Plus de 60 % du tourisme en Inde est associé aux voyages religieux. Ainsi, la plupart des voyages de loisirs effectués par les Indiens impliquent une forme d’activité de dévotion. Visiter un lieu sacré est censé purifier l’individu et le rapprocher du divin. Non seulement les hindous, mais aussi les musulmans, les catholiques, les jaïns, les parsis, les sikhs et les bouddhistes, tous les croyants en Inde font des voyages spirituels.
Les lieux de pèlerinage
Le lieu de pèlerinage le plus important pour les Sikhs est sans doute le Temple d'Or d'Amritsar. Les temples de Shatrunjaya autour de Palitana, au Gujarat, sont parmi les principaux choix des Jaïns, tout comme le temple de Dilwara au Rajasthan. Les catholiques affluent à Velankanni, dans le sud du Tamil Nadu, pour visiter la basilique de Notre-Dame de la Bonne Santé ou gravissent les montagnes du Kerala jusqu'au sanctuaire de Malayatoor. Les bouddhistes choisissent Sarnath ou Bodh Gaya. Les musulmans, s’ils en ont la possibilité, préfèrent se rendre à La Mecque en Arabie Saoudite pour le Hajj.
En ce qui concerne les hindous, il existe des centaines de lieux dans le pays où se rendre pour des raisons religieuses. Pour commencer, il y a les sept villes saintes, puis les quatre Char Dham. Ils visitent également les temples locaux, le plus souvent possible, mais surtout les jours les plus propices et lors des fêtes religieuses.
Le Temple d'Or, la cathédrale de Velankanni, et le temple de Tirupati peuvent être visités à tout moment, même s'il y a des jours plus propices. Le pèlerinage à Sabarimala quant à lui ne peut être effectué qu'à certaines dates, et il en va de même pour le Kanwar Yatra, l'Amarnath Yatra et la Kumbh Mela, parmi tant d’autres, ce qui les rend particulièrement remarquables. Ce sont des festivals qui ont une durée limitée et ne peuvent être entrepris qu'à des dates spécifiques.
Yatra : voyage ou procession en sanskrit
L'idée d'un Yatra, un mot avec des racines dans la langue sanskrite et signifiant voyage ou procession, se traduit dans la pratique par un pèlerinage vers des lieux saints tels que les confluents de rivières et des montagnes sacrées, des lieux associés aux épopées hindoues telles que le Mahabharata et le Ramayana, ainsi que d'autres sites cultuels.
Le festival Kumbh Mela est dans une catégorie à part. Aucun autre rassemblement humain sur Terre ne peut être comparé à celui-ci, mais ce n'est pas un événement annuel. Il est célébré quatre fois sur une période de 12 ans, les sites tournant entre les quatre villes sacrées : Prayagraj, Ujjain, Nashik et Haridwar, situées au bord des quatre rivières sacrées. Il reste le plus grand rassemblement de personnes au monde, attirant environ 150 millions de pèlerins lors de son édition 2019, avec un pic de 30 millions lors des jours les plus propices.
Pour les intéressés, la prochaine Kumbh Mela aura lieu en janvier 2025 à Prayagraj, et on attend des records de participation. Pour donner une idée, l'Année Sainte jacobéenne, qui est la célébration la plus importante pour les pèlerins de Saint-Jacques de Compostelle et qui se déroule également tous les 12 ans, attire à son apogée environ 500 000 pèlerins au cours d'une année. La Kumbh Mela, quant à elle, dure 48 jours.
L’idée du voyage spirituel, en Europe et en Inde
En Europe, le plus grand et le plus long pèlerinage est celui de Saint-Jacques-de-Compostelle, ou Camino de Santiago, dans le nord de l'Espagne. Ceux qui ont fait au moins une étape de ce voyage savent à quel point il est standardisé et structuré. Vous pouvez rejoindre Santiago par voie terrestre depuis toute l'Europe et, pour ceux qui le souhaitent et qui en ont les moyens, vous pouvez même le faire partiellement par voie maritime. Cependant, il est rare que quelqu'un le fasse chaque année. Et pour beaucoup, c'est devenu un voyage de vacances dénué de toute connotation religieuse.
De nos jours, le Camino de Santiago est très différent des processions hautement dévotionnelles et animées en Inde. Le pèlerin moyen en Europe est dans la quarantaine, tandis qu'en Inde, il s'agit généralement d'une personne très dévouée, dans la vingtaine ou au début de la trentaine. L'esprit est donc très différent.
