À notre arrivée, Thao Na est occupée : elle conclut son cours aux étudiants de l’école Ferrandi venus lui rendre visite. Elle se libère rapidement et nous accueille dans son restaurant, le Lavelle Library.
Nous découvrons un jardin luxuriant caché au beau milieu de Thao Dien. Le lieu est un concept à part entière : salle de danse classique et fleuriste côtoient sa cuisine où sont préparés des plats gastronomiques français.
Un repas nous est offert : asperges blanches poêlées avec oeuf 64°C et crème parmesan, raviolis aux champignons accompagnés d’une émulsion d’épinards et sorbet au lychee surmonté d’une tuile noisette.
Cette superbe introduction terminée, l'interview peut commencer...
Les débuts de Thao Na en France
La passion de Thao Na pour la cuisine se révèle très tôt, alors qu'elle s'amuse avec ses amies et aide les femmes de sa famille dans leurs tâches quotidiennes. À sa sortie du lycée, elle intègre une école d'hôtellerie à Saigon. Une professeure repère son talent et lui conseille de s’expatrier :
« Si tu veux devenir une grande cheffe, tu dois apprendre la cuisine en France ».
Son entourage est surpris : les études à l'étranger sont d’ordinaire destinées aux cursus scientifiques et commerciaux. Mais cela ne l'empêche pas de s'envoler vers Lyon puis Paris. Elle apprend la langue du pays et rejoint parallèlement l'université pour une formation en management culinaire.
La jeune femme pleine d'ambitions réussit à travailler en tant que sous-cheffe pour le Park Hyatt pendant six ans. Elle s'estime chanceuse : en dépit d'un rythme très intense - ses journées commencent à 6h et se finissent à 22h - l'équipe se montre bienveillante à son égard et elle y acquiert une expérience déterminante.
Le retour au Vietnam
Quand Thao Na décide de rentrer à Ho Chi Minh Ville, c'est avec le projet de faire redécouvrir la cuisine française aux Vietnamiens. Pour déconstruire les idées reçues, elle s'emploie à proposer une gastronomie légère en texture, riche en saveurs et accessible pour tous les budgets. Lors de l'ouverture de son restaurant, le succès est au rendez-vous. Le bouche-à-oreille fait son effet, principalement au sein de la communauté française, qui représente alors 70% de sa clientèle.
« Si je devais décrire ma cuisine, je dirais : fraîche, simple, légère, naturelle et équilibrée. »
Son expérience de cheffe au Vietnam
En coulisse, la cheffe tente de s'émanciper du management à la française, en instaurant un rapport de confiance, moins hiérarchique avec ses étudiants. Elle essaie de varier les missions des commis pour les stimuler. Quand on lui demande ce qui la distingue des autres cuisiniers, elle nous raconte les fois où, lorsque d'autres chefs l'interrogeaient sur ce qui rendait ses plats si spéciaux, elle révélait son ingrédient secret : « l'amour ».
Ses journées sont rigoureusement organisées : après deux heures de sport quotidiennes, la préparation du déjeuner commence. Elle rejoint ses amis pour quelques sorties puis retourne au restaurant de 17h à 22h. Alors pendant la crise du Covid, Thao Na est décontenancée : c'est la première fois qu'elle reste inactive aussi longtemps. Suite à cette période instable, d'anciens clients fidèles l'invitent à devenir gérante du restaurant qu'ils détiennent : le Lavelle Library.
« Cuisiner est à la fois un jeu d'enfant et une joie d'adulte. Et cuisiner avec soin est un acte d'amour. »
Le restaurant Lavelle Library
Le défi que rencontre Thao Na quand elle accepte cette proposition est multiple : il faut répondre aux attentes des clients tout en les surprenant, satisfaire les goûts français et vietnamiens, faire plaisir aux habitués comme aux nouveaux venus.
Sa méthode pour concevoir une recette ? « Je recherche des équilibres ». Pour cela, elle applique les principes de la cuisine fusion. Mêler haut de gamme et produits populaires, servir les plats tous ensemble ou dans un ordre défini, importer les ingrédients ou se les procurer sur les marchés locaux... les décisions se prennent au cas par cas. Un exemple : les retours des clients peuvent se montrer critiques si l'offre du jour est constituée de pâté ou de patates douces, jugés insuffisamment « élégants ».
La scène gastronomique du Sud du Vietnam étant historiquement plus ouverte à l'international, Thao Na reste libre d'innover et de laisser parler sa créativité.
Avant de quitter le restaurant, nous ne pouvons nous empêcher de lui poser la question : « Quels sont vos plats préférés ? ».
« À cuisiner, le bœuf bourguignon. À manger, les escargots ! »
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