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Limiter la pratique des mariages précoces : une priorité pour l’Inde

Lors de son discours pour célébrer les 74 ans de l'indépendance de l’Inde, le Premier Ministre, Narendra Modi, a évoqué une possible augmentation de l'âge légal du mariage pour les jeunes filles afin de limiter la pratique des mariages précoces. Cependant, la plupart des organisations travaillant sur le terrain doute de l'efficacité d’un tel amendement et précise que favoriser et renforcer l'accès à l'éducation des jeunes filles est le moyen le plus sûr pour éviter les mariages et grossesses précoces.

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Écrit par lepetitjournal.com Bombay
Publié le 27 août 2020, mis à jour le 19 décembre 2023

(For English, scroll down)

Cette déclaration est en phase avec les lignes directrices du Fonds des Nations Unies pour la Population (UNFPA), qui, lors de la journée mondiale de la population le 11 juillet, a “souligné les besoins et vulnérabilités particulières des femmes et des filles pendant cette pandémie, ainsi que les efforts nécessaires pour assurer leur santé et garantir leurs droits”. Parmi les 19 pratiques néfastes constituant des violations des droits de la personne identifiées par l’UNFPA, le mariage d’enfants est une des plus courantes. Son élimination est un des axes d’action des Nations Unies pour la prochaine décennie.

 

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Dans son rapport 2020 sur l'état de la population mondiale, l’UNFPA explique que le mariage d’enfants peut viser à assurer l’avenir de la jeune fille en en faisant la responsabilité de sa belle-famille. Il est parfois vu comme une manière de la protéger de violences sexuelles ou comme un moyen de préserver sa réputation si elle tombe enceinte. Le mariage d’enfants est aussi souvent motivé par le désir de préserver la virginité de la jeune fille pour son mari. 

Il est pratiqué partout dans le monde et le rapport présente par exemple des données sur le mariage d’enfants aux États-Unis. Un mariage sur cinq dans le monde est aujourd’hui celui d’une épouse enfant.

Bien que les efforts pour mettre fin à ces pratiques néfastes donnent des résultats, on estime que le nombre de filles qui subissent le mariage d’enfants augmente de façon générale, à cause de l’augmentation de la population dans les pays où la prévalence de cette pratique est très forte.

Enfin, la pandémie de Covid-19 a un impact terrible sur la vie des filles et de leur famille, depuis les difficultés économiques et la fermeture des écoles jusqu’à la privation d’accès aux services de santé et aux programmes communautaires.

 

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@Yogita - Wikipedia

 

Les mariages précoces en Inde : quelques chiffres

Le Fonds international des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF) indique dans un rapport de 2019 qu'une jeune mariée sur trois dans le monde vit en Inde. Sur les 223 millions d’enfants mariées que compte le pays, 102 millions se sont mariées avant d’avoir 15 ans.

Pourtant en Inde, l'âge légal du mariage pour les filles est de 18 ans et de 21 ans pour les garçons. Le 15 août, le Premier Ministre a émis la possibilité d’aligner l'âge légal du mariage pour les filles avec celui des garçons. 

Dans une enquête nationale sur la santé de la famille (NFHS-4) de 2015-2016, le gouvernement indien révèle que le mariage précoce a diminué au fil du temps. Le mariage avant l'âge légal de 18 ans est de 27% pour les femmes âgées de 20 à 24 ans, contre 46% pour les femmes de 45 à 49 ans. De même, pour les hommes, le mariage avant l'âge légal de 21 ans est passé de 29% pour les hommes de 45 à 49 ans à 20% pour les hommes de 25 à 29 ans. Ces mariages ont surtout lieu au Bengale occidental (44%), au Bihar (42%), au Jharkhand (39%) et en Andhra Pradesh (36%). 
 

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Quels sont les moyens de réduire cette pratique ?

La plupart des organisations oeuvrant dans les zones où les mariages précoces sont fréquents indiquent qu’augmenter l'âge légal du mariage pour les filles n’aura que peu d’impact positif. Cela rendra surtout des milliers de mariages récents illégaux. Selon elles, ce n’est pas un moyen efficace pour lutter contre cette pratique.