En Europe, les étapes bien organisées et les lieux d'hébergement propres et rangés sont conçus pour le confort des pèlerins. En Inde, un pèlerinage nécessite non seulement une grande force d’esprit, mais aussi une santé de fer. Pour les hindous, le voyage lui-même est aussi important que la destination, ce qui fait que les difficultés du voyage sont considérées comme un acte de dévotion en soi.
Et les difficultés peuvent être nombreuses. Cela est particulièrement évident dans certains des pèlerinages annuels les plus importants et les plus exigeants pour les hindous.
Voyages spirituels en Inde
Dans le sud de l'Inde, le voyage annuel au temple Sabarimala Sree Dharma Sasta, au Kerala, pour les fidèles du Seigneur Ayappan est précédé d'un long jeûne. Dans le nord de l'Inde, le Kanwar Yatra, qui mène à Haridwar, Gaumukh, Gangotri et Sultanganj dans les états de l'Uttarakhand et du Bihar, exige des dévots de Shiva qu'ils marchent des kilomètres pieds nus.
Le voyage à Sabarimala est exclusivement entrepris par des hommes, malgré la décision de la Cour suprême de l'Inde visant à permettre aux femmes d'y participer. En ce qui concerne le Kanwar Yatra, je n'ai trouvé aucune réglementation interdisant aux femmes de participer, mais en réalité, très peu d'entre elles le font. Ainsi, ce pèlerinage reste essentiellement un voyage pour hommes.
Lorsqu'il s'agit de pèlerinages physiquement exigeants, ceux organisés dans l'Uttarakhand pour l'Amarnath Yatra sont parmi les plus extrêmes. Ils s'adressent aux fidèles masculins et féminins.
Le sanctuaire du Seigneur Shiva, avec son lingam de glace, est situé dans les sommets de l'Himalaya et compte parmi les lieux les plus vénérés du pays. La période pour visiter la grotte change chaque année et peut se limiter à 20 jours ou durer près de deux mois - mais pas plus. C’est un pèlerinage très éprouvant dans lequel des dizaines de pèlerins meurent chaque année malgré les mesures prises par le gouvernement. L'année dernière, la tragédie a frappé lorsque 16 pèlerins sont morts à cause des inondations soudaines au cours de la première semaine du pèlerinage.
Mais nous nous concentrerons sur les deux pèlerinages qui consacrent, selon moi, l’esprit de l’hindouisme au nord et au sud de l’Inde. Ils sont tous deux très différents, mais l’essence, je pense, est la même : le Kanwar Yatra et le pélerinage vers Sabarimala.
Les pèlerins indiens
L'année dernière, comme beaucoup d'Indiens, nous nous sommes rendus à Varanasi, la ville la plus sainte d'Inde. Nous y sommes allés pour faire du tourisme, sans intention religieuse particulière, mais la découverte d'une ville sainte indienne n'est jamais complète sans la visite des temples et la participation à des cérémonies religieuses. Ainsi, en attendant la cérémonie quotidienne Ganga Aarti sur les ghats, nous avons entamé la conversation avec un groupe de jeunes hommes assis à nos côtés.
Ils étaient tous ingénieurs fraîchement diplômés. Certains comptaient poursuivre des études de spécialisation, mais l'un d'entre eux, après avoir terminé ses études universitaires à Chhattisgarh, avait décroché un emploi d'ingénieur au siège d'Apple à Paris et déménageait dans quelques mois avec le projet d’apprendre la langue à son arrivée.
Outre le caractère exceptionnel de son parcours professionnel, ce qui m'a vraiment surprise, ce sont les histoires de ses pèlerinages. Chaque année, il consacre au moins un mois à un ou plusieurs voyages religieux avec ses amis, marchant pieds nus, allant chercher de l'eau dans les rivières sacrées et la transportant sur des kilomètres, jeûnant, chantant des chants dévotionnels et participant à tant d'autres activités spirituelles.
Si s'installer à Paris en tant qu'ingénieur n'est pas très courant, être un hindou dévot l'est davantage. Il a été la première personne à me parler du Kanwar Yatra, le pèlerinage qu’il rejoint chaque année.
Le Kanwar Yatra : "Le pèlerinage des hommes de l’Inde du Nord"
Si les hommes du sud de l'Inde affluent vers le temple de Sabarimala pour vénérer le Seigneur Ayyapan, les hommes du nord de l'Inde se lancent avec une dévotion et une foi similaires dans le pèlerinage de Haridwar, connu sous le nom de Kanwar Yatra.
