Comme partout dans le monde, mercredi 25 novembre, la Turquie a célébré la journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes, question épineuse dans le pays, alors que les violences domestiques envers les femmes sont en augmentation, bien que ces dernières aient de plus en plus de ressources pour signaler des actes violents.
Pour certains, le système patriarcal turc justifie les actes de violence à l’encontre des femmes. Chaque année, trop nombreuses sont les femmes sauvagement assassinées alors qu’elles refusent de se marier avec un prétendant choisi par leur famille, ou simplement car elles décident de quitter leur partenaire. Par ailleurs, de plus en plus de "suicides suspects" sont enregistrés (une centaine par an).
Des centres de soutien pour les femmes victimes de violences domestiques
Les ŞÖNIM sont des centres de prévention et de surveillance de la violence créés en 2013 (à l’échelle nationale) par le ministère de la Famille ; ce sont des lieux vers lesquels les femmes peuvent se tourner lorsqu'elles sont confrontées à la violence domestique. Ces centres offrent une aide dans plusieurs domaines tels que : la santé, le soutien psychiatrique, les procédures judiciaires. Depuis sa création, plus de 500 000 femmes ont bénéficié des services de ces centres en Turquie. En janvier 2020, le vice-président turc, Fuat Oktay, indiquait que toutes les 7,5 minutes, une femmes s'adresse à un ŞÖNİM pour une demande d'aide.
Parmi les associations ou fondations qui viennent en aide aux femmes victimes de violences en Turquie, on trouve par exemple Mor Çatı (toît violet), une fondation créée à Istanbul en 1990, et qui dispose d’un centre de solidarité offrant à la fois des services juridiques et psychologiques aux femmes et à leurs enfants dans le besoin, et aussi un refuge. Plus de 40 000 femmes ont bénéficié de l'aide de Mor Çatı depuis sa création. En 2019, la majorité des femmes bénéficiaires sont mariées et dans la tranche d'âge 25-34 ans.
Des applications pour la protection des femmes victimes de violences domestiques
En mai 2018, l’application KADES a vu le jour. Elle propose, par un système de notification, de l'aide d'urgence aux femmes. Mise en place par le ministère de l’Intérieur, cette application joue, selon Süleyman Soylu, le ministre de l’Intérieur, un rôle clé dans la lutte contre les violences domestiques. En début de semaine, il indiquait que, depuis sa création, plus de 620 000 personnes avaient téléchargé KADES, et que près de 50 000 signalement avaient été donnés, 24 000 cas de violence domestique arrêtés.
Une autre application, KIRMIZI ISIK (feu rouge), mise en place en 2014 par l’opérateur téléphonique Vodafone (avec la collaboration du ministère de la Famille), propose également un outil qui permet d’alerter la police en cas de violence domestique. L'application a été téléchargée près de 350 000 fois (et connaît une forte demande ces derniers mois). L’application propose aussi l’envoi d’alerte, en secouant le téléphone, à trois personnes préenregistrées, ou encore une possibilité de partager sa position avec des personnes de son choix. La particularité de cette application est qu’elle est disponible en langue arabe, à destination des femmes réfugiées en particulier.
Si ces applications permettent de sauver des femmes de l’emprise de la violence, elles demeurent insuffisantes au regard de l’augmentation des féminicides. Et encore faudrait-il que les femmes menacées aient accès à un smartphone pour les télécharger…
Des chiffres toujours très élevés
Les derniers chiffres du ministère de l'Intérieur montrent que 234 femmes ont été tuées entre le 1er janvier et le 20 novembre dans le pays ; cependant, à en croire l’association Kadın Cinayetlerini Durduracağız, ce nombre s’élèverait en réalité à 353, et il serait même proche de 400 selon certaines sources parlementaires. Cette année, la question s’est retrouvée régulièrement sous les projecteurs, notamment grâce aux réseaux sociaux, où les actes de violence envers les femmes sont de plus en plus relayés. Par ailleurs, les questionnements autour de la dénonciation ou non de la Convention d’Istanbul ont créé une grande émotion et largement mobilisé les Turcs.
Dans le cadre de la célébration du 25 novembre, la Première dame, Emine Erdogan, a réagi à la manière dont trop souvent les médias présentent les violences à l’égard des femmes, déclarant que : "les meurtriers, les chefs de la mafia et les intimidateurs ne doivent pas être présentés comme des modèles".
Notons que ce lundi 23 novembre, le parquet d’Ankara a abandonné les charges retenues contre des policiers qui avaient utilisé la force contre un groupe de femmes à Ankara en décembre 2019, alors qu’elles interprétaient la danse "Las Tesis"*, afin d’attirer l’attention sur l’augmentation des féminicides en Turquie.
Pour aller plus loin : ARTE Regards - Féminicides en Turquie : la révolte des femmes
* "Las Tesis" est le nom d'un collectif féministe né au Chili en 2019. Leur performance "Un violador en tu camino" (Un violeur sur ton chemin) est devenue un hymne féministe à travers le monde.