Par contre, permettre aux adolescentes de poursuivre leur scolarité au delà de l'école primaire est primordial pour casser la spirale de la pauvreté dans laquelle ces filles sont entraînées. 

Le Dr Kaliprasad Pappu, un des fondateurs de l’association YouthInvest Foundation qui oeuvre pour l'éducation des jeunes filles, confirme : “Nombreux sont ceux qui écrivent, étudient et parlent du sujet. Malheureusement, les préoccupations exprimées ne se transforment que rarement en une action significative sur le terrain !” Il ajoute : “Je pense que le moment est venu de tout mettre en œuvre pour l’éducation des filles, encore plus pour celles qui sont adolescentes. Les parents et la communauté sont aujourd’hui solidaires, ce qui n'était pas le cas auparavant. Les filles doivent être motivées pour retourner à l'école, terminer leur cursus et obtenir leur certificat de fin de scolarité. Tout en mettant tout en oeuvre pour ce faire, nous devons les encourager à rêver, à avoir des aspirations et à imaginer elles-mêmes un monde différent mais possible à atteindre, c'est un grand défi !

 

YouthInvest Foundation : le succès du programme de rescolarisation des jeunes filles

 

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Les impacts du coronavirus sur les mariages précoces

Malheureusement, la crise sanitaire a entraîné la fermeture des écoles dans tout le pays depuis la fin du mois de mars et cinq mois plus tard, celles-ci restent toujours closes. Même si le gouvernement central et les gouvernements des états insistent sur la mise en place d’un enseignement en ligne, celui-ci n’est pas toujours possible dans les régions dans lesquelles les connexions internet sont peu disponibles ou peu fiables. De plus, dans certaines familles, les enfants n’ont pas accès à un smartphone. Le Dr Kaliprasad Pappu confie : 

Malheureusement, les femmes et les filles sont les premières à être affectées lorsque la situation économique des familles se détériore.

Le media Scroll.in rapportait au mois de juillet que les mariages précoces et forcés ont probablement augmenté durant le confinement. Il existe suffisamment de preuves anecdotiques pour suggérer que les jeunes filles ont été forcées d'abandonner l'école, d'aider leur mère dans les tâches ménagères et, dans de nombreux cas, de renoncer à tout projet de poursuivre des études supérieures et de trouver un emploi.

Cependant, le Dr Kaliprasad Pappu indique que dans les zones rurales dans lesquelles sa fondation intervient (plus de 6 000 jeunes filles sont suivies par YouthInvest Foundation dans les états du Jharkhand et du Bengale Occidental), les instructeurs n’ont pas observé de recrudescence du nombre de mariages précoces (seulement 2 filles ont été mariées). Il affirme que les familles restent convaincues des aspects positifs de l'éducation des adolescentes et que les enseignants de la fondation n’ont relevé qu’un nombre minime d’abandon de l'école par les filles depuis le mois de mars (les programmes se poursuivent autant que possible par téléphone). “Cela permet de mettre en valeur l’importance de l'éducation des adolescentes et de nous motiver pour continuer notre travail. Lorsqu’une relation de confiance s’installe entre les jeunes filles et les membres de la fondation et qu’un programme est mis en place, on observe ensuite une modification des usages et des perceptions des genres dans les familles” déclare-t-il. Cependant, il met en garde contre la généralisation de ces observations indiquant que cela n’est surement pas uniforme dans tout le pays surtout dans les régions où aucun projet n’est en place pour favoriser le suivi et la scolarisation des jeunes filles.

 

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Par ailleurs, il ajoute que dans les zones d’intervention de YouthInvest Foundation dans lesquelles de nombreuses tribus vivent, les membres de sa fondation ont observé un report des mariages légaux prévus. Selon lui, cela s’explique par l'impossibilité actuelle d’organiser un “grand mariage avec de nombreux invités qui dure 4-5 jours avec profusion d’alcool et danses” à cause des restrictions mises en place par le gouvernement pour lutter contre le coronavirus.