Le voyage à Sabarimala nécessite 41 jours de jeûne et de rituels avant le départ, mais le pèlerinage en lui-même est relativement court. En revanche, bien qu'il n'y ait pas de préparation particulière exigée avant le Kanwar Yatra, ce voyage s'étend sur presque deux semaines, généralement entre juillet et août, selon le calendrier hindou.
Historiquement, le Kanwar Yatra n’était pas l’événement que nous connaissons aujourd’hui. Il était traditionnellement réalisé par des chefs spirituels et religieux qui se rendaient pieds nus à Haridwar et dans d'autres lieux spirituels pour collecter l'eau du Gange, destinée au Kumbhabhishekam des temples de Shiva dans leurs régions respectives. Cependant, quelque chose a changé dans les années 1980 et 1990, lorsque la montée de l’hindouisme militant a transformé le pèlerinage. Depuis lors, pour les hommes indiens dans la vingtaine et la trentaine vivant dans la ceinture hindi, le Kanwar Yatra est devenu un événement annuel incontournable.
Les Kanwariyas, comme on appelle ces pélerins, transportent de l'eau dans des récipients attachés à un poteau en bambou appelé kanwar, d'où leur nom. Ils sont facilement identifiables grâce à leurs vêtements de couleur safran et aux kanwars qu'ils portent sur leurs épaules.
Les kanwars, ornés d'arrangements floraux, d'images du Seigneur Shiva et d'autres symboles religieux, ne peuvent jamais être posés au sol pendant toute la durée du voyage. Porter le kanwar est considéré comme un moyen pour les fidèles de manifester leur dévotion envers le Seigneur Shiva. Le transport de l'eau est un symbole de foi, de pénitence et de dévotion, censé apporter bonheur et bénédictions au pèlerin et à sa famille.
Le Kanwar Yatra comporte plusieurs itinéraires, tout comme le pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle, mais la plupart des pèlerins choisissent l'un des itinéraires principaux partant de l'Uttarakhand ou du Bihar vers divers sanctuaires de Shiva à travers le pays. Ils vont chercher l'eau du fleuve Ganga et la transporter jusqu'aux sanctuaires de leurs villages.
Il s'agit principalement d'une procession joyeuse et festive, avec très peu d'incidents malgré le grand nombre de Kanwariyas participant chaque année, qui a dépassé les 30 millions l'année dernière. Ce chiffre est comparable au grand pèlerinage du sud de l'Inde, le voyage annuel vers Sabarimala, également entrepris par des millions de jeunes hommes.
Sabarimala : le lieu de pèlerinage des hommes du sud de l'Inde
Dès que le mois de novembre arrive, du jour au lendemain, on peut voir des hommes marcher pieds nus dans les rues, vêtus uniquement de vêtements traditionnels noirs ou bleus, et portant des colliers spécifiques. Cela marque le début des préparatifs pour le pèlerinage.
La durée du pèlerinage au temple de Sabarimala est prédéterminée, car le temple n'est ouvert au culte que pendant environ 40 jours chaque année. Par conséquent, la préparation, durant les 6 semaines qui précèdent le pélerinage, est la même pour tous les pèlerins dans le Sud de l'Inde. Au cours de cette période, ils doivent suivre strictement un ensemble de règles. Leur régime alimentaire doit être exclusivement végétarien, ils doivent s'abstenir de boire de l'alcool, et laisser pousser cheveux et ongles sans les couper. Ils sont également tenus de respecter un vœu de célibat, d'éviter les grossièretés et de maîtriser leur colère. De plus, ils doivent se baigner deux fois par jour et visiter régulièrement les temples locaux. Autrefois, pendant cette période, les hommes dormaient par terre, mais ce n'est plus une pratique courante aujourd'hui.
Aucun fidèle ne doit se faire servir de nourriture par une femme et, en général, il doit éviter tout contact avec des femmes. Cette séparation rigoureuse entre les sexes, dès la préparation, témoigne de la principale controverse associée à ce pèlerinage, celle de la fréquentation des fidèles féminines.
La dévotion, les difficultés, les épreuves et les longues files d'attente sont des caractéristiques fondamentales de tout pèlerinage en Inde. Cependant, il y a quelque chose dans cette expérience qui pousse chaque pèlerin à y revenir année après année. Le sentiment d'appartenance, la solidarité et la proximité avec la famille et les amis tout au long du voyage, dans le cadre d'un objectif commun, sont au cœur de la pratique hindoue.