Ece, Emre, Bilge et Yaprak ont un point commun : comme beaucoup de jeunes francophiles, ces étudiants turcs ont décidé de réaliser un échange Erasmus + dans une université française. Entre difficultés et souvenirs inoubliables, lepetitjournal.com d'Istanbul a recueilli les récits de leurs expériences.
Ece a étudié la communication et le cinéma à l'université de Bordeaux, en 2016.
Pourquoi avez-vous choisi de réaliser votre Erasmus en France ? Et pourquoi à Bordeaux ?
J'ai choisi la France car j'aime beaucoup la culture française. Je suis diplômée du lycée Saint-Michel et j'étudie à l'université de Galatasaray mais je voulais encore améliorer mon niveau de français. Ensuite, pourquoi Bordeaux? Parce que j'ai déjà visité plusieurs villes en France, comme Paris, Marseille, Nice, Toulouse mais Bordeaux est ma ville française préférée ! J'étais déjà venue il y a trois ans, avec ma famille.
(photos personnelles)
Quelles ont été les difficultés rencontrées lors de votre arrivée en France ?
Il y avait beaucoup d'administration, surtout pour le programme Erasmus et c'est franchement ennuyeux? Surtout que les Français n'utilisent pas beaucoup la technologie. On ne peut pas envoyer les documents par mail par exemple. Il faut tout envoyer par la Poste, que l'on utilise très peu en Turquie. J'ai dû gérer des soucis administratifs pendant mes six mois d'échange et encore aujourd'hui, à mon retour, ce n'est pas fini?
J'ai aussi rencontré une difficulté quand j'ai voulu aller aux urgences parce que j'avais de la fièvre. En Turquie, c'est courant mais j'ai appris par la suite que ça ne marchait pas comme ça en France. Ce jour-là, j'avais un avion à prendre mais une fois que j'étais rentrée aux urgences, ils ne voulaient plus me laisser sortir avant que je sois prise en charge par un médecin. Mes parents étaient en France à ce moment-là, mais ils ne les ont pas laissé rentrer dans l'hôpital donc nous n'avons pas pu communiquer? Au final, ça s'est arrangé et j'ai pu prendre mon avion !
Quelle est la plus grande différence selon vous entre la Turquie et la France ?
D'abord, comme je le disais, les Français utilisent moins la technologie pour les questions administratives. Ensuite, dans la vie de tous les jours, les Français mangent beaucoup ! Les femmes sont très libres, mais c'est aussi le cas dans beaucoup d'autres pays européens. Et les différences de prix m'ont étonnée. Par exemple, les supermarchés sont très chers mais l'accès à l'art est très abordable, alors qu'en Turquie assister à un ballet peut vite devenir une consommation de luxe.
Qu'est-ce qui vous a le plus manqué de Turquie ?
La cuisine ! J'aime beaucoup le fromage et le vin français mais la cuisine turque m'a vraiment manqué et les aliments turcs ne sont pas faciles à trouver donc les plats sont difficilement réalisables. Et sinon, bien sûr, ma famille et mes amis.
Que vous a apporté cette année ?
Je retiens d'abord les rencontres que j'ai faites. J'ai rencontré des personnes vraiment gentilles avec qui je suis toujours en contact. Ensuite, cet échange a été une très bonne expérience pour moi. C'était la première fois que je vivais longtemps dans un pays étranger, j'habitais seule. J'ai résolu les problèmes par moi-même quand il y en avait. J'ai aussi amélioré mon français et c'était très intéressant de découvrir une autre culture, à laquelle je me suis vite adaptée. Peut-être que par la suite, je ferais un Master en France.
Conseilleriez-vous Bordeaux comme destination Erasmus ?
Pour ceux qui ne parlent pas le français, non. Car tous les papiers administratifs se font en français, les cours sont en français et certains professeurs ne parlent pas du tout anglais. Mais pour les francophones, je recommande Bordeaux sans hésiter ! C'est une ville qui bouge, une ville jeune car il y a quatre universités. On s'y sent aussi en sécurité, peut-être plus qu'à Paris.
Emre étudie actuellement l'informatique à l'université de Rennes.
Pourquoi avez-vous choisi de réaliser votre Master en France ?
J'ai déjà fait un échange Erasmus à Lille il y a deux ans, pendant une année. C'était la meilleure époque de ma vie jusque là. C'était une expérience géniale, pendant laquelle j'ai rencontré plein de gens. Donc j'ai pensé que c'était bien de revenir en France, à Rennes cette fois, faire mon master. Et maintenant, je suis dans l'optique de m'installer en France.
