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Coronavirus et confinement: impact sur la santé mentale

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Écrit par Patricia Herau-Yang
Publié le 13 avril 2020, mis à jour le 14 avril 2020

La pandémie bouleverse nos vies et ces trois mois à Hong Kong ont été intenses. Les psychologues proposent différentes approches pour comprendre cette situation de crise, mais manquent aussi de références car jamais une telle catastrophe sanitaire n’a eu lieu à une telle échelle. C’est donc en toute modestie que Laura, psychologue clinicienne, vous propose quelques réflexions sur le bouleversement que nous vivons. Car si nous sommes tous dans le même bateau, certains vivent l’expérience mieux que d’autres.

Concepts pertinents dans une situation exceptionnelle

Une approche est de partir d’une situation factuelle, par exemple, le confinement, et se demander les conséquences que cet état de fait a sur la personne: son moral, son niveau d’anxiété… C’est l’approche la plus fréquente dans les articles de vulgarisation, on propose des solutions à un problème. Une autre approche, utilisée ici, est de mettre à contribution des concepts: le contrôle sur sa vie, le traumatisme, la précarité.

Perte de contrôle et traumatisme

Avoir l’impression de garder le contrôle sur sa vie est un besoin fondamental de l’être humain depuis sa petite enfance: l’enfant interagit avec son environnement (sollicitations puis réponses) pour obtenir satisfaction de ses besoins. Cette interaction se passe plus ou moins bien selon que l’environnement est plus ou moins synchronisé avec les sollicitations de l’enfant. Elle est un processus au cœur de la construction de notre santé psychologique.

Le traumatisme vient faire effraction, créer une rupture, dans la façon dont nous percevons notre rapport au monde externe. Il y a un avant et un après du traumatisme. Le traumatisme vient nous rappeler que nous n’avons pas le contrôle, ce qui peut engendrer des répercussions très graves au niveau psychologique.

Les individus en situation de traumatisme se voient confrontés à des vécus de la passivité, et d’impuissance. La situation que nous vivons actuellement avec le coronavirus vient nous mettre face à une impuissance extrême, de plusieurs ordres: notre impuissance face à la mort, car nous savons que des personnes meurent; notre impuissance individuelle, car nous sommes tous là, ne pouvant rien faire; notre impuissance face au système social, car l’issue de la crise ne dépend pas seulement de ce que je fais en tant qu’individu, bien au contraire ce que toute la société fait peut avoir un impact. Chacun de nous dépend de l’engagement de la communauté et des pouvoirs publics dans la résolution de la crise.

On a beau avoir les meilleurs médecins du monde, les services de réanimation ne suffisent pas, on n’a pas tout ce dont on a besoin. Le système social même trouve ses limites face au débordement de cette crise sanitaire. Si on mène cette réflexion jusqu’au bout, la mort se trouve, au niveau symbolique, à la fin de chaque couloir de notre réflexion. C’est absolument exceptionnel comme situation traumatique.

Si on se fait agresser dans la rue par exemple, ça crée un traumatisme, ça nous questionne en tant qu’individu. On peut bien sûr se poser la question de ce que la société aurait pu faire en termes de prévention de ce type d’agression, mais ça reste une difficulté personnelle. Tandis que ce que nous vivons actuellement est massif: nous sommes tous dans la même situation. La mort touche tout le monde, sans différencier entre la hiérarchie sociale, les pays, les continents.

 

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La grève des personnels soignants, ils demandaient la fermeture des frontières (Crédit: Félix Wong, SCMP)

 

NDLR: Interrogés, les Hongkongais ont récemment corroboré plusieurs aspects que les manifestations avaient déjà fait ressortir en fin 2019: la solidité des liens communautaires, l’engagement ou civisme de la société, enfin la défiance envers le gouvernement en place. Ainsi, dans une enquête relayée par les journaux locaux, ils ont exprimé l’opinion que l’endiguement de l’épidémie à Hong Kong était dû au sérieux des mesures adoptées par les Hongkongais (masque, hygiène, quasi-absence de contacts humains pendant 2 mois), bien plus que grâce aux mesures coercitives mises en place par le gouvernement. La fermeture des frontières des personnes venant de régions à risque (en premier lieu la Chine, puis plus récemment l’Europe) par le gouvernement est venue très tard.

La grève des personnels soignants, peu équipés de matériel de protection, n’a pas été critiquée par les Hongkongais: le ressenti était que leur grève était justifiée, c’était l’absence d’actions du gouvernement qui leur faisait prendre des risques inutiles. En ce sens, les Hongkongais ont toujours eu une longueur d’avance sur leur gouvernement, ils ont pris des initiatives et repris le contrôle sur leur vie.

C’est pourquoi la question des masques, peu utilisés par les étrangers à Hong Kong, est sensible: la seconde vague (et ils rejoignent ici la propagande du gouvernement chinois) est considérée comme exogène, le fait des étrangers. On ne connaît pas la xénophobie de Chine continentale cependant, car il est public que les "étrangers" sont majoritairement des Hongkongais de retour au pays.

