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WWF : quel rôle d’une ONG environnementale en Turquie ?

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Écrit par Pauline Robert
Publié le 18 mars 2020, mis à jour le 4 avril 2024

C’est la question à laquelle Lepetitjournal.com Turquie a tenté de trouver une réponse, en interrogeant une responsable turque du fonds mondial pour la nature (WWF), organisation internationale de préservation de l’environnement.

Entretien avec la Dr. Neyran Akyıldız, responsable du pôle développement des ressources et partenariats d’entreprise chez WWF-Turquie, afin d’aborder le rôle de l’ONG dans le pays.

Le parcours personnel de Neyran Akyıldız ne la destinait pas à s’engager pour l’écologie. D’abord étudiante en économie et en relations internationales, elle débute sa vie professionnelle dans le milieu du commerce : “la logique de profit était au cœur de notre enseignement, nous n’avons que très peu étudié les limites du système de l’économie de marché, lors de ma vie de col blanc j’ai senti que j’avais besoin d’une nouvelle orientation.”

C’est lors de la naissance de ses enfants qu’elle prend conscience de la situation de la Turquie : "il n’y avait qu’un seul marché bio pour les 15 millions de personnes vivant à Istanbul”. 

C’est finalement la réunion de plusieurs facteurs qui l’ont poussée à s’engager chez WWF : “j’avais envie de me sentir utile”.

Quelles actions concrètes se cachent derrière cette étiquette de responsable du pôle de développement des ressources et des partenariats d’entreprises ?

NA : Je suis responsable du développement des fonds, cela consiste à faire connaître les travaux de WWF afin d’obtenir des soutiens, qu’ils soient financiers ou non. Par exemple, il existe la possibilité pour un individu “d’offrir” à une espèce en voie de disparition. L’argent versé lors de "l’adoption" permet de contribuer à la préservation de l'espèce en question. WWF travaille en se basant sur des données scientifiques, les dons et achats permettent de financer ces données qui constituent ensuite le cœur de nos rapports. Un des rapports les plus importants est celui nommé Planète Vivante publié tous les deux ans. Le dernier date de novembre 2018, et constate que dans les quarante dernières années, 60% des espèces ont disparues.

Cela devrait nous pousser à repenser notre modèle de production. La Turquie a l’opportunité de pouvoir repenser les mécanismes économiques, et de ne pas reproduire ceux des Occidentaux. Je vois ça comme une chance.

Quelles sont les politiques menées pour impulser des modifications de la vie quotidienne en faveur de l’environnement ?

Une loi a été votée, entérinant l’interdiction de donner des sacs plastiques dans les commerces ; aujourd’hui, les consommateurs ont la possibilité d’en acheter. Cette loi est une avancée mais ses conséquences sont limitées : si la consommation de sacs plastiques a diminué, leur achat est devenu automatique. Les sacs vendus contiennent moins de plastique et se dégradent plus rapidement, cependant ce sont toujours des déchets à usage quasi unique. De plus, cela ne concerne pas les mosquées où on distribue des sacs pour garder les chaussures, l’achat de nourriture aux vendeurs de rue etc. Il y a encore des progrès à faire.

Notre ONG collabore avec les autorités sur des programmes nationaux comme le Zero Waste Project et à l’inverse le gouvernement soutient certaines de nos actions, comme notre programme de promesse en ligne qui avait pour vocation d’inciter les Turcs à modifier leurs habitudes en faveur de l’environnement. Chaque personne cliquant pour faire une promesse doit essayer de changer une chose dans son quotidien, en faveur de l’environnement. En 2018, 110 000 promesses ont été faites [sur toute la Turquie], et c’était la première fois qu’une action recevait une telle audience. C’est un début !

En dehors des collaborations avec l’État, quelle est la stratégie de WWF pour sensibiliser les Turcs aux enjeux environnementaux ?

Nous travaillons à plusieurs niveaux à la fois. Avec les entreprises d’abord, par exemple Yemeksepeti [entreprise de livraison de repas à domicile], nous avons coopéré pour laisser aux consommateurs le choix de refuser l’ajout de pailles, de couverts en plastiques, ou de lingettes pour les mains, avec leur repas.

