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L'artiste Saype étend sa chaîne humaine à Istanbul

Saype Istanbul Beyond WallsSaype Istanbul Beyond Walls
Écrit par Marie Meister
Publié le 30 octobre 2020, mis à jour le 11 juin 2023

Lepetitjournal.com Istanbul a rencontré l’artiste Saype à l’Université de Boğaziçi, à l’occasion de la création de trois nouvelles fresques à Istanbul dans le cadre de son projet mondial "Beyond walls".

Guillaume Legros, plus connu sous le pseudonyme de "Saype" (contraction des mots "say" et "peace") est un artiste autodidacte originaire de Belfort (né en 1989), vivant actuellement en Suisse.

 

Saype Istanbul



Après avoir relié l’Europe et l’Afrique, les mains de la farandole passent à présent par la rive européenne du Bosphore et traverse le détroit pour arriver sur la rive asiatique.
C’est donc dans la ville d’Istanbul que Saype a choisi de faire la 8ème étape de son projet mondial collaboratif et multilatéral "Beyond walls". L’artiste veut envoyer au monde un message de solidarité en créant des fresques gigantesques sur l'herbe (dans une trentaine de villes en cinq ans), représentant des mains qui s’entrelacent et s’unissent. À présent, cette chaîne humaine entrelace l’occident et l’orient.

Les trois fresques stambouliotes ont été réalisées : à l'Université de Boğaziçi (rive européenne), sur la Corne d'Or, et dans le district de Beykoz (rive asiatique).

 

Bogazici Saype Istanbul
Université de Boğaziçi

 

Corne d'Or Saype Istanbul
Corne d'Or

 

Saype Beykoz Beyond walls
Beykoz

 

Marie Meister : Bonjour Saype, merci d’accepter de répondre aux questions du Petit journal.com Istanbul. Pourriez-vous revenir sur votre parcours ? Depuis quand utilisez-vous le pseudonyme "Saype" ? 

Saype : J’ai commencé à faire du graffiti quand j'avais 14 ans, on change plein de fois de blase* quand on fait du graffiti, jusqu'à trouver le nom qui convient, et que tu décides de le garder. 

A partir de 18 ans, j’ai décidé de garder le pseudonyme "Saype"**.


Avez-vous depuis toujours baigné dans le monde de l’art ? Avez-vous fait des études en lien avec l’art ?

Non, au contraire, je n’ai jamais été dans un musée quand j’étais gosse !
J’aimais bien le rap, je faisais du hip-hop et aussi j’aimais bien le graffiti, l’idée de se dire que l’on voit de la publicité quand on marche dans la rue, que ça nous est imposé, et avec le graffiti, on se dit ‘pourquoi ils le font et pas moi ?’, j’aimais bien l’idée de faire ma publicité dans la rue.
À l’adolescence, avec mes amis on allait faire des tags sur les murs de la ville, ce qui nous faisait bien rire le matin quand on allait au collège, on voyait nos traces de la nuit !

Pour ce qui est des cours, non, j'en ai jamais pris. J’étais très autonome, même quand j’étais jeune, je n'étais pas dans un collectif d’artistes comme on voit souvent dans le graffiti, j’étais très solo au niveau de la peinture.


Votre travail est-il inspiré par d’autres artistes ? 

Je suis influencé par la rue, par tout. En tant qu’artiste on est inspiré par les expériences de vie. Moi par exemple, j’étais infirmier de formation. J'ai travaillé pendant 7 ans en tant qu’infirmer, et maintenant en tant qu’artiste, je suis hyper influencé par les expériences de vie que j'ai eues en tant qu’infirmer, c’est normal, d’être influencé par ce qui nous entoure.

J’aime certains artistes, mais je ne suis pas directement inspiré par eux. Quand j'ai lancé la peinture sur l’herbe, je n’y connaissais rien à l’art et finalement, c’est plus en étant connu et quand je me suis intéressé à l’histoire de l’art que là, j’ai découvert des artistes. Par exemple Christo, qui a été un pionnier dans le land art.


La première fois que vous avez exposé, vous aviez à peine 16 ans. Quelles étaient les circonstances ? 

Quand j’étais jeune, j'allais dans le sud de la France avec mes potes, on se calait sur les marchés nocturnes, et je faisais des démos de bombes et on les vendait à la sauvette. Un jour un galeriste est passé, il a adoré et a voulu le mettre dans sa galerie.
Il y a un peu une partie de chance, comme dans chaque parcours artistique. J'ai fait beaucoup de rencontres "clé au cours de ma carrière, au moins 50 je dirais…
Par exemple, le projet à Istanbul s’est créé comme ça, je suis venu avec ma femme il y a 1 ans et j'ai fait une story sur Instagram ; puis une femme qui travaille à la mairie de Besiktas, et une autre, curatrice d’art, m’ont écrit en même temps sur Instagram. Le lendemain, je les ai rencontrées puis tout s’est enclenché. 

