A l’occasion des 60 ans des relations diplomatiques entre la France et la Chine, le Palais de Versailles a organisé avec la Cité Interdite une exposition présentant les influences artistiques et scientifiques entre les deux pays depuis le 17ème siècle. Après 9 mois dans la Cité Interdite de Pékin, l’exposition s’installe depuis cette semaine à Hong Kong jusqu’au mois de mai 2025 au sein du Palace Museum. Nous avons rencontré Laurent Salomé, directeur du musée du Palais de Versailles, pour mieux comprendre les tenants et aboutissants de cette initiative exceptionnelle.
Deux cultures devenues familières l’une de l’autre
Vous êtes directeur du musée national des châteaux de Versailles et de Trianon depuis 2016. Pouvez-vous revenir sur votre parcours et nous parler de la signification de cet échange inédit des 60 ans des relations France Chine ?
J’ai en effet débuté ma carrière en 1990 au musée de Grenoble avant de diriger le musée des Beaux-Arts de Rennes en 1995 et les musées de la ville de Rouen de 2001 à 2011. Entre avril 2011, et fin 2016, j’ai été directeur scientifique de l’établissement public de la Réunion des musées nationaux et du Grand Palais, avant de prendre le poste de directeur du musée national des châteaux de Versailles et de Trianon jusqu’à ce jour. Je suis spécialiste des XVIIe et XIXe siècles français.
Cette exposition internationale revêt une importance particulière, à la fois par sa portée symbolique, par la difficulté du fait de la distance à la fois géographique et culturelle. Étonnamment ces difficultés se sont estompées au fil du projet, les liens personnels se créant entre les experts français et chinois. C’est le reflet de cette exposition qui ne fait que raconter un rapprochement et une connaissance mutuelle entre ces deux cultures, au point de devenir familières l’une de l’autre. Nous ne faisons aujourd’hui que continuer une histoire débutée il y a 4 siècles.
Une portée philosophique dans l'exposition
La Chine et la France n’ont cessé de s’influencer. En quoi cette exposition de 120 œuvres met elle en lumière ces échanges ?
Une partie des œuvres illustrent le face à face entre les responsables politiques tels que Louis XIV et Kangxi ou encore Louis XV et Qianlong dont les chronologies correspondent presque parfaitement. D’autres objets sont les témoins des échanges scientifiques ou techniques et d’autres montrent l’évolution des goûts de chacun des pays sous l’influence de l’autre. Au-delà de l’art, il y a selon moi une portée philosophique à ces échanges, incarnée par le portrait de Voltaire en conclusion de l’exposition, qui nous rappelle les vecteurs de progrès humain que sont la curiosité, le respect et la découverte de l’autre.
Les objets exposés sont parfois difficiles à attribuer par le visiteur tant les commandes chinoises ou françaises ont été influencées par le style de l’autre pays. C’est le cas de la théière de Coteau que nos amis chinois considèrent comme particulièrement représentative du raffinement chinois et qui en réalité est un bijou du savoir-faire français. Les empereurs chinois se sont aussi montrés friands de l’ambiance galante à la française qu’ils ont cherché à importer. Alors que les Français ont été fascinés par la pureté chinoise, les Chinois se sont passionnés pour la sophistication et la grandeur des créations françaises.
Versailles a retrouvé la fréquentation d’avant le Covid
Qu’aimeriez-vous vous transmettre aux visiteurs ?
Le message principal est que de deux univers différents émerge une troisième dimension plus riche. En se confrontant à ce qui se faisait à l’autre bout du monde, chaque pays s’est amélioré. A Pékin, l’exposition a déjà attiré 175 000 visiteurs. A Hong Kong, nous pensons encore dépasser ce chiffre.
Le public chinois a toujours plébiscité Versailles. Comment comptez-vous continuer de maintenir cet attrait ?
Alors que la Cité Interdite attire pour moitié des visiteurs locaux et 30% du reste de la Chine, c'est l'inverse à Versailles dont le public est à 80% étranger. Parmi ceux-ci les Chinois constituent la deuxième nationalité. Avec 13% du total avant le Covid, la pandémie a fortement diminué le nombre de touristes chinois, d’où l’idée des expositions virtuelles qui ont circulé entre Hong Kong et Shanghai il y a deux ans. Aujourd’hui les Chinois reviennent. Ceci dit avec 8,5 millions de visiteurs chaque année, notre problème n’est pas de remplir mais de bien accueillir les touristes en les répartissant dans tout le château et sur toutes les dates et saisons.
Versailles a toujours été ouvert sur le monde
Comment continuer la recherche ? Quelles suites à cet échange ?
Les contacts entre les conservateurs vont se poursuivre. A l’occasion de cette exposition, de nouvelles questions se posent sur l’origine et la destination de certains objets. Marie-Laure de Rochebrune qui a fortement contribué au succès de cette exposition part à la retraite mais Vincent Bastien est toujours à Versailles et compte s’engager dans ces recherches. De leur côté, nos collègues de la Cité Interdite ont très envie de continuer les recherches sur leur collection française.
Quels sont vos projets pour Versailles en 2025 ?
De nombreux projets sont prévus. En fin d’année une exposition sur le Grand Dauphin, ce fils dont Louis XIV voulait faire l’homme idéal, en raffinement, éducation et puissance, ce qui n’est pas peu dire quand on sait l’opinion qu’il avait déjà de lui-même. Une plus petite exposition concerne le buste de Louis XIV par Bernin, une autre d’art contemporain sur Guillaume Bresson. Une exposition hors les murs consacrée au Comte d’Artois, le frère de Louis XVI au château de maison Laffitte.
Enfin une exposition très originale en Novembre 2025 portera sur une ambassade amérindienne de Louisiane rencontrer Louis XV en 1725, il y a exactement 300 ans. La mémoire de cette visite est toujours vivante chez ces nations amérindiennes qui avaient été séduites par la modernité et le côté libéral de la France de l'époque, contrastant avec la domination anglaise qui a suivi. Les témoignages et objets traditionnels rassemblés en collaboration avec le Musée du Quai Branly sont impressionnants.