 

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Les achats panique, symptômatiques de la peur de la précarité

 

Impact sur le système social, précarité

Le concept de précarité fait référence à la peur de ne pas avoir, ce qui ne doit pas se confondre avec la pauvreté, qui est le fait d’avoir peu. La pointe de l’iceberg est la manière dont on se jette sur la nourriture en des achats irrationnels. Plus profondément, on a peur de perdre les objets sociaux: travail, retraite, logement. On a peur de perdre son travail si on en a un; on a peur de ne pas trouver un travail si on n’en a pas. On fonctionne en mode survie, et non plus vie. Jean Furtos, dans son dossier "les enjeux cliniques de la précarité", établit une gradation des cas: certains individus ont peur mais ils font confiance aux institutions susceptibles d’aider (gouvernement ou société civile); à l’autre extrême, d’autres au contraire vont s’exclure et s’isoler. C’est souvent ceux qui ne demandent pas d’aide qui vont le plus mal: ils ont perdu l’espoir.

NDLR: La réaction de la communauté expatriée face au risque perçu en début d’épidémie peut s’expliquer par ce fonctionnement en mode survie: pour survivre, certains ont senti le besoin de migrer, de rentrer en France par exemple, alors que d’autres, bien qu’ayant le choix, sont restés. Bien sûr, de nombreux autres facteurs sont entrés en ligne de compte (situation économique, liberté accordée par l’employeur sur le télétravail, nombre d’enfants, existence d’un lieu d’accueil, et pour les plus sensibilisés au risque viral, risque de transmettre le virus à leurs parents âgés sans le savoir). Mais sur le fonds, c’est le degré de peur ressenti, dans un réflexe de survie en plein épisode de crise, qui a joué sur les décisions individuelles.

Ayant grandi dans une société avec un filet social, les Français à Hong Kong, société sans filet social, peuvent se sentir oubliés. Peu d’aides du gouvernement local les concernent, et certains considèrent que le gouvernement français a communiqué tardivement vers ses ressortissants. Enfin les institutions françaises semblent peu ouvertes à des aménagements (financiers notamment) malgré ce ressenti de précarisation. Les très récentes propositions de Ronan le Gleut sur la création d’un fonds d’urgence pour les Français de l’étranger semblent très en phase avec cette peur de la précarité. La demande d’aide des membres de la communauté est saine: les gens ont confiance en leurs institutions.

 

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Un équilibre propre à chacun (Crédit: Sean Stratton, Unsplash)

 

Une déstabilisation à géométrie variable

La crise déstabilise tout le monde, mais pas de la même manière.

Certaines personnes vont trouver des ressources, certaines vont commencer à déprimer, d’autres qui étaient malades psychologiquement vont le rester, d’autres enfin qui avaient trouvé un certain équilibre ne vont plus tenir cet équilibre. Une rupture nous renvoie aux moments difficiles de la vie. Même si le caractère traumatique de la crise est très similaire pour nous tous, chacun va réagir de manière différente, en fonction de son histoire.

Au-delà des différences, Freud disait: "la mort est impensable". On sait tous qu’on va mourir, mais on ne le réalise pas. On arrive tous à vivre, on s’investit, car on ne sait pas quand ça va finir sinon aucun investissement n’aurait de sens. Mais là on est tous confrontés à la mort de manière beaucoup plus proche et ça vient bouger beaucoup de choses.

Et les enfants?

Le plus difficile est pour les parents, sans doute pas pour les enfants. Les parents se voient confrontés à beaucoup de changements: il faut s’occuper du travail, mais aussi des enfants et leur scolarité. Les enfants souffrent quand leurs parents ne vont pas bien. Pour eux, ce n’est sans doute pas agréable de devoir rester à la maison, de vivre dans le climat de peur instauré par les parents. Mais il n’est pas à exclure que les enfants puissent vivre cette période spéciale comme une période d’apprentissage.

Ce qui est très grave bien sûr est le cas des enfants confinés avec des parents violents, car ces enfants-là vivent un enfer. En période normale, ils ont accès à un cercle social en-dehors de leur famille dysfonctionnelle, qui leur permet de survivre. Là, ils sont bloqués.

Pour la plupart des enfants, il y a une rupture de la routine, mais je ne sais pas si c’est si grave que ça pour eux.

 

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Qu’est-ce qui va en rester?

C’est une période où on questionne beaucoup de choses qui paraissent installées dans nos sociétés. On peut citer beaucoup d’exemples, ainsi le rôle et le niveau des enseignants et du personnel soignant. On ne se rend pas compte tous les jours que nos enfants vont à l’école, et que c’est très difficile d’enseigner à des enfants. C’est pareil pour les soignants, un corps en mouvement social depuis des années en France.

Au niveau individuel, on voit le nombre de divorces augmenter dans les régions du monde qui ont été touchées tôt par l’épidémie, on voit aussi des violences dans les couples actuellement confinés. C’est une situation inédite qui va faire jouer le rôle de catalyseur pour certaines décisions difficiles à prendre.

Pour conclure, il n’y a pas de référence scientifique ou historique qui parle directement de ce qu’on est en train de vivre. Il y a au contraire 1001 manières d’aborder cette situation. A chacun de trouver la sienne.

 

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