Quelles ont été les difficultés rencontrées lors de votre arrivée en France ?
Je n'ai pas eu beaucoup de difficultés concernant la langue car j'apprenais déjà le français depuis cinq ans. En revanche, quand je suis arrivé à Rennes, j'ai eu des difficultés pour trouver un logement. J'ai d'abord été hébergé chez des amis, puis chez des amis d'amis... J'ai répondu à plein d'annonces de colocation mais je n'ai jamais eu de réponse. J'ai associé ce problème au fait que je sois turc, dans le contexte de terrorisme que l'on connaît. Après un mois à Rennes, je n'avais toujours pas d'hébergement stable et j'ai même pensé revenir en Turquie. Finalement, j'ai pu obtenir un logement dans une résidence universitaire.
Qu'avez-vous encore envie de faire avant de retourner en Turquie ?
Je suis venu plusieurs fois en France donc j'ai découvert beaucoup de régions et j'ai visité beaucoup de villes. Pour les futurs étudiants Erasmus, je peux notamment conseiller Toulouse, Rennes, Lille, Lyon et Montpellier. En revanche, je ne suis jamais allé à Strasbourg et beaucoup de gens me conseillent d'y aller.
Quelle sont les différences selon vous entre la Turquie et la France ?
Le style de vie est différent. Par exemple, j'ai remarqué qu'en France, on fait la bise aux femmes et on sert la main aux hommes pour dire bonjour. En Turquie, c'est l'inverse. J'aime beaucoup le mode de vie français : organiser des apéros, sortir dehors avec ses amis dès qu'il fait un peu beau? Les Turcs sont chaleureux mais les Français aussi. Ça dépend peut-être des régions mais les Bretons le sont beaucoup en tout cas !
Je remarque aussi une différence chez les jeunes générations. En Turquie, à cause des événements, nous commençons à avoir peur de sortir. Mais après les attentats de Paris, les Français au contraire sont sortis davantage en réponse au terrorisme.
Bilge a étudié l'éco-gestion à Paris, en 2015-2016.
Pourquoi avez-vous choisi de réaliser votre Erasmus en France ?
La raison essentielle était de pratiquer le français, que j'apprends depuis mes douze ans. J'ai voulu apprendre le français après avoir rendu visite à mon oncle, à Genève. C'était la première fois que je me retrouvais dans une ville où l'on ne parlait pas turc et je me souviens de la sensation très étrange que j'ai ressentie. Je voulais pouvoir comprendre ce que les gens disaient. A mon retour en Turquie, j'ai commencé à prendre des cours privés puis à l'Institut français d'Izmir. Cet échange Erasmus était une bonne occasion pour parler français quotidiennement et améliorer mon niveau. J'ai choisi Paris, parce que c'est le rêve de beaucoup de monde et notamment des Turcs. J'ai eu la chance de vivre un an dans une des plus belles villes du monde.
Quelles ont été les difficultés rencontrées lors de votre arrivée en France ?
La première semaine surtout a été difficile. J'avais un niveau correct en français mais il a fallu gérer plusieurs détails d'installation et le bureau Erasmus ne m'a pas beaucoup aidée. Je voulais ouvrir un compte en banque mais on me disait toujours de revenir le lendemain... En attendant, je ne pouvais pas ouvrir une ligne téléphonique car il me fallait un compte en banque pour cela? C'était l'enfer mais heureusement ça s'est arrangé !
Qu'avez-vous aimé le plus dans la culture française ? Et le moins ?
La liberté. C'est la première fois que je me suis sentie aussi libre de ma vie. A Paris, il y a une forte diversité mais j'ai aimé ressentir une culture du respect chez chacun. Il y a moins de pression et de jugements. J'ai aussi été très bien accueillie, malgré le fait que je sois étrangère. Par exemple, j'étais bénévole dans une association, Afev, qui aide des jeunes en difficulté sociale ou scolaire. On ne m'a pas du tout mise à l'écart parce que je n'étais pas française. J'étais considérée comme les autres bénévoles.
Ce que j'ai le moins aimé, c'est la bureaucratie. Quand il faut résoudre un problème, par exemple administratif, les Français respectent un tas de règles et de procédures qui n'ont parfois pas de sens selon moi et qui prennent beaucoup plus de temps.
Vous étiez à Paris pendant les attentats en novembre 2015 et la Turquie a aussi connu des événements tragiques pendant la période de votre Erasmus. Comment avez-vous réagi face à cela ?
