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INTERVIEW – Edmond Baudoin, dessinateur de BD : "Je voudrais faire un livre sans dessins"

Pendant deux jours, la Casa Encendida a été la "bulle"d'une rencontre internationale originale : celle de la BD. Avantcomic a notamment accueilli Edmond Baudoin. Un accent du sud aussi doux que le personnage, qui souhaiterait pouvoir "dire l'infime, ce qui se passe entre un être et une fleur"

Lepetitjournal.com : On parle de vous comme un pionnier en matière de BD alternative;quelle en est votre définition ?
Edmond Baudoin
: Peut-être vaut-il mieux que je commence par expliquer pourquoi je suis pionnier. Lorsque j'ai commencé à faire de la bande dessinée, je n'avais aucune idée de ce que c'était. Je ne savais pas qu'on ne faisait pas d'autobiographie et c'est ce que j'ai fait. Cela a paru très étrange et nouveau. Donc en résumé, ma façon d'être nouveau c'est par méconnaissance du monde de la bande dessinée, qui n'était pas du tout axé sur l'idée de raconter sa vie. Mais il n'y a pas que l'autobiographie dans cette bande dessinée nouvelle;la BD a raconté pendant longtemps quelque chose pour les enfants ou quelque chose de ludique et aujourd'hui elle s'est ouverte à d'autres expressions qui ne sont pas du tout ludiques. Par exemple, Marjane Satrapi qui se dessine elle-même ou encore « Maus » de Spiegelman qui raconte ses parents et la Shoah. Cela n'a rien de ludique et ça n'existait pas avant. Je ne suis pas le seul mais il est vrai que ça a commencé aux Etats-Unis et qu'en Europe j'étais un des premiers. Donc c'est la méconnaissance de ce que je faisais qui a fait de moi un pionnier.

La plupart de vos bandes dessinées sont en noir et blanc;est-ce une caractéristique de la bande dessinée alternative ou est-ce plutôt propre à vos goûts ?
C'est vrai que la plupart des auteurs qui font de la BD alternative, le font en noir et blanc. Ces gens et moi-même essayons de dessiner et d'écrire en même temps : je me sers du dessin pour écrire et j'écris pour dessiner. Il n'y a plus de distance entre le dessin et le texte. Pour ces gens, tous les dessins disent quelque chose de vraiment essentiel dans l'histoire. Et lorsque l'on écrit, on écrit pas en couleur, donc les couleurs pour ces gens-là ont été pendant longtemps des choses pour faire joli, surtout que dans la bande dessinée la couleur était pour colorier. Ce qui existe de plus en plus c'est de la couleur qui ne soit pas du coloriage, ça oui. On pourrait passer toute une vie à chercher des choses dans le noir et blanc et on n'y arriverait pas, mais cela ne veut pas dire que la couleur n'est pas quelque chose de fabuleux.

Mise à part votre expérience personnelle très présente dans vos bandes dessinées, de quoi vous inspirez-vous pour vos histoires ?
Principalement d'événements qui me sont arrivés, mais ce n'est pas mon but d'être nombriliste -même si je m'aime beaucoup !-, comme ce que l'on dit souvent de nombreux écrivains. Quand je raconte quelque chose, j'essaye de faire en sorte que cela accède à l'universel. J'ai fait par exemple un livre pour raconter la maladie de ma mère qui perdait sa tête, pour raconter comment on est, ce que ça fait quand une mère ne vous reconnaît plus. Mais ce n'était pas spécialement pour dire ce que ça me fait. Et aussi parce que ça arrive à des tas d'autres que moi. C'est donc un questionnement universel. On cherche toujours à faire que notre petite histoire puisse accéder à de l'universel, sans cela ce n'est pas intéressant.

Vous avez eu des projets de romans;est ce que vous préférez écrire ou dessiner ?
Oui une fois mais ça n'a jamais paru. Mais comme maintenant on me permet de plus en plus de faire des bandes dessinées qui soient comme des romans, je ne sais plus si j'ai envie. D'ailleurs une fois, il y a longtemps je disais à Le Clezio : « Ah la la, je voudrais faire un livre sans dessins. » et lui me regarde et me dit : « Moi si je savais dessiner, il y aurait des dessins dans mes livres. » C'est compliqué;je me pose beaucoup de questions car si je commençais à écrire un livre et si ce que je veux dire ne suffit plus par le texte, alors pourquoi s'interdire du dessin ou même de la musique dans le livre ? On peut même rêver : pourquoi pas à un moment donné, quelqu'un qui danse, des images qui bougent pour dire avec le corps ?

