de retraite spirituelle ! Confinée, donc mis à part de la gestion du quotidien, le temps sera propice pour se recentrer sur soi, prier et méditer ! », tout comme Abdel et Lina « nous pensons que cela nous permettra de mieux nous retrouver nous-mêmes, ensemble et individuellement. »
Michel Phan nous confie que « le temps en confinement se transformera en temps libre pour lire, se recueillir, méditer, relativiser et apprécier les petits moments simples de la vie. Cela nous renvoie vers les priorités du quotidien et aussi nous pensons beaucoup aux plus démunis qui n'ont ni famille, ni logement, ni foyer chaleureux. »
« Ce mois de Ramadan singulier est précieux car il restera émouvant pour nous tous, comme un rappel que la vie est fragile et qu'il nous faut œuvrer pour le bien tant que l'on peut encore. » nous conseille Millissa.
Kahina, sur le même ton, se rappelle que « nous sommes en lieu sûr avec nos enfants en bonne santé, ce qui est un bonheur. Nous sommes optimistes et nous disons que cette épreuve va bientôt se finir et nous retrouverons nos familles pour passer encore de meilleurs moments ensemble. »