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Göknur Gündoğan : faire connaître les cépages turcs 

D’abord spécialisée en culture et communication, Göknur décide d’orienter sa carrière professionnelle vers le vin. Rencontre avec une jeune femme pleine de dynamisme, qui a déjà eu une vie bien remplie avec un parcours impressionnant, et cultive encore plein de beaux projets !

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Écrit par Albane Akyüz
Publié le 11 mars 2020, mis à jour le 5 mars 2024

Pouvez-vous revenir sur votre parcours ?

Göknur Gündoğan : Je suis née à Izmir en 1982. J’ai commencé mes études au collège Saint-Joseph, puis ai déménagé à Istanbul pour étudier au lycée Saint-Michel. 

Après un double diplôme en arts du spectacle & média-com à Montpellier entre 2000-2005, je reçois une offre pour travailler pour le Festival international du film indépendant Istanbul (IF), pour en faire la com et trouver les sponsors, ainsi que l’achat des films étrangers. J’ai accepté, mais à la condition que je puisse travailler depuis la France, ce que j’ai obtenu !

Puis, entre 2007-2011 je fais un doctorat en tant que boursière en cotutelle entre la France (Université de Montpellier 3) et la Turquie (Université de Bilgi) en culture management. A cette époque, j’avais des cours en Turquie et je faisais la recherche en France. J’écris ma thèse sur Les friches industrielles qui ont été converties en lieu de culture, sujet passionnant, qui s’inscrit dans le cadre du nouveau projet à l’époque de Central Istanbul, projet absolument fascinant. 

En 2007-2008, quand je commence à gagner ma vie, et à m’intéresser à la gastronomie : je contribue à un livre (conseils/construction de la maquette) écrit en turc et traduit en anglais sur la culture culinaire turque Refika’nın Mutfağı, Cooking The New Istanbul Style (aux Editions Boyut), livre qui rencontre un gros succès. J’ai aussi participé à l’écriture du livre sur l’histoire du Chocolat en Turquie, Çikolatanın Yerli Tarihi (aux Editions Yapı Kredi), traduit en anglais. 

Plus tard, j’ai traduit en turc le livre emblématique de la Française Ophélia Neiman Le Vin c’est pas sorcier. Ce livre est aujourd’hui le plus vendu dans le domaine du vin en Turquie. 

Comment avez-vous décidé de vous spécialiser dans le vin ? Et quelle formation avez-vous suivie ?

Je m’intéresse au vin et à la gastronomie dès le début de mon doctorat.  

Je me rends rapidement compte que la cuisine n’est pas tellement mon truc. Le vin, si : c’est le point qui me connecte à la terre. J’ai réalisé que je passais ma vie à baigner dans la culture, mais que je ne connaissais pas la terre, que je ne savais même pas comment pousse une plante. 

Aussi, j’avais en tête l’exemple des "Köy enstituleri", qui existaient jusque dans les années 1960, formation dont mes grands-parents étaient issus. Il s’agissait d’instituts de village, qui formaient des gens à faire le pont entre la terre et la culture, où la musique, entre autres, avait une place importante. Par la suite les personnes formées pouvaient devenir profs par exemple. 

J’avais donc besoin de me rapprocher de la terre, lier la terre et la culture, je suis allée en Thrace, à Arcadia (vigne), et c’est là que je me suis sentie en connexion avec la vigne, üzüm baği en turc (qui signifie littéralement "connexion au raisin"). 

Pour moi la vigne établit la connexion entre la nature et l’humain ; l’aspect culturel y est très ancré, le vin rassemble les gens, il les unit, par exemple, lors des vendanges : c’est le partage qui prime.

Ainsi, je commence ma formation à Montpellier, un programme qui s’appelle Master Level Sud de France, afin de connaître les vins du Languedoc-Roussillon principalement. La formation se solde par un examen, avec un test écrit sur les vins et une dégustation, où le candidat doit déguster et analyser. Après cette formation, direction Istanbul WSET (Wine Spirit Eduction Trust), proposée par le IWSA (International wine and spirit acedemy). C’est une formation qui me permet de découvrir les vins dans le monde. Puis, je décide d’approfondir, je veux passer du temps dans les vignes. Je postule donc pour l’Université du Vin (Vallée du Rhône). C’était une formation difficile où chaque étudiant doit connaître parfaitement les vins (surtout français) en fonction de leur géographie, climat, vignerons, histoire, la manière dont les appellations ont été élaborées, les types de fermentation etc. J’ai écrit mon mémoire sur les vins turcs : La construction identitaire du secteur vinicole turc entre l’ancien monde et le nouveau monde (l’ancien monde comprenant l’Europe, avec un savoir-faire ancestral, et le nouveau monde, l’Afrique, les États-Unis, l’Australie par exemple, "nouveaux pays" qui font du vin depuis environ 200 ans). La Turquie se situe entre les deux. 