Comment expliquez-vous le succès que vous avez eu au Japon ?
A un moment donné le Japon a fait travailler quelques auteurs de bandes dessinées européens, italiens et français principalement. Je n'étais pas le seul non plus. Ils voulaient être les premiers avec l'image, c'est en tout cas comme ça qu'ils me l'ont expliqué. Ils faisaient travailler ceux qui à leurs yeux étaient des auteurs qui pouvaient amener quelque chose aux auteurs japonais, pour pouvoir dominer le marché. Mais ils m'ont aussi appris des choses, par exemple à travailler très rapidement, mettre beaucoup moins de textes. C'est un jeu très intéressant. En Europe, le rapport du texte et de l'image est très condensé, tandis que les Japonais donnent la possibilité de beaucoup de pages à l'auteur, mais avec moins de texte par case. Ce que vous ne pouvez pas dire avec le texte sera dit avec le nombre de dessins.

En Europe, surtout en France, votre succès est limité;croyez-vous que les français soient trop conventionnels ?
Dans tous les pays on publie de plus en plus mes livres, mais ce ne sont pas des grosses ventes de toute manière. Alors c'est un peu ambigu car on me permet de travailler partout, on m'invite pour faire des conférences et je ne suis pas grand public. Loin de là. Cela existe aussi en littérature, des gens qui ne vendent pas des quantités de livres mais qui sont importants. C'est encore des fleurs que je m'envoie ! [rires]

Que pensez-vous de la bande dessinée espagnole ?
Toutes les bandes dessinées ont des rapports très forts avec l'histoire;sous le franquisme les Espagnols travaillaient souvent pour les Américains et il n'y avait des bandes dessinées que pour les enfants. A la fin du franquisme, la bande dessinée espagnole a explosé. La même chose qu'avec le cinéma ! La bande dessinée a abordé des questions que les journaux n'abordaient pas, comme l'homosexualité. Il y a eu quelque chose de formidable puis ça a disparu lorsque les grands quotidiens se sont mis à parler de cela;les gens n'achetaient plus. Et maintenant ça remonte, il y a des éditeurs qui publient des choses de plus en plus belles en Espagne.

Quels auteurs Espagnols recommanderiez-vous ?
Et bien ici il y a Max que je recommanderais et Prado [ndlr. Miguelanxo Prado] que j'aime beaucoup.

Vous avez été professeur d'art à l'Université de Québec pendant trois ans;que gardez-vous comme souvenir de ce moment d'expatriation ?
C'était une expérience étrange car c'était la première fois que je rentrais dans une université et j'ai aimé enseigné;au bout de trois ans ils voulaient que je devienne titulaire, mais je ne voulais pas m'engager. J'ai beaucoup aimé habiter là-bas, j'ai aimé le froid, la glace, les paysages et cette immensité. Elle m'a manqué, même si je suis né dans le Sud [ndlr. A Nice]. Il faut croire que les racines des oliviers sont rentrées en moi et que je peux être n'importe où. L'année dernière, j'étais au Mexique cinq mois et j'ai beaucoup aimé. Alors que ce soit chaud ou que ce soit froid? Si je recommençais ma vie, je ferais des études et je deviendrais anthropologue;je trouve que l'anthropologie c'est magnifique. Le monde est petit avec le téléphone et Internet, mais il est toujours immense des différences et des manières de vivre des gens. Selon les endroits du monde, les idées viennent aussi de manière différente pour les artistes. Les idées de Frida Kahlo venaient des Indiens ! C'est cette anthropologie-là qui m'intéresse.

Est-ce que vous avez des projets qui vous tiennent à c?ur pour bientôt ?
Si la France me le permet, j'en ai un. J'ai demandé une bourse pour aller sur la frontière mexicaine, à Ciudad Juárez. Je voudrais faire un livre sur cette ville de banditisme et de narcotrafiquants, la dessiner et demander les rêves de ses habitants. Je ne veux pas parler de la mort dans la ville où on meurt le plus au monde.

Pour terminer sur une note plus enjouée : le 29 octobre prochain, ce sont les 50 ans d'Astérix et Obélix;qu'est ce que cela évoque pour vous ?
La première chose qui me vient : Goscinny était vraiment un grand scénariste, il avait cette façon bien à lui, intelligente et humoristique de raconter les choses.

Propos recueillis par Emilie DRUGEON (www.lepetitjournal.com - Madrid) mercredi 14 octobre 2009