Clémentine est lectrice au Petit Journal Inde et autrice d'un blog "mylittlepipedream.fr". Elle s'est rendue à la Maha Kumbh Mela et a accepté de nous raconter son aventure.


L’aventure commence dès la montée dans le train. Sur le parvis de la New Delhi Railway Station, les passagers s’activent pour passer les portiques de sécurité. Une fois les bagages scannés, le quai trouvé et le bon wagon identifié, il ne reste plus qu’à attendre que le train Vande Bharat fasse son entrée en gare. Aujourd’hui, contrairement à son habitude, il est en retard. Entre le brouillard et les déplacements exceptionnels de milliers de passagers en ce mois saint, les horaires sont perturbés. Mais cela ne semble pas affecter l’atmosphère sereine des voyageurs, qui patientent avec calme avant de partir pour cet événement unique : la Maha Kumbh Mela, un rassemblement spirituel d’une ampleur extraordinaire qui n’a lieu qu’une fois tous les 144 ans.
Qu'est-ce que la Maha Kumbh Mela ?
La Kumbh Mela est l’un des plus grands rassemblements religieux au monde, attirant des millions de pèlerins, de sadhus (religieux ayant renoncé à toute possession) et de visiteurs, tous réunis pour se purifier dans les eaux sacrées des fleuves de l’Inde. Cette célébration trouve ses origines dans la mythologie hindoue, où les dieux et les démons, en quête d’immortalité, se disputèrent le nectar divin (amrit) contenu dans un kumbh (pot). Lors de cette lutte, quelques gouttes tombèrent en quatre lieux : Haridwar, Allahabad (aujourd’hui Prayagraj), Nashik et Ujjain, qui devinrent les sites de la Kumbh Mela. Cet événement se déroule à intervalles réguliers, la Kumbh Mela ayant lieu tous les 3 ans, la Purna Kumbh tous les 12 ans et la Maha Kumbh, la plus sacrée, tous les 144 ans.
L'arrivée à Prayagraj, lieu de pèlerinage
Cette année, en 2025, nous avons la chance d’assister à la Maha Kumbh, à Prayagraj. Une fois arrivée à destination, la foule converge vers les taxis, rickshaws et bus mis en place pour acheminer les pèlerins jusqu’au centre de l’événement. Après un moment d’attente, en raison des barrages visant à contrôler la circulation, nous arrivons de nuit à notre camp. Sous la brume et dans le froid ambiant, l’étendue sablonneuse où nous nous trouvons – en réalité le lit asséché du Gange – évoque presque un paysage enneigé. Nous avançons jusqu’à notre tente, guidés par les lueurs fantomatiques des lampadaires.
Épuisés par le trajet et les premières heures de l’aventure, nous nous endormons rapidement dans la tente, où le chauffage est un refuge précieux face aux 10° extérieurs.
Le lendemain commence notre humble pèlerinage en direction de la Kumbh Mela. Bien que la "Tent City", l’espace aménagé pour loger les visiteurs et pèlerins, soit proche de l’événement, il nous faudra tout de même plus d’une heure de marche pour parcourir cinq kilomètres et ainsi atteindre le cœur des célébrations : le Triveni Sangam, où se rejoignent les trois rivières sacrées Yamuna, Saraswati et Gange.
Une atmosphère spirituelle et sereine malgré la foule
Cependant, avant de rejoindre ce point culminant, nous faisons halte dans plusieurs Akharas, les "écoles" des Naga Sadhus, ces ascètes qui incarnent une partie essentielle de la Kumbh Mela. Plus nous progressons, plus la foule se densifie. Pourtant, jamais elle ne devient oppressante. Entre les chants de mantras et la cadence méditative des marcheurs, l’atmosphère reste empreinte de sérénité et de spiritualité, en dépit des millions de personnes attendues chaque jour.
Nos premiers pas dans les Akharas sont saisissants. Les sadhus drapés d’orange, les Naga Sadhus recouverts de cendre, et les visiteurs munis d’appareils photos forment un flot incessant. Sous chaque tente, des groupes de sadhus se rassemblent, souvent autour d’un feu sacré, pour pratiquer la cérémonie du Havan. Les cendres issues de ce rituel sont ensuite appliquées par les Naga Sadhus sur leur corps comme protection spirituelle et physique, symbole de renoncement et de pureté.