Je pense que mes amis turcs m'ont beaucoup aidé à ce moment-là, nous avons pu nous soutenir. Après les attentats de Paris, nous avons attendu quelques jours avant de sortir le temps que les choses se calment. Puis la vie a repris, malheureusement j'étais un peu habituée à ces événements en Turquie. Mais j'ai été surprise que ça arrive en France, je me suis rendu compte que la terreur pouvait frapper n'importe où?
Que vous a apporté cette année ?
Je peux dire que j'ai vécu une vie avant Paris et une vie après Paris. Je ne m'attendais pas à ce que cette expérience Erasmus ait un si grand effet sur moi. A Paris, j'ai commencé à m'intéresser à la philosophie et c'est toute ma façon de voir les choses qui a changé. Avant, j'étais une étudiante classique destinée à devenir ingénieure, mais maintenant je veux m'orienter vers la philosophie. Je ne sais pas si c'est parce que j'avais plus de temps libre pendant mon Erasmus, mais je me suis beaucoup interrogée sur tout ce que je voyais dans les rues de Paris et c'est comme ça qu'est né mon intérêt pour la philosophie. Paris était pour moi une source de magie.
Quels conseils donneriez-vous aux étudiants Turcs qui choisissent la France comme destination Erasmus ?
Je pense que le plus important est de parler français, sinon c'est impossible ! C'est une expérience unique donc je leur conseille de vraiment profiter à fond. Paris est le paradis de l'art, il y a plein de musées ou d'expositions à voir. Et je pense que pour mieux s'intégrer il faut se faire des amis français, avec qui ils pourront aussi pratiquer le français. Pour cela, se joindre à une association peut aider.
Yaprak étudie actuellement la littérature anglaise et les relations internationales à Paris.
Pourquoi avez-vous choisi de faire votre Erasmus en France ?
J'ai appris le français au lycée mais je ne l'ai pas pratiqué ensuite pendant plusieurs années. J'ai donc choisi de faire un Erasmus en France pour la langue. Je suis aussi quelqu'un de timide et dépendante donc je pensais qu'une expérience comme celle-ci pouvait m'aider à grandir et à me forger une identité. Et Paris est une excellente ville pour cela.
Quelles ont été vos difficultés rencontrées lors de votre arrivée en France ?
Les premiers jours ont été un peu difficiles car c'était la première fois que je me retrouvais toute seule. La procédure d'inscription à l'université de la Sorbonne et l'administration m'ont aussi posé quelques difficultés car le système est totalement différent et je n'y étais pas habituée.
Qu'avez-vous encore envie de faire avant de retourner en Turquie ? Etes-vous pressée de rentrer ?
Comme je suis en Europe, j'aimerais en profiter pour visiter d'autres pays. J'ai déjà pu découvrir la campagne française et d'autres régions comme la Loire. J'aimerais aussi aller à Giverny et en Sologne. Je ne suis pas pressée que l'aventure se termine, en revanche j'ai prévu de rentrer quelques jours en Turquie pendant mon Erasmus.
Qu'est-ce qui vous manque de Turquie ?
Je suis très proche de ma famille, je peux communiquer avec mes parents et ma s?ur par téléphone mais je ne peux pas communiquer avec ma chienne et elle me manque beaucoup ! Je veux rentrer en Turquie pour être sûre qu'elle ne m'oublie pas entre-temps et qu'elle sache que je vais revenir. Mais sinon, je ne suis pas très attachée à la cuisine, aux traditions ou à la manière de vivre en Turquie donc découvrir de nouvelles habitudes ne me dérange pas, bien au contraire.
Qu'est-ce qui vous plaît le plus dans la culture française ? Et le moins ?
D'abord, les Français respectent le code de la route, on se sent plus en sécurité ! J'aime aussi le fait que les Français respectent davantage la nature et l'environnement. Il y a beaucoup de jolis parcs. Les Français respectent aussi l'art et protègent les monuments historiques. Ils mêlent d'ailleurs l'art et l'Histoire en organisant des expositions dans des châteaux par exemple. Enfin, les Français que je côtoie sont ouverts d'esprit et c'est très appréciable. Nous pouvons parler de sujets comme la sexualité, les genres, la religion ou la politique sans être jugé.
Ce que je n'aime pas, c'est que certains Français censés vous rendre service ne sont pas toujours coopérants... En Turquie, le service est orienté vers le bien-être du client mais ici, certaines fois, je me sens traitée d'une telle sorte que je ne sais même pas comment réagir !
Propos recueillis par Solène Permanne (http://lepetitjournal.com/istanbul) mercredi 22 février 2017