 

Aider les adolescentes à poursuivre leur scolarité est le moyen de changer les mentalités

Les observations mentionnées par le Dr Kaliprasad Pappu viennent appuyer les arguments de la plupart des organisations oeuvrant dans les zones rurales sur la nécessité de mettre en place tous les moyens pour que les filles puissent poursuivre leur scolarité jusqu'à leur 18 ans et même plus. L’UNFPA préconise la même orientation dans son rapport de 2020 et indique qu'aujourd'hui, les experts ont évalué à environ 35 milliards de dollars sur 10 ans les besoins financiers pour éliminer le mariage des enfants dans le monde entier. 

Dr Pappu confie en souriant : "Si je n’avais qu’une roupie à investir, je l’affecterai à un projet d'éducation des filles !”. L’augmentation de l'âge légal du mariage n’est probablement qu’un “pansement” pour limiter les mariages précoces, les grossesses et les problèmes de nutrition et de retard de croissance qui s’ensuivent. 

Les programmes de suivi des adolescents, particulièrement des jeunes filles, sont la réponse à long terme pour limiter/éliminer les mariages précoces et leurs conséquences sur le développement du pays. 

Dr Kaliprasad Pappu


 

Pour en savoir plus sur les actions de YouthInvest Foundation : YouthInvest Foundation : prolonger la scolarisation des jeunes filles et  YouthInvest Foundation : le succès du programme de rescolarisation des jeunes filles

 

 


Dr. Kaliprasad Pappu est un leader du secteur de la santé publique et possède 30 ans d'expérience avec des agences de l’ONU, de la Banque Mondiale et des ONG internationales et indiennes. Il est membre de la Johns Hopkins Bloomberg School of Public Health et lors de son dernier poste, il dirigeait le partenariat entre les gouvernements indien et norvégien sur le projet concernant la santé des nouveaux-nés (NIPI).


 

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English version

During his speech to celebrate India’s 74 years of independence, Prime Minister Narendra Modi spoke of a possible increase in the legal age of marriage for young girls in order to limit the practice of early marriage. However, most organizations working in the field doubt the effectiveness of such an amendment and point out that promoting and strengthening access to education for young girls is the surest way to avoid early marriage and pregnancy.

This declaration is in line with the guidelines of the United Nations Population Fund (UNFPA), which, on World Population Day, July 11, “highlighted the special needs and vulnerabilities of women and girls during this pandemic, as well as the necessary efforts to ensure their health and guarantee their rights ”. Among the 19 harmful practices constituting human rights violations identified by UNFPA, child marriage is one of the most common. Its elimination is one of the axes of action of the United Nations for the next decade.

In its 2020 State of the World Population Report, UNFPA explains that child marriage can aim to secure a young girl's future by making it the responsibility of her in-laws. It is sometimes seen as a way to protect her from sexual violence or as a way to preserve her reputation if she becomes pregnant. Child marriage is also often motivated by the desire to preserve a young girl's virginity for her husband.

It is practiced all over the world, for example the report presents data on child marriage in the United States. One in five marriages in the world today is that of a child bride.
While efforts to end these harmful practices are showing results, it is estimated that the number of girls who experience child marriage is generally increasing, due to the increase in the population in countries where the prevalence of this practice is very strong.

The Covid-19 pandemic is having a terrible impact on the lives of girls and their families, from economic hardship and school closures to denial of access to health services and community programs.

 

Early marriages in India: some figures

The United Nations International Children's Fund (UNICEF) indicates in a 2019 report that one in three young brides in the world live in India. Of the 223 million married children in the country, 102 million married before they were 15 years old.

In India, the legal age of marriage is 18 for girls and 21 for boys. On August 15 2020, the Prime Minister announced the possibility of aligning the legal age of marriage for girls with that for boys.

In a 2015-2016 National Family Health Survey (NFHS-4), the Indian government reveals that early marriage has declined over time. Marriage before the legal age of 18 is 27% for women aged 20 to 24, compared to 46% for women aged 45 to 49. Similarly, for men, marriage before the legal age of 21 fell from 29% for men aged 45 to 49 to 20% for men aged 25 to 29. These marriages mainly take place in West Bengal (44%), Bihar (42%), Jharkhand (39%) and Andhra Pradesh (36%).

