Vous courez depuis quelques jours afin de choper le dernier cadeau pour les beaux-parents et boucler vos valises dans les temps. Votre esprit est déjà aux vacances en France : la tournée des amis, les apéros qui s’éternisent, les barbecues au vert…Aucun nuage à l’horizon, si ce n’est LA réflexion qui dérange. Florilège.
#1 T’es pas très bronzé(e) pour quelqu’un qui vit sous les tropiques
Si l’on prend en considération : 1/que c’est la mousson depuis deux mois 2/qu’avant ça, soit le seul astre sous lequel vous vous exposiez était la clim du bureau, 3/ soit vous fuyiez le trou de la couche d’ozone comme la peste, alors oui effectivement, vous n’êtes pas très bronzé(e).
# 2 La prochaine fois, essaie de rester un peu plus longtemps
Alors que vous avez l’impression de faire un marathon pour réussir à voir tout le monde, entre l’Alsace, la Bretagne, Paris et le Lubéron - le tout en 4 semaines - cette réflexion, aussi bien intentionnée soit-elle, passe souvent mal.
#3 C’est toi qui régales du coup ?
Les clichés autour de l’expatrié(e) fortuné, triplant son salaire à l’étranger et entouré d’une équipe d’employés domestiques, ont encore la vie dure. Or, vous qui êtes en contrat local, dinez à l’échoppe du coin de la rue 6 jours sur 7, et avez dépensé les ¾ de votre dernier salaire dans le billet d’avion pour rentrer, espériez plutôt mettre les pieds sous la table que payer des tournées parisiennes à 50 euros.
#4 C’est un peu les vacances dans les vacances pour toi là ?
Non (cf #1). Toujours pas.
#5 T’avais qu’à pas partir
C’est vrai que personne ne vous a forcé(e). C’est vrai aussi que globalement, vous avez gagné en qualité de vie et êtes plutôt satisfait(e) de votre vie à l’étranger. Mais force est de constater que l’empathie envers les états d’âme et coups de mou des expat’ est une espèce rare. Difficile de raconter ses difficultés sans se voir rétorquer, peu ou prou : « l’étranger, tu l’aimes ou tu le quittes » !
#6 On ne va pas pouvoir vous rejoindre, 2h de route c’est un peu long pour les enfants…
Alors que vous venez de faire un Chengdu – Perros Guirrec en 36 heures, dont 4 de sommeil (à cause de vos chérubins et leur mal de l’air), qu’à peine posé(e) dans la maison de vacances, vous avez dû partir faire la tournée des popotes, il peut arriver que vous ayez tendance à oublier la complexité d’un trajet de 2 h avec des enfants en bas âge. Pour éviter d’être désagréable (et de le regretter, après tout, ce sont vos amis les plus chers et vous ne les avez pas vus depuis un an), mieux vaut méditer sur le fait que tout est relatif, que pour eux c’est vraiment une situation inconfortable…ou aller vous coucher : demain sera un autre jour !
#7 Et il y a des supermarchés là-bas ?
« Non. On mange des cailloux et des racines » (oh vous, vous n’avez pas écouté mon conseil précédent. Au lit on vous a dit !).
#8 Quand est-ce que tu vas te poser ?
Sous-entendu : "c'est bien mignon tes histoires mais il faudrait peut être commencer à penser à la vraie vie, tu sais, une vraie carrière... les cotisations retraite, tout ça tout ça"... Comme si votre vie à l'étranger était moins susceptible de prétendre au graal de la "vraie" vie hexagonale. Sauf que - même si certains s'acharnent à ne pas le comprendre - c'est ça votre vie, et c'est en dehors des frontières que vous avez choisi de vous accomplir professionnellement et personnellement.
#9 Tu as des pistes pour trouver du boulot en rentrant ?
Vous êtes partis depuis à peine un an et n’avez peut être pas encore trouvé l’activité qui vous fait vibrer dans votre pays d’accueil (ou êtes en train de commencer à envisager une reconversion) qu’il faudrait déjà planifier réinsertion hexagonale et devancer le (oh mon dieu) potentiel trou dans le CV. A croire que le remède miracle pour rassurer un Français, c’est que son copain « ait des pistes » dans sa recherche d’emploi.
#10 C’est normal qu’on ne donne pas de nouvelles : on n’a rien à dire par rapport à toi !
Entre les expatriés et leur entourage resté au bercail, la communication se conçoit souvent à sens unique. Comment vous, qui chaque jour, chevauchez votre éléphant, sauvez des enfants de la famine (et des tribus de la montée des eaux - tant qu’à faire), avez une conversation muette (mais néanmoins spirituelle) avec le dernier chaman du village… pouvez avoir l’audace de demander à votre ami parisien de vous raconter, lui aussi, son métro-boulot-dodo ? Attention à cette conversation sur qui a le quotidien le plus piquant et qui a appelé l’autre en dernier : vous n’en sortirez pas vivant…
Les clichés et raccourcis sur le monde merveilleux des expatriés sont légion. Mais comment en vouloir à ses proches ? Car c’est seulement en vivant la vie d’expat’ qu’on la connaît réellement. Toutes ces réflexions manifestent avant tout leur l’intérêt, admiration parfois, bienveillance toujours, aussi maladroites soient-elles. Alors expliquez, réexpliquez, radotez tant que vous pouvez. Comprenez-les aussi. Et surtout lâchez prise et tentez de bâillonner, le temps d’un été, votre susceptibilité à fleur de peau.