Le Prix du Public des Trophées des Français de l'ASEAN, parrainé par la Banque Transatlantique, recense 6 finalistes dont deux expatriés au Vietnam. François Bibonne est l'un d'entre eux.
Après le décès de sa grand-mère vietnamienne, François Bibonne décide de passer 15 mois au Vietnam. En tant que fan de musique classique et diplômé d'histoire, il est fasciné par les racines historiques du Vietnam en matière de musique classique. Il tourne alors son premier documentaire en 2020-2021 : "Once upon a bridge in Vietnam".
Nous l'avons interrogé pour en apprendre un peu plus sur son parcours, son film documentaire ainsi que ses aspirations futures.
Interview François Bibonne : réalisateur d'un documentaire au Vietnam
Le Petit Journal: Quel est votre parcours avant d'être venu au Vietnam ?
J’ai fait une classe préparatoire littéraire (hypokhâgne / khâgne), puis obtenu un master d’histoire contemporaine à Paris 1 Panthéon Sorbonne. J’ai ensuite suivi plusieurs stages en marketing et communication. Comme je suis pianiste mélomane et passionné de musique classique en général, j’ai décidé de me rapprocher de cet univers, et je me suis découvert une passion pour le documentaire en filmant avec les artistes.
LPJ: Votre projet est une quête qu'on pourrait qualifier de spirituelle ? "Faites du bruit pour que votre grand-mère vous entende revenir sur ses terres", pouvez-vous revenir sur ce cheminement personnel qui vous a conduit à produire ce documentaire ?
Je suis allé deux fois au Vietnam après son décès, la première fois en famille avec mes parents et mon frère, puis dans le cadre d’un stage de marketing dans une agence de voyages à Hanoi. De retour en France, j’ai ressenti un appel qui me disait de retourner au Vietnam. A ce moment je faisais encore un stage dans un groupe de labels de musique classique (Outhere Music), et en regardant les calendriers des artistes, je me suis demandé si le Vietnam pourrait être une destination. C’est là que j’ai commencé à faire des recherches sur la place de la musique classique européenne au Vietnam. Le projet initial était de partir enquêter sur cette thématique, je ne pensais pas réaliser un documentaire professionnel de cette envergure.
LPJ: Pouvez-vous résumer les étapes que vous avez suivies pour réaliser ce documentaire ?
Je suis d’abord entré en contact avec le Vietnam National Symphony Orchestra, et le chef d’orchestre Honna Tetsuji, puis j’ai commencé à filmer les répétitions et concerts à l’opéra de Hanoi. A ce moment, je voulais faire un film sur l’orchestre uniquement. Je louais une caméra.
Puis en interrogeant les musiciens, je me suis intéressé à leur culture et j’ai commencé à écouter leurs histoires et à sortir du cadre des salles de concert et de la musique classique européenne. J’ai voulu filmer la nature, notamment par exemple une scène qui se déroule sur l’île des bananiers en dessous du pont de Long Bien, alors un atelier de fabrication de cuivres dans la province de Nam Dinh, ou un village près de Bac Giang où beaucoup de jeunes étudient le violon dans une ferme.
J’ai eu ensuite une étape de réflexion, car tout ce que je filmais, je ne savais pas comment l’organiser. Je me suis donc rapproché d’une petite boite de production hanoienne (Midas Productions). En parallèle, la télévision vietnamienne et la presse n’arrêtait pas de m'interviewer et de mettre en valeur mon lien avec le Vietnam via ma grand-mère. C’est là où j’ai progressivement compris qu’il fallait que je m'inclue dans le film, qu’on me voit. Midas Productions m’a aidé à réaliser des interviews professionnels avec toutes les grandes figures que je voulais interviewer. Le film devenait plus solide.