 

What can be done to reduce early marriages?

Most organizations working in areas where early marriage is common say increasing the legal age of marriage for girls will have little positive impact. Above all, this will make thousands of recent marriages illegal. According to them, this is not an effective way to combat this practice.

On the other hand, allowing young girls to continue their education beyond primary school is essential to break the spiral of poverty in which these girls are drawn.

Dr Kaliprasad Pappu, one of the two founders of the YouthInvest Foundation which works for the education of young girls, confirms: "Most write, study and talk about it. Unfortunately, meaningful action on the ground does not reflect the concerns voiced!" and he declares: "I feel the time is good to go all out for the education of girls more so in adolescents in the secondary education stage. The parents and the community are supportive which was not the case earlier. The girls have to be motivated to join and complete their course and be board certified. That is the big challenge. While conducting the course we have to encourage them to dream, have aspirations and see a plausible different world for themselves!"

 

The impacts of the coronavirus on early marriages

Unfortunately, the coronavirus crisis has led to the closure of schools across the country since the end of March and five months later, these still remain closed. Even though central and state governments insist on providing online education, it is not always possible in areas where internet connections are poor or unreliable. In addition, in some families, children do not have access to a smartphone. Dr Kaliprasad Pappu says: “Unfortunately, women and girls are the first to be affected when the economic situation of families deteriorates.

Media Scroll.in reported in July that early and forced marriages likely increased during lockdown. There is enough anecdotal evidence to suggest that young girls were forced to drop out of school, help their mothers with household chores and, in many cases, forgo plans to pursue higher education and find a job.

However, Dr Kaliprasad Pappu indicates that in the rural areas in which his foundation operates (more than 6,000 young girls are followed by YouthInvest Foundation in the states of Jharkhand and West Bengal), the instructors have not observed an upsurge in the number of early marriages (only 2 girls were married). He says families remain convinced of the positive aspects of girls' education and teachers at the foundation have noted only a minimal number of girls dropping out of school since March (the programs continue as much as possible using mobile phones). “It helps to highlight the importance of educating young girls and motivates us to continue our work. When a relationship of trust is established between the young girls and the members of the foundation and a program is put in place, we then observe a change in the uses and perceptions of gender in families ”he declares. However, he warns against the generalization of these observations indicating that this is certainly not uniform across the country, especially in regions where no project is in place to promote the monitoring and education of young girls.

He also adds that in the YouthInvest Foundation intervention areas where many tribes live, members of his foundation have observed a delay in planned legal marriages. According to him, this is explained by the current impossibility to organize a “big wedding with many guests that lasts 4-5 days with plenty of alcohol and dancing” because of the restrictions put in place by the government to fight against the coronavirus.


Helping adolescent girls stay in school is the way to change mentalities

The observations mentioned by Dr Kaliprasad Pappu support the arguments of most organizations working in rural areas on the need to put in place all the means so that girls can continue their education until they are 18 years old and even more. UNFPA advocates the same direction in its 2020 report, and says that today experts have estimated the financial needs to end child marriage around the world at around $ 35 billion over 10 years.

Dr Pappu says with a smile: “If I only had one rupee to invest, I would use it for a girls' education project!”. Raising the legal age of marriage is probably just a “band aid” to limit early marriages, pregnancies and the problems of nutrition and stunting that follow.

Adolescent follow-up programs, especially young girls, are the long-term response to limit / eliminate early marriages and their consequences on the country's development.

Dr Kaliprasad Pappu

 

To find out more about the actions of Youth Invest Foundation: YouthInvest Foundation : prolonger la scolarisation des jeunes filles and  YouthInvest Foundation : le succès du programme de rescolarisation des jeunes filles

 


Dr Kaliprasad Pappu is a public health leader with three decades of experience working with UN agencies, World Bank, International and Indian NGOs. A Gates Fellow at the Johns Hopkins Bloomberg School of Public Health, Dr Pappu, in the recent past, used to lead the Government of India-Norwegian partnership flagship project (NIPI) on newborn health.


 

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