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Petite histoire du Pidgin English, le premier espéranto de Canton et de Hong Kong

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Canton a bien changé aujourd'hui, loin des balbutiements du commerce avec les Anglais au XVIIIème siècle @Unsplash/Lycheeart
Écrit par Baptiste Salis
Publié le 4 avril 2023, mis à jour le 4 avril 2023

Il m’arrive parfois, en parlant anglais à Hong Kong, de me poser à mes heures perdues des questions de linguiste… Mais d’où viennent donc les expressions « no can do » ou encore « long time no see », langage informel pourtant très facile à saisir ? En fait, il s’agit d’un modelage cantonais de la langue anglaise, une curiosité linguistique appelée Pidgin English, qui a longtemps servi de lingua franca entre Chinois et Européens.

L’arrivée des Anglais à Canton

Contrairement à ce que l’on croit, le pidgin n’est pas une langue simplifiée inventée par les anglais pour se faire comprendre des « barbares » étrangers, mais bien un dialecte adapté du cantonais par les chinois eux-mêmes pour commercer plus facilement.

Lorsque les Anglais arrivèrent en nombre en Chine à partir du XVIIIème siècle, il n'existait pas de langue commune qu’ils puissent utiliser pour communiquer. Au départ, ils devaient utiliser des gestes simples pour tenter de se faire comprendre. Pour eux, le chinois était bien trop complexe à apprendre, et les commerçants cantonais avaient interdiction de connaître l’anglais ou de tenter de leur apprendre, comme l’avait ordonné un édit impérial de 1759. En effet, le texte intitulé « Vigilance à l'égard des règlements barbares étrangers » imposait que Canton soit la seule ville autorisée à commercer avec les étrangers, pendant une période déterminée, et interdisait l’enseignement du chinois aux étrangers. Ce « système de Canton » perdura jusqu’en 1842.

Il s’agissait donc de trouver un entre deux pour fluidifier les contacts, sans compromettre les commerçants chinois qui risquaient la peine de mort s’ils étaient surpris à apprendre quelques mots de leur langue aux étrangers.

La Chine était presque inconnue des Britanniques

Il fallait que ce monde de communication soit facile à maîtriser, car à l’époque la plupart des commerçants de Canton et des marins anglais étaient analphabètes. De plus, la Chine, sa culture et ses habitudes, étaient fort méconnus, même par les aristocrates anglais.

Il existait bien des textes de pionniers, comme le linguiste Peter Mundy, auteur des « Voyages en Europe et en Asie », écrit juste après l’expédition de John Weddell. Ce dernier avait observé un certain nombre de coutumes et aliments chinois, notamment le thé, alors inconnu en Europe. Mais ses textes avaient été perdus, et comme nous l’avons dit les Britanniques ne firent plus de tentative de commerce jusqu’au siècle suivant.

Les nouveaux venus anglais plongeaient donc dans l’inconnu, dans l’exotisme le plus total face aux canaux de Canton et aux larges boutiques des prêteurs à gages.

 

canton photo ancienne

Une présence portugaise plus ancienne en Chine

Cependant, ils n’étaient pas les premiers européens à fouler le sol chinois, n’oublions pas que la présence portugaise était plus ancienne. Ils furent en effet les premiers à s’installer en 1513, bien avant les Anglais. Ils obtinrent le droit de jeter l’ancre dès 1536, et de créer une colonie à Macao, dont les premiers bâtiments permanents datent du milieu du siècle.

Le premier pidgin était donc basé sur des mots portugais. Ce dernier fut ensuite adapté aux nouveaux européens avec qui le commerce devint majoritaire à la fin du XVIIIème siècle, les Anglais. Cela explique la présence de mots adaptés du portugais dans le pidgin ensuite utilisé avec les Britanniques. Le nom « mandarin », donné aux fonctionnaires chinois, vient ainsi du portugais « mandar », commander.

L’apparition incertaine du mot « pidgin »

Plusieurs théories existent sur la naissance du mot pidgin. L’explication la plus commune est celle de la tentative chinoise de dire business. Mais il n’existe pas de preuve solide de cette origine. Il pourrait aussi s’agir de « pí qīn », qu’on peut comprendre comme « affaires » en cantonais.

Le pidgin est en tout cas devenu la langue dominante du commerce chinois jusqu’à la fin des guerres de l'opium en 1860. Il est devenu si courant dans la région de Canton, qu’il a fini par être utilisé par les Chinois entre eux, ce qui donnait un mélange peu compréhensible entre cantonais, mandarin et anglais.

Parlez-vous pidgin ?

Les structures chinoises gardèrent une place importante dans l’utilisation du pidgin, notamment par l'apparition de mots de mesure pour la plupart des noms. Au lieu de « quatre livres », on disait « quatre pièces de livres », conformément au mot de mesure mandarin « gè » - 个. De plus, le pidgin english n'avait pas de déclinaisons verbales ni de pluriel, ce qui rendait son apprentissage plus simple, en restant fidèle aux fondements chinois.

L’anglais ayant des sons inconnus en chinois, il fallait trouver un moyen de prononcer des syllabes plus ou moins similaires. Des astuces ont donc été trouvées. Les mots chinois n'ont pas tendance à se terminer par des consonnes, ce qui donnait souvent des "ee" ou des "o", à la fin des mots anglais. On peut citer par exemple les mots :

  • belong-ee (appartenir)
  • much-ee (beaucoup)
  • catch-ee (attraper) 
  • chilo (enfant)

Parfois, la version cantonaise ressemblait déjà à l'anglais et la phrase était translittérée comme un « calque ». Pour demander combien coûtait un produit, on disait par exemple « How much-ee dollar ? », tout cela grâce à la translittération des sons cantonais « hau mat zi daa laa ».

Le déclin du pidgin

Les traités signés à la fin des guerres de l'opium supprimèrent les restrictions sur le commerce et l'enseignement du chinois. Le besoin du pidgin, déjà en déclin, disparaît progressivement. Le cœur névralgique du commerce entre la Grande-Bretagne et la Chine s’étant déplacé de Canton à Shanghai, le mandarin s’est ainsi généralisé pour les échanges.

Toutefois l’utilisation de la langue a partiellement perduré, jusque dans les années 1960, où l’usage a cessé dans son dernier bastion, Hong Kong. Il y a quelques dizaines d'années, on pouvait encore entendre des mots de Pidgin, en tendant l'oreille, le long du port d'Aberdeen. Son existence demeure seulement dans certains mots mandarins, translittérations directes de l’anglais, comme bacon (péigēn) ou encore whisky (wēi shì jì).

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