L’importance du Shahi Snan
Nos guides nous expliquent l’importance du Shahi Snan, un moment central de la Kumbh Mela. Ce bain sacré, pris dans les eaux du Triveni Sangam — le point de confluence des trois rivières sacrées Yamuna, Saraswati et Gange —, est censé purifier celui qui s’y plonge de tous ses péchés. De cette manière, il ouvre la voie à la moksha, la libération spirituelle, étape ultime dans le cycle des réincarnations selon l’hindouisme.
Les Naga Sadhus, ascètes érudits
Plus nous en apprenons sur les Naga Sadhus, plus ils me semblent mystérieux. Ces ascètes guerriers et érudits, jadis défenseurs de la religion contre les empereurs moghols, mènent une vie recluse aux quatre coins de l’Inde. Certains pratiquent l’Urdhva Bahu, une “pénitence” qui consiste à maintenir un bras levé pendant des années, jusqu’à ce que muscles et articulations s’atrophient, dans une quête de renoncement absolu. D’autres, plus décontractés, arborent des lunettes de soleil et fument le chillam, une pipe dans laquelle ils mélangent cannabis et tabac, honorant Shiva et favorisant une méditation profonde.
Les Akharas offrent ainsi un éventail de scènes aussi variées que surprenantes.
En poursuivant notre chemin, nous atteignons finalement les berges du Gange. Avant cela, nous traversons un pont temporaire, construit spécialement pour accueillir les flux de visiteurs. À ce moment-là, perchés sur cette structure éphémère, nous commençons à prendre conscience de l’immensité de la foule. Des flots humains s’étendent à perte de vue, avançant avec une étonnante discipline.

Une fois sur l’eau, la sérénité reprend ses droits. Une balade paisible en bateau nous permet d’apprécier pleinement l’étendue du Triveni Sangam. Ce calme contraste avec le mouvement incessant des pèlerins sur les rives, un va-et-vient ininterrompu qui reflète la ferveur de cet événement monumental.

Ce n’est que le lendemain matin, jour de Makar Sankranti, lors du premier Shahi Snan, que nous mesurons réellement l’ampleur de la foule. À 5h du matin, alors que l’obscurité enveloppe encore les lieux, des millions de pèlerins convergent vers le fleuve pour accomplir leur bain rituel. L’intensité des dévotions est alors palpable.
Les processions des Naga Sadhus
C’est à cet instant qu’il est possible d’assister à l’une des scènes les plus impressionnantes de la Kumbh Mela : les processions des Naga Sadhus. Ces hommes saints avancent au son des damaru, petits tambours associés à Shiva, et des chants de mantras. Certains marchent avec une solennité déconcertante, tandis que d’autres dansent avec ferveur, brandissant leurs tridents ou sabres. Le travail des autorités pour encadrer ces mouvements de foule est d’ailleurs remarquable. Contenir des milliers de fidèles, impatients de s’approcher des sadhus ou de se plonger dans les eaux sacrées, relève d’un véritable exploit d’organisation.
Après avoir observé ces instants magiques, nous rebroussons chemin vers une partie plus tranquille des berges, où des milliers d’hindous se succèdent pour se baigner dans les eaux sacrées.
Les heures qui suivent sont rythmées par des scènes de vie marquantes : des sadhvis (les femmes ascètes) nous saluant avec sérénité, des pèlerins traînant leurs valises jusqu’au bord de la rivière, les fidèles achetant des bidons pour ramener de l’eau sacrée à leurs proches ou encore des chars diffusant des mantras dans les allées.

Ces trois jours d’intense spiritualité et de moments suspendus m’auront profondément marqués. Entre la ferveur des fidèles, le calme des cérémonies et la puissance des processions, la Kumbh Mela est une expérience inoubliable, empreinte d’une énergie unique. De celles que l’on ne vit qu’une fois tous les 144 ans.
Ce voyage a été organisé par l’agence de voyage Ekayana Travel, une agence réceptive enregistrée en Inde, spécialiste du voyage sur mesure en Inde et en Asie du Sud, avec l’objectif de proposer des expériences de voyage authentiques et originales.
Un grand merci à Clémentine Hochet, expatriée en Inde (Pune) depuis fin 2022 et autrice du blog de voyage mylittlepipedream.fr