 

Comment cette idée de réaliser des fresques monumentales est-elle née ? 

Ça vient de plein de facteurs, je vivais à la campagne, j’avais envie de faire un truc encore jamais fait, et en même temps, il y a eu l’apparition des drones à cette époque… Aussi, je lisais beaucoup de littérature sur le bouddhisme et l’écologie. Et dans le bouddhisme, un des piliers, c’est de prendre conscience que tout est éphémère, impermanent, et même les choses que tu as envie de figer, c’est cause de souffrance, car finalement par essence, c’est éphémère, et du coup l’idée de peindre sur l’herbe est venue de là. Et les drones qui sont arrivés en Europe donnaient un accès direct au ciel. J’ai mixé tout ça et je me suis mis à peindre sur l’herbe. Par contre, j’ai pris une année à chercher une peinture qui soit éco responsable***.


Parlez-nous de votre processus de création. Combien de temps "durent" vos fresques ?

Pour m’aider à peindre, j’utilise une sorte de "compresseur", je fais une mise à l’échelle sur mon croquis. Je mets une grille que je reporte directement au sol avec des piquets en bois tous les 4 mètres, ça donne une sorte d’échelle et ça me permet plus au moins de me repérer sur le sol.

 

Saype Istanbul

 

Saype Istanbul


Concernant le temps de réalisation, par exemple la fresque à l’université de Boğaziçi, elle m’a pris 4 jours ; les fresques durent entre 2 semaines et deux mois.


Retirez-vous plus de satisfaction que de frustration quant au caractère éphémère de vos fresques ?

Le caractère éphémère, c’est justement tout le concept. Donc ça ne reste pas longtemps dans la nature, mais ça reste dans la mémoire.

Saype Istanbul


Ma première fresque, par exemple, hyper médiatisée, c’était en 2016 en Suisse et les gens m’en parlent encore. C’était 100 mètres sur 100 mètres, absolument gigantesque, ça prenait toute la montagne.

 
Comment choisissez-vous vos pays ?

Ma femme est d’origine turque, et j’ai un attachement particulier à la Turquie, je suis déjà venu 4 fois. 

L’idée du projet, c’est de créer la plus grande chaîne humaine au monde, du coup quand on commence à y réfléchir, on se dit ‘par où je commence ?’. Et on s’était dit qu’en 2020, on ferait un focus sur l’Afrique, avec le Burkina Faso et la Côte d'Ivoire. On devait aussi faire dans la foulée, le Rwanda et l’Égypte, mais avec la Covid on a repoussé la plupart des dates. Du coup, on a réfléchi un peu par zone géographique. On a fait l'Europe, l'Afrique et maintenant, on a connecté l'Europe et l'Asie. Donc je pense qu’à partir de maintenant on peut aller travailler en Asie. Mais entre le moment où je décide de partir par exemple en Chine, et le moment où ça se concrétise, il faut compter en général entre 6 mois et 1 an. L’organisation représente un travail monstre.

 

Saype Istanbul Paris
À Paris, au Champs-de-mars, en juin 2019 (photo exposée à Taksim Sanat)


Pourquoi choisir ces trois lieux à Istanbul ?

L’Université de Boğaziçi représente la partie européenne de la Turquie, c’est une université connue dans le monde entier, c’est très international donc j’aimais bien, en plus ça surplombe le Bosphore, c’est magnifique. Je devais trouver un lieu assez symbolique sur la partie européenne. La Corne d’Or, c’est juste énorme ! Et le quartier de Beykoz, j’aimais beaucoup, car c'est une partie très traditionnelle d’Istanbul.
Ces trois lieux, à mon avis, rendent bien vus du ciel.

 

Corne d'or Saype Istanbul
Sur la Corne d'Or


Combien de personnes travaillent avec vous sur ce projet ? Travaillez-vous toujours avec l’aide de plusieurs personnes, ou est-ce seulement le cas au vu de l'envergure de votre projet "Beyond walls" ?

On est 4, ce qui n'est pas énorme. Je suis le seul à peindre, j’ai un assistant qui prépare la peinture, car on vient avec nos pigments naturels, et on fait le mélange sur place. J’ai un autre assistant qui fait la vidéo et organise un peu ce qu’il se passe autour comme les questions de sécurité, la signalétique, les autorisations, et puis j’ai un photographe.
Et on est 4 sur tous les autres projets depuis le début, surtout que ce sont mes amis d’enfance.
Mais il y a plus de 100 personnes qui ont bossé sur ce projet à Istanbul. Par exemple, la fresque peinte sur la barque de la Corne d’Or, juste pour sa mise en place, il y avait 50 bus qui ont été réquisitionnés, et quand on a dû la déplacer, il a fallu 3 bateaux et de nombreuses personnes.