La quatrième étape a été ma rencontre avec Thuy Phan, une musicienne et compositrice traditionnelle, que j’ai accompagnée lors d’un festival de musique vietnamienne et actuelle, avec des musiciens volontaires qui sont aussi dans l’orchestre. Là-bas le reportage a pris une dimension spirituelle, dans les montagnes du Nord (province de Yen Bai), et j’ai compris que c’était la direction du film, de partir de la culture avec l’orchestre et la musique classique européenne, pour finir vers la nature et la culture vietnamienne. Le but du festival était d’ailleurs de financer une forêt de bambous !
La cinquième étape est mon retour en France et la structuration du script, le dérushage, je n’avais pas de matériel donc j’ai fait appel à une boîte de production, Firgun Recordings, à Fontainebleau, qui m’a aussi beaucoup aidé. Ils m’ont interviewé pour que je puisse faire la narration. En parallèle, j’ai fait un crowdfunding et levé 12.000 euros pour financer la post production et toute la suite du projet, notamment le design de l’illustration officielle du film qui est magnifique et symbolise le concept de Once upon a bridge in Vietnam. Grâce à cette levée de fond je me suis rapproché du tissu associatif vietnamien en France et de la diaspora vietnamienne.
La sixième étape a été de démarrer des projections privées, et d’écouter les retours de mon entourage. J’ai ensuite travaillé pendant une autre année à remodeler le film comme je le souhaitais, avec mon nouveau studio personnel, et toute la liberté artistique que je voulais injecter. Le film, qui devait durer 30 minutes, est devenu un film de 43 minutes qui a su relier toutes mes aventures musicales en une œuvre d’art dédiée à ma grand-mère vietnamienne.
Maintenant, je suis au bout du projet, j’ai encore quelques projections - notamment au Hanoi Creative Design Festival à Hanoi le 13 novembre, à Columbia University le 17 novembre, à Sciences Po Le Havre fin novembre… Je souhaite organiser un maximum de conférences, projections, concerts, pour déclencher un engouement pour la musique au Vietnam et offrir un point de vue qui diffère de celui des agences de voyage et de la guerre. Ce film m’a permis de devenir résident à Arte cette année à Paris, dans leur nouvel incubateur, et d’apprendre beaucoup de choses. J’espère pouvoir vendre le film un jour, ou le populariser un maximum une fois publié en ligne.
"Once upon a bridge in Vietnam" et la musique classique au Vietnam
LPJ: Pouvez-vous décrire la connexion qu’il y a entre la musique vietnamienne et française que vous avez pu vivre et observer ?
J’ai rencontré beaucoup de personnages différents, et tous m’ont communiqué leur amour pour la musique française. On retrouve dans le film beaucoup de musique française, comme Plaisir d’amour, une vieille chanson française mélancolique qui est chantée par une chorale d’aveugle, qui m’avait aussi chanté Les comédiens de Charles Aznavour. On peut dire que l’hymne vietnamien composé par Van Cao que l’on entend au début du film est aussi assez semblable à la Marseillaise.
L’histoire la plus intéressante, je trouve, est celle de ces très vieux instruments à vent, des cuivres, qui servent de modèles de fabrication pour des artisans dans la province de Nam Dinh. Quand j’ai vu ces antiquités qui dataient pour certains modèles de la première moitié du XIXème siècle, j’avais l’impression d’être en contact direct avec le passé. C’est un leg important des missionnaires chrétiens français qui utilisaient ces instruments pour accompagner les messes.
Sinon, je ne pense pas en général qu’il y ait un caractère nationale à une musique, parce que chaque compositeur à sa manière de s’exprimer, mais c’est vrai que les compositeurs tels que Ravel ou Debussy sont très appréciés par les musiciens vietnamiens, en général on retrouve un attrait pour la culture française en architecture, en peinture, en gastronomie. Et la musique vietnamienne est jouée en France, Nguyen Thien Dao a été l’élève d’Olivier Messiaen et le français Ton That Thiet qui a étudié au Conservatoire National Supérieur de Paris est un des plus grands compositeurs de musique contemporaine vietnamienne.