Cependant, certains restaurants qui travaillent avec Yemeksepeti continuent à les ajouter aux repas... Là aussi, ça n’est que le début.

WWF collabore aussi avec des chaînes de restaurants à Istanbul sur un programme de diminution des déchets, notamment des produits à usage unique. Le potentiel de ruissellement de telles actions de la part des restaurants est important. On part des entreprises pour déclencher une prise de conscience individuelle.

Une stratégie complémentaire est aussi appliquée : sensibilisation dans les écoles, au niveau individuel. Le projet Pionniers de l’environnement a été mené dans 100 écoles, et concernait 1000 élèves. Les enfants ont eu l’opportunité de proposer un projet de préservation de leur environnement en choisissant un des quatre thèmes (plastique, gaspillage alimentaire, eau, biodiversité). Ce concours a permis de faire participer les enfants tout en les conscientisant sur les enjeux environnementaux.

Nous souhaitons reproduire et élargir ce projet en 2020 afin d’atteindre 2000 élèves. Pour cela, nous avons organisé une levée de fonds grâce au marathon d’Istanbul pour lequel une équipe de 384 bénévoles a couru. Les objectifs ont été atteints et je suis fière de pouvoir grâce à cela élargir nos ambitions.

A une autre échelle, WWF collabore également avec les municipalités. Izmir a par exemple pour vocation de devenir une “ville plastic smart” par la diminution du plastique non nécessaire et un meilleur système de recyclage. Les îles aux Princes se sont lancé le défi de devenir zéro déchet, via la signature d’un accord avec le ministère de l'environnement.

Dans ces accords WWF est un médiateur, un acteur dans les négociations.

Tous ces programmes de réduction des déchets soulèvent une question importante : celle de l’eau...

L’usage de bouteilles en plastique ne peut être remplacé qu’à condition de fournir de l’eau potable via des fontaines par exemple. Nous avons pour projet d’aider la municipalité d’Istanbul à construire des fontaines à eau. Cela fait partie de la culture ottomane, on peut le voir dans le vieil Istanbul de Sultanahmet. Il y a peut-être, là, un moyen de renouer avec notre culture, tout en œuvrant pour l’écologie.

L’eau est en réalité un business à Istanbul, et la quantité de déchets produite n’est que très peu encadrée par un système de tri. Il existe dans la ville des points de collecte des bouchons et des bouteilles en plastique, malheureusement le plus souvent contaminés par d’autres déchets déposés là. A cause de cela, le coût du système de tri et de recyclage n’est pas amorti.

Avez-vous participé à des manifestations en faveur de l’écologie ? Comment ces mobilisations sont-elles reçues par les autorités ?

Avec WWF nous avons récemment apporté notre soutien aux grèves étudiantes pour le climat.

Nous nous sommes également déplacés avec des bénévoles, à Çanakkale dans le nord-ouest de la Turquie, pour protester contre un projet d’extraction d’or par cyanuration. 100 000 arbres ont été abattus... L’ampleur de la contestation sur place m’a remplie d’espoir. Nous n’avons pas pu empêcher la déforestation mais la mobilisation et la solidarité des ONGs locales et nationales, des citoyens, des dirigeants locaux a permis le retrait de l’accord à l’entreprise canadienne pour la mise en œuvre de son projet. Je dirai que nous travaillons ensemble avec plusieurs ministères et municipalités pour la prise en compte systématique des enjeux environnementaux dans les projets industriels et les projets de la préservation de la nature. L’implication d’Emine Erdogan sur ces questions avec, par exemple, le lancement du Zero Waste Project, est importante puisqu’elle permet d’ouvrir le dialogue entre la société civile et les autorités.

 

Le bilan de cette rencontre est le suivant : si la question écologique n’occupe pas le même espace en Turquie que dans certains pays plus développés, elle n’est pas pour autant inexistante. Les politiques publiques sont vectrices de changement des habitudes, et les ONG comme WWF jouent un important rôle de médiateur entre la société civile et le gouvernement. Ceci n’est donc que le début, pour la Turquie, d’une transition vers un modèle de société plus durable.

Consulter le site de WWF Turquie

Pauline Robert

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