 

Comment se passe le financement d’un projet d’une telle ampleur ?

Je tiens à préciser que je ne fais pas que "Beyond walls". J’ai d’autres séries, comme "Human story" où je mets en scène des personnages de tous les jours, et une autre série sur laquelle je n’ai pas encore trop travaillé, qui s’appelle "Trash", où je peins des déchets énormes dans la nature. L’idée, c’est de réfléchir à la connexion qu’on a entre notre consommation et notre rapport à la nature. À Istanbul, d’ailleurs, j’ai halluciné, les gens jettent les clopes partout, leurs bouteilles etc.

Avec "Beyond walls" je ne gagne pas d’argent, j’en perds plutôt ! On est 4 et c’est une année de travail, à plein temps. Après, pour pas perdre de l’argent, on est nourris, logés, on ne paye pas la logistique. Puis on essaye de réduire les coûts de production. Par exemple, là, UPS a pris en charge l’envoi du matériel aller-retour. 

Je vends beaucoup en galerie d’art. Ou des fois je bosse avec des marques, ce qui me permet d'autofinancer mes projets.

Pour le projet en Afrique par exemple, je suis parti un mois et j’ai tout auto-financé.
Il est vrai que je suis maintenant assez connu, mais d’un autre côté, j’ai envie que mon projet fonctionne et qu’il reste pur, car généralement, quand on a des financements derrière, on ne peut pas trop faire ce que l’on veut, et là comme je n'ai pas d’argent, j’arrive encore à dire que c’est "mon" projet, ‘je vous l’offre, mais je fais comme je veux !’

J'ai fait une exception à Turin, car j’avais bossé avec la marque de café Lavazza et j’étais devenu assez ami avec la directrice générale du groupe, qui a accepté de sponsoriser. Mais comme je la connaissais, et que le projet lui plaisait, je savais à quoi je m’engageais. 


La crise sanitaire a-t-elle affecté vos projets ? 

C’était une galère. On devait aller faire un projet auquel je tenais beaucoup pour les 75 ans de l’ONU à New York, car je les avais faits à Genève avant, et ils nous voulaient à New York aussi.
Fin septembre, il y a un événement qui s’appelle High-Level meeting, où tous les chefs d’états viennent discuter des grosses problématiques de l’année, et on devait fait l’ouverture de cet événement.
On était tous super heureux, on a organisé ça pendant 6 mois, on obtient tous les papiers qu’il faut pour aller là-bas, et deux jours avant de partir, fermeture des frontières ! On a dû reporter au printemps prochain, mais bon ça ne sera pas exactement la même chose. C’est très frustrant.


Concernant votre exposition à Taksim Sanat, l’emplacement était-il un choix spécifique ?

Oui, pour l’histoire de la place Taksim, c’est central, et au niveau historique à Istanbul à chaque fois qu’il y a un coup d’état ou ce genre de choses, c’est là-bas… ! 

Le projet, il parle de ça aussi, l’implication au niveau social. Et en plus, c’est dans un métro, où passent un million de personnes par jour, on ne peut pas trouver mieux niveau visibilité.


Vis-à-vis des problème actuels entre la France et la Turquie, avez-vous ressenti une certaine tension en tant que Français ? 

Non personnellement, je ne ressens pas de tension.


Pour conclure, que préférez-vous à Istanbul ?

J’adore Ortaköy, c’est un quartier très sympa, j’aime beaucoup y aller. Puis j’adore la culture turque, la nourriture, les gens sont chaleureux et l’accueil des Turcs est incroyable, ils savent accueillir !

 

Saype Taksim Sanat

 

Vous pouvez retrouver l'exposition de Saype au Taksim sanat (métro de la place Taksim) jusqu’au 8 novembre 2020.

Les oeuvres de Saype seront exposées sur la façade de l'Institut français de Turquie (Taksim, rue Istiklal) à partir du samedi 7 novembre.

 

Saype Beyond walls

 

Pour suivre l'artiste

Instagram

Site internet

 

* Nom / pseudo.

** Une invitation à la paix, une déclaration de son engagement social et écologique.

***  Sa peinture est composée de pigments naturels mélangés à de l’eau, de la craie et du charbon de bois.

 

 

Marie Meister
Publié le 30 octobre 2020, mis à jour le 11 juin 2023

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