LPJ: Quelle expérience vous a le plus marqué durant vos 15 mois au Vietnam ?
Je vois ces quinze mois comme une expérience unique, un peu comme celle d’Alice au pays des merveilles version Vietnam ! C’est difficile de hiérarchiser les moments, je pense que toutes mes rencontres ont été incroyables, et j’ai été fasciné par tout, absolument tout. Si je dois choisir, je pense que c’est le dernier chapitre du film, lorsque je suis dans la nature, dans les montagnes, et que j’accompagne une troupe de musiciens qui plante des bambous. C’est un peu la philosophie que je veux avoir, me rendre utile simplement.
LPJ: Quelle a été la plus grosse difficulté que vous avez rencontré dans la réalisation de votre documentaire ?
La plus grosse difficulté a été de persévérer seule, sans sponsor et sans budget. Heureusement, j’avais le soutien psychologique de tous mes amis musiciens du Vietnam et des médias vietnamiens, mais il y a eu des moments de creux, car 15 mois de tournage dans un pays étranger, c’est forcément difficile. J’enseignais l’anglais et le français en parallèle.
LPJ: Avant / après avoir réalisé ce documentaire, quel a été le plus grand impact que vous avez eu personnellement et professionnellement ?
Une dame (Hélène Nguyen Thien) m’a dit un jour : “Le vent d’est emportant vos racines avec une voix émouvante vous a indiqué votre voie actuelle”. Ce documentaire m’a donné et continue de me donner le chemin dans ma vie. Grâce à lui, j’ai pu entrer en lien avec la chaîne Arte, avec la diaspora vietnamienne, avec le réseau des grandes écoles (Columbia, Sciences Po), avec le gouvernement vietnamien, mais aussi avec des artistes incroyables, des musiciens et des designers, des associations et des chercheurs. J’ai l’impression d’avoir ouvert une sorte de porte magique qui me permet de rencontrer des belles personnes, tant dans le travail que dans la vie privée, qui font que j’ai trouvé dans la réalisation de documentaires une vocation.
Aujourd’hui, j’ai une confiance en moi qui me permet d’assumer ma vie d'auto-entrepreneur sereinement et de tisser un réseau professionnel et affectif solide dans la musique classique à l’international.
France - Vietnam et les synergies via la musique
LPJ: Comment voyez-vous l'évolution et le développement de synergies de la musique classique entre le Vietnam et la France ?
Je vois que l’Asie prend une place de plus en plus importante dans la musique classique européenne, et je vois de plus en plus d’élèves vietnamiens qui étudient en France.
Les échanges vont se multiplier automatiquement, parce que lorsqu’un vietnamien étudie la musique en France, en général, il en tombe amoureux, et voudra bien souvent donner cette même chance aux générations futures. Pour moi les synergies vont se faire dans la mobilité de l’enseignement (masterclasses, boursiers, etc) et la recherche universitaire (thèses).
LPJ: Dans 5 ans, où vous voyez-vous ? Quels sont vos projets futurs ?
Dans cinq ans, je ne me vois plus auto-entrepreneur. Je pense que j’aurais fait le tour de ce que je peux faire tout seul, et j’aurais certainement une société avec des personnes que j’ai déjà en tête. Ma vie est à Paris, mais j’aurais des voyages réguliers au Vietnam, grâce à mon exemption de visa spéciale en tant que français d’origine vietnamienne. Je veux construire des ponts avec d’autres pays, car même si mon cœur est au Vietnam, j’ai trop de curiosité pour m’arrêter là.
L'interview de François Bibonne ou son documentaire "Once upon a bridge in Vietnam" vous ont intéressé ? Votez dès maintenant et ce jusqu'au 14 novembre 2022 (midi heure française) pour le soutenir. François Bibonne est l'un des six finalistes pour le Prix du Public des Trophées des Français de l'ASEAN.