Cette formation me donne accès à un diplôme national de sommelier et conseil en vin ; j’étais d’ailleurs major de ma promotion (2018). C’était un vrai succès pour moi, d’abord en tant que femme (secteur très masculin), et en plus en tant qu’étrangère, turque de surcroit ! J’ai alors été désignée comme "Ambassadrice culturelle de l'Université du Vin". Je suis régulièrement invitée comme membre de jury de dégustation aux grands concours internationaux de vin, comme le Frankfurt Wine Trophy ou encore le Lyon International Tasting

Quels enseignements avez-vous tirés de votre formation en France ?

Le vin le plus cher n’est pas forcément le mieux !

Ce que j’ai aimé avec l’Université du vin, c’est qu’on nous a appris à ne pas dédaigner un vin, à rester modeste. Les arômes sont perçus de manière différente par chacun, c’est scientifiquement prouvé. Donc s’il n’y a pas de faute de production, on ne peut pas dire que le vin n’est pas bon !

Il y a des "buveurs d’étiquette", qui n’apprécient que les vins qui sont chers, reconnus. Certains ne sont impressionnés que par l’étiquette, et ne sont pas curieux de découvrir un vin moins connu qui aurait tout à fait le mérite de l’être, c’est dommage. 

Selon moi, le vin c’est la démocratie ! En Turquie, tout le monde ne peut pas se payer un « bon » vin cher, ce n’est pas abordable, et ce n’est pas grave, car on trouve de très bons vins à prix raisonnables. 

Le vin le plus cher n’est pas forcément le meilleur ! 

En 2019, vous avez créé votre société, "Pantagruel", pouvez-vous nous expliquer de quoi il s’agit ? 

Rabelais est passé par là, un écrivain humaniste, dont j’aime la façon de se moquer des savants de la Sorbonne ! Fondée à Montpellier l’année dernière, Pantagruel Design&Consultancy a trois objectifs : l’organisation d’ateliers œnologiques, le développement d’objets design autour du vin (tasses, sous verre, sac en toile, cartes de vignobles etc.), et le conseil, pour ceux qui souhaiteraient créer une marque, je fais du conseil pour la création de l’identité visuelle et communicationnelle du produit. 

Les ateliers sont organisés autour de thèmes, dans des restaurants, caves, ou soirées privées. Dans les présentations que j’anime, il est question de l’histoire, les liens culturels, les facteurs naturels et humains des cépages abordés dans le cadre de l’atelier. Vient ensuite la dégustation, avec une méthodologie précise. 

Il y a par exemple un atelier sur la révolution du rosé avec l’intérêt économique qu’il entraîne. Celui-ci était l’orphelin du monde du vin, il avait mauvaise presse. Les ventes de rosé ont dépassé les vins blancs en France (et peut-être bientôt en Turquie), c’est l’alcool de l’été, il ouvre donc une nouvelle voie économique, et a un bel avenir devant lui ! Il existe également un atelier Comment Bordeaux est devenu Bordeaux, un autre sur Les vins du sud de France, ou encore un qui allie mets et vins.

Comment percevez-vous la réaction des Turcs face à leurs cépages ? Est-elle différente des Français ?

Il y a un grand avenir pour la Turquie. Avec les Arméniens et Grecs de l’empire ottoman, il y avait un savoir-faire majeur, qui s’est en partie transmis. Il y a de grandes maisons en Turquie. Mais aussi des producteurs locaux qui représentent une grande valeur : les cépages d’Anatolie. 

Par exemple en Grèce, le Xinomavro ou le Assyritiko qui sont des cépages autochtones rencontrent un grand succès au niveau international. 

Les Turcs (non amateurs ou spécialistes) commencent à connaître le vin petit à petit, mais trop souvent, ils s’attachent aux cépages connus, ils achètent facilement du vin produit de Merlot (c’est-à-dire un vin provenant de cépages "nobles" ou "internationaux"), car c’est connu, et ne donnent pas leur chance aux cépages autochtones, qui sont selon moi les meilleurs.

