L’ÎLE DE NIAS au large nord-ouest de Sumatra, s’étire sur environ 120 km pour une largeur moyenne de 40 km, à l'écart des grandes routes commerciales qui empruntaient le détroit de Malacca. Les Niha, « les hommes », parlent une langue austronésienne, sans écriture jusqu'à l'arrivée des missionnaires à la fin du XIXe siècle. De ce fait, comme très souvent dans l’Archipel, il est compliqué de remonter le fil de l’histoire. En s’appuyant sur les généalogies royales mémorisées par les Anciens, la venue des Niha en provenance de Sumatra s’établit à plus de 52 générations, soit plus de 1.300 ans.
Une île culturellement très riche
L'île est culturellement très riche, autant pour son habitat - l’un des plus remarquables de l’Indonésie (article du Petit Journal "Une île une maison : les Omo Sebua de l'île de Nias" cliquez ici) - qu’en expressions mégalithiques variant selon les régions et les clans.
Le nord, le centre et le sud ne pouvaient guère communiquer à cause de conditions géographiques difficiles ; sans grands échanges, ils gardèrent leur identité. Cependant, une ligne directrice peut être tracée : l’érection de mégalithes était d’une part liée aux « fêtes de mérite » - dites owasa – et d’autre part aux funérailles. Les premières étaient organisées par un individu de son vivant afin d’afficher son pouvoir, sa richesse et sa bravoure. Les réalisations lithiques étaient disposées devant chez lui pour l’immortaliser à jamais. Les secondes honorent un mort, parfois de nombreuses années après son décès, et les monuments commémoratifs prendront place un jour devant la maison familiale. Ce sont des bancs ou sièges de pierre où s’installera l’âme des ancêtres conviée à descendre par le prêtre lors d’évènements importants. Ces témoins de la vie sociale ont entre 300 et 150 ans... pour des habitants qui occuperaient les lieux depuis 1 300 ans... un maillon manquant...
A chaque région sa particularité
Au sud, outre les escaliers et chaussées dallées, ce sont les daro-daro qui retiennent l’attention. Le village royal de Bowömataluwo en possède deux, de 1881 et 1914. Ces pierres plates marquaient la fin du rituel owasa et les sculptures sur celles-ci montrent l’influence occidentale : présence de cadenas gravés sur des coffres, soldats, rosettes etc...
Celle de 1914, en l’honneur de Saonigeho, le fils du fondateur du village, mesure 4 x 2 x 0,4 m et pèse 10 tonnes. Elle a été transportée par 525 hommes sur 3 km avec 300 m de dénivelé et a nécessité le sacrifice de 1.500 cochons. Le fauteuil d’honneur de Hilisimaetano aurait été sculpté pour un chef vivant dans la première moitié du XIXe siècle, ce qui explique la présence de fusils à pierre dans les mains du monstre dont le corps forme le siège.
C’est au centre de l’île que le registre lithique est le plus vaste. Très présents sont les osa-osa, « sièges » circulaires ou rectangulaires dont la forme rappelle une selle décorée à l’avant d’une ou plusieurs têtes animales :
- un calao (il est beau et symbolise les vertus les plus méritoires),
- un cerf (il incarne le courage et la fierté)
- un lasara à large gueule lippue, langue pendante,
- crocs de sanglier ou de tigre et bec de calao.
La tête est surmontée de cornes et d’oreilles parfois pourvues de boucles. Le cou est souvent orné de kalabubu (collier des coupeurs de tête), indiquant que la sculpture a donné lieu à un sacrifice humain. C’est un protecteur et il renforce le pouvoir. Le récipiendaire s’y juchait et les hommes du village lui faisaient faire neuf fois le tour de la place centrale en signe de renaissance.
C’est dans la région de Gomo que la profusion de pierres est la plus grande, ce qui atteste de sa richesse, fruit du trafic des esclaves. Il permettait d’acheter aisément l’or nécessaire aux fêtes de mérite.
Outre les osa-osa, les niogadji ou tables rondes portées par un pied central sont très nombreuses. Les femmes dansaient sur le plateau lors des fêtes qui leur étaient dédiées. Les plus grandes peuvent atteindre 2,4 m de diamètre.
Mais l’élément le plus important est sans aucun doute le behu, pierre verticale au sommet de laquelle on exposait la dépouille du chef. La tête seule était déposée au pied du behu avant d’être hissée dans la toiture de la maison, à l’emplacement où sera placé l’adu, statuette en bois qui sera le réceptacle de son âme. Un dolmen était parfois élevé au pied du behu, ce qui indiquait que le défunt avait accompli l’osawa.
Les gowe, simples lames dressées ou statues anthropomorphes peuvent atteindre 2,8 m. Les villages en ont un ou deux mais certains sites en recèlent une dizaine. Les ancêtres représentés sur les gowe le sont en position infléchie ou assis sur un petit tabouret. Le menton est presque toujours absent, se terminant au ras de la bouche par une section rectiligne (style dongsonien). Les moustaches sont présentes, les yeux sont exorbités et les pupilles marquées. Les mains tiennent un récipient (mortier à bétel ?) ou des spatules (pour étaler la chaux ?).
Les gowe salawa sont des statues avec les bras sur les seins, position du chef qui protège son peuple, comme le fait une mère pour son enfant. Cette qualité s’ajoute à la virilité discernable au phallus dressé alors que le statut de chef est affirmé par les colliers, bracelets, un bandeau et une coiffe. Certains gowe sont hermaphrodites, combinant la mère nourricière et la force du guerrier.
Dans le nord et l'ouest de l'île, le mégalithisme s'est surtout exprimé sous la forme de statues pouvant mesurer 4 m de haut. Elles sont liées à des clans dominants qui ont transporté avec eux cette tradition pendant leurs migrations du centre au nord-est, puis de l'est à l'ouest de l'île.
La société de Nias reposait sur un système de castes mettant en exergue la notion de pouvoir. La chasse aux têtes et l’érection de mégalithes étaient une manière d’acquérir ou de renforcer son prestige. Non seulement le mégalithe était l’identité d’une personne - établie par l’osawa ou fixée par un rite mortuaire - mais c’était aussi celle d’un clan et de l’ordre social en vigueur. Là réside l’originalité du système niassais.