

C’est le 30 octobre 1762 qu’André Chénier vit le jour à Istanbul, à l’emplacement du "Han" Saint-Pierre, actuelle rue Voyvoda. Il évoque d’ailleurs ainsi sa naissance à Galata :
"[…] C’est là qu’une Grecque, en son jeune printemps,
Belle, au lit d’un époux nourrisson de la France
Me fit naître Français dans le sein de Byzance…"

Le "Han" Saint-Pierre, une demeure au destin chaotique


L’immeuble Saint-Pierre, nommé en turc "ST Pierre Han" ou "Sen Piyer Han", alors propriété consulaire française, a été édifié en pierres de taille entre 1770 et 1775, par l’ambassadeur de France à Constantinople, François-Emmanuel Guignard de Saint-Priest, pour remplacer le bâtiment en bois de la représentation commerciale française, disparu en 1771 dans le grand incendie de Galata, et dans lequel le poète était né. Selon le journal "Stamboul", c’est le célèbre architecte levantin Alexandre Vallaury qui, en 1898, fit apposer sur la façade la plaque commémorant la naissance d’André Chénier dans le bâtiment antérieur.


On peut encore voir sur le mur de cet immense édifice de 2500 mètres carrés, auquel un troisième étage a été ajouté en 1863, et qui communique avec l’église Saint-Pierre-et-Paul, les armoiries du roi de France ornées de trois fleurs de lys et celles du comte de Saint-Priest.



L’immeuble Saint-Pierre fut ensuite occupé par la Banque Ottomane, puis, par la chambre de commerce italienne et par des bureaux d’architectes. A la fin du XXe siècle, où j’avais pu y entrer et m’y promener, il n’était plus qu’un sombre bâtiment incrusté de poussière, à l’escalier brinquebalant, où se trouvaient de vétustes ateliers de métallurgie et d’électricité. Heureusement, la Municipalité de la métropole d’Istanbul, qui a entrepris la réhabilitation d’un grand nombre de monuments historiques, a commencé la restauration de cet incomparable édifice en octobre 2021.

André Chénier, un poète au tragique destin
André Chénier était le fils de Louis Chénier, qui, parti vendre du drap à Istanbul, finit par devenir le représentant attitré des commerçants français dans le Levant. Il épousa alors Elizabeth Santi-Lomaca, appartenant à une illustre famille grecque de Constantinople. Le père d’Elizabeth avait été formé à l’École des Enfants de Langues et avait fait partie de la suite de l’ambassade de Mehmet Efendi, envoyée au Régent de France par le sultan Ahmet III.
Louis Chénier regagne la France en 1765 et il est nommé Consul général auprès de l’Empereur du Maroc. Son épouse, demeurée seule à Paris avec ses enfants, se met alors à tenir salon, expose aux visiteurs sa collection de médailles et d’estampes ramenée de Constantinople et reçoit ses invités en costume antique, si bien qu’on la surnomme "la belle Grecque". Elle se pique même d’écrire des Lettres grecques et va transmettre à ses enfants son goût pour la littérature.




André Chénier, un écrivain tiré de l’oubli
André Chénier, qui n’avait publié que deux textes de son vivant, fut redécouvert par les premiers Romantiques, en particulier Vigny, qui interprétèrent cette vie brisée à 32 ans comme celle d’un poète maudit et rassemblèrent son œuvre, qui fut éditée en 1819.
Pour André, sa ville natale incarnait le lieu de la liberté perdue et il rêvait d’y revenir. N’avait-il pas écrit dans ses Elégies : "Partons, la voile est prête et Byzance m’appelle" ? L’actuelle restauration du lieu où il naquit, permettra, d’une autre façon, de réaliser son souhait…
> Pour plus d’informations, vous pouvez vous écouter, sur le site de l’Institut français, le Parcours sonore "Les Passagers de Péra", et vous rendre sur le site de la Municipalité de la métropole d’Istanbul.