Ils boivent de plus en plus de vin (les jeunes s’y intéressent de plus en plus, les femmes sont très réceptives), et avec la riche culture culinaire en Turquie, il y a encore beaucoup d’accords de mets et vins à penser. 

La plus grande différence entre les Turcs et les Français, c’est qu’on ne demande pas à un Français le cépage qu’il boit, il va répondre "je bois un Sancerre", "je bois un Monbazillac", ce qui correspond au terroir (appellation) et non au cépage. Alors que le Turc va boire le cépage ou une marque. 

Dans l’ordre : il y a la marque (niveau le plus bas), le cépage et le système d’appellation (ce qui permet de savoir ce qu’il y a dans la bouteille, de savoir d’où vient le vin, la production avec un savoir-faire régional et spécial). En Turquie, il n’y a pas de système d’appellations, des associations tentent de porter le débat, mais ça prendra du temps. Ceci-dit, il est désormais courant de voir écrit sur les bouteilles l’indication géographique, ce qui ouvre peut-être la voie, un jour, à un système d’appellation. 

Pour comparer avec le raki, l’alcool national, il y a dans la loi l'inscription de l’appellation (du lieu d’où vient l’anis), l’indication géographique est réglementée. 

Parlant d’avenir… quels sont vos projets ? 

Il y en a quelques-uns… 

Dans le cadre de "Pantagruel", je vise plusieurs caves en France et en Turquie, pour la vente des produits design, et sinon, continuer les ateliers pour faire connaître le vin au plus grand nombre. 

Un nouveau livre est en cours Vinographie, que je traduis en turc, dont le titre sera (en turc) "100% vins, comprendre le monde du vin avec 100 schémas et graphiques amusants". 

Aussi, deux livres d’une série, de la maison d’édition Hachette, sur les "mets et vin" sont en préparation, c’est un nouveau concept, ce sera une première en Turquie (surprise !). 

Depuis un moment, je suis aussi en train d’écrire un roman en turc "La pourriture noble", sur l’amour en relation avec le vin, j’aimerais le finaliser cette année. 

Avec le pianiste Sevki Karayel, nous aimerions créer un événement au Pera Palace, sur les vins et la musique classique : faire le lien entre le caractère d’une musique et le vin apprécié de son un compositeur.

Enfin, j’aimerais créer une toute petite maison d’édition à Istanbul, avec une amie qui travaille sur la culture du vin et le théâtre : comme Dionysos ! 

Bonus pour les lecteurs

Une anecdote : l’humeur de la vigne (et sa personnification) ! Par exemple, la grêle peut tout détruire sur son passage, et la vigne va se renfermer sur elle-même, en somme elle rentre dans une sorte de phase dépressive. Après 2 ans peut-être, elle recommence à produire des fruits. C’est comme un humain ! Plus on lui porte attention, plus elle sera productive ; pour moi, chaque pied de vigne est un humain, il faut la traiter en fonction de ses humeurs. Parfois une seule grappe sera produite, mais elle sera formidable. Comprendre la nature permet de comprendre les humains. La façon dont les les gens éduquent la vigne, cette dernière leur renvoie. 

Votre cépage turc "coup de cœur" : blanc : Narince, rouge : Papaskarasi

Votre "accord" mets & vin "coup de cœur" : le rosé Kalecik Kalasi s’accorde parfaitement bien avec le kısır (mezzé composé de semoule, sauce tomate, persil, oignon) ou la lahmacun (sorte de pizza avec de la viande hachée). 

Un bon kebab aux pistaches ira très bien avec un Oküzgözü millésimé.  

Votre lieu préféré à Istanbul : Kuzguncuk (mais surtout en semaine quand c’est plus calme !).

Votre restaurant préféré à Istanbul : C’est plutôt une cave où l’on peut dîner : la Bordo Saraphane (où l’on peut déguster des vins locaux). 

Pour suivre Göknur Gündoğan 

Instagram, site internet pantagrapes.com (à ouvrir courant mars).

Une chaine Youtube en turc Sesli Bağ Notları sur laquelle sont diffusés des reportages avec des vigneron.nes d’Anatolie. 

A partir du mois d’avril Göknur proposera aux lecteurs une rubrique mensuelle sur les cépages locaux. 

Propos recueillis par Albane Akyüz.

 

 

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