On entend beaucoup parler, en ce moment, de l’Université de Galatasaray (GSU), objet d’un différend -que l’on souhaite passager- entre la France et la Turquie au sujet de la nomination des professeurs, la France obligeant les enseignants turcs des ELCO devenus EILE, soit "Enseignements internationaux de langues étrangères", à posséder un niveau B2 de français et la Turquie imposant aux professeurs français de GSU un niveau B2 de turc, ce qui empêcherait nombre d’entre eux de continuer à y enseigner.
Je souhaiterais aujourd’hui rappeler l’importance capitale de l’institution de GSU dans les relations franco-turques, en résumant brièvement l’histoire de sa création.
En effet, celle-ci fut le fruit d’un long travail de collaboration entre les deux pays qui avaient déjà signé, le 17 juin 1952, un accord culturel prévoyant "la création et le développement, dans les universités ou autres établissements d’enseignement situés sur [leur] territoire, de chaires, cours ou conférences traitant de la langue, de la littérature, des institutions et de l’histoire du pays de l’autre…", renforcé en 1968 par une convention de coopération technique et scientifique ; ces ententes avaient abouti plus tard à la mise en place de Centres culturels français, les actuels Instituts français de Turquie, ou à celle du Centre Culturel Anatolie à Paris, mais aussi à une multiplication des échanges d’enseignants.
Dans la foulée, d’éminents professeurs, diplomates et anciens élèves du lycée de Galatasaray consacrèrent des années d’efforts à une "commission" envisageant de créer une université et enfin, le projet fut discuté entre les présidents de la république des deux pays, Turgut Özal et François Mitterand, lors d’une entrevue à l’Elysée, en juin 1991.
Ce fut ainsi que l’on parvint à la journée historique du 14 avril 1992, où un accord bilatéral entérina la fondation de l’Etablissement d’Enseignement Intégré de Galatasaray, englobant une école primaire, le célèbre lycée et un établissement d’enseignement supérieur qui deviendra, en 1994, l’Université de Galatasaray. On ne rendra jamais assez hommage aux personnes qui, des deux côtés, vouèrent une partie de leur existence à la concrétisation de ce louable projet !
Quelle est la spécificité de l’Université de Galatasaray ? Ce n’est pas seulement sa localisation exceptionnelle dans un édifice historique au bord du Bosphore. Elle comporte actuellement cinq facultés, Droit, Communication, Ingénierie et Technologie, Sciences économiques et administratives, Sciences et Lettres, avec une multitude de départements qu’il serait trop long d’énumérer ; on peut ajouter de nombreux Instituts destinés à la préparation des Masters et Doctorats, une École supérieure des Langues étrangères, un Centre de Formation Continue, un Centre de recherches et d’application en Développement de carrière et une École professionnelle. Un Bureau des Relations Internationales y organise les échanges avec 145 établissements étrangers, dans le cadre du programme Erasmus. De plus, le groupe "Entreprises Galatasaray" y est chargé des relations avec les entreprises françaises implantées en Turquie. Qui sont les enseignants ? Des professeurs turcs mais aussi une trentaine de professeurs d’université français envoyés par la France.
En réalité, l’Université de Galatasaray, qui, sur son site, se définit comme "une université publique où l’enseignement se fait essentiellement en français", est beaucoup plus que cela. Non seulement, elle constitue un débouché de choix pour les élèves des lycées francophones de Turquie mais de plus, elle permet à tous les jeunes ayant réussi le très sélectif concours d’entrée d’y apprendre le français avant d’aborder leur cursus universitaire. Car la mission qu’elle s’est assignée est d’être "une université prestigieuse, formant des diplômés engagés dans l’avenir de l’humanité par leurs contributions à la science, leurs projets de responsabilité sociale ainsi que leurs activités de coopération internationale".
Pour atteindre ce but, un nouvel accord du 13 décembre 1993 a établi une coopération avec des universités ou écoles françaises de renom, dont le nombre atteint maintenant la trentaine. Aujourd’hui, GSU fait partie d’un vaste Consortium, c’est-à-dire "un groupement d’universités et d’établissements d’enseignement supérieur français visant à appuyer l’Université Galatasaray dans la réalisation de ses objectifs". Cela signifie en clair que les étudiants diplômés de GSU, d’une part, obtiennent sans aucune difficulté l’équivalence de leur diplôme en France, d’autre part, y sont acceptés dans des préparations de Masters très sélectives, ou que des étudiants français peuvent venir étudier à GSU. En outre, de nombreux doctorants ou chercheurs de GSU sont reçus dans les universités du Consortium pendant que des Français viennent enseigner en Turquie. C’est dire l’importance de GSU pour les relations bilatérales !
Cette célèbre université, qui, en moins de trois décennies, a acquis une réputation d’excellence au plan international, est emblématique de la fructueuse coopération entre la France et la Turquie, qui, dans l’intérêt de tous, doit être poursuivie.
Les relations franco-turques, très anciennes, reposent sur de solides fondements et depuis les lettres de Soliman le Magnifique à François Ier, si elles ont parfois connu des vicissitudes, ce sont toujours la raison et l’amitié qui ont fini par l’emporter…