Organisée le 28 mars 2025 par l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF) dans les locaux de l’Université de Montréal, la table ronde « Les nouveaux visages de la francophonie mondiale » a réuni les représentants de trois observatoires majeurs pour dresser un état des lieux du français dans le monde. Portée par l’Afrique, cette francophonie démographique se heurte toutefois à des fragilités structurelles et à des disparités persistantes.


Une rencontre hybride et rigoureusement orchestrée
C’est Jean-Frédéric Légaré-Tremblay, conseiller principal au cabinet du recteur de l’Université de Montréal, qui a animé les échanges avec finesse et rigueur, assumant également la délicate responsabilité de respecter les horaires.
La table ronde s’est tenue en format hybride : un public diversifié était présent dans la salle, tandis qu’un auditoire élargi suivait les échanges en ligne. La richesse des présentations a été prolongée par une période de questions ouverte, marquée notamment par l’intervention de la sous-ministre adjointe des Relations internationales et de la Francophonie du Québec, Marie-Josée Audet, saluant « des données aussi robustes que précieuses pour éclairer nos politiques publiques ».

Des plaques tectoniques qui bougent
Richard Marcoux, directeur de l’Observatoire démographique et statistique de l’espace francophone (ODSEF), ouvre les débats : « Nous assistons à une reconfiguration tectonique de l’espace francophone. » Portée par la dynamique démographique de l’Afrique, la francophonie change de visage. Mais attention aux illusions d’optique : « Le nombre de locuteurs progresse, mais l’influence réelle du français recule dans des domaines clés comme les sciences ou la diplomatie », prévient-il. La stagnation de la scolarisation dans certaines régions fragilise durablement cette croissance.

L’inclusion financière, levier de développement
Hervé Prince, directeur de l’Observatoire de la Francophonie économique, met en lumière une fracture persistante : l’exclusion financière. « En Afrique subsaharienne, une large majorité de la population reste hors des systèmes bancaires formels », explique-t-il. À travers une nouvelle plateforme de données, son équipe révèle les disparités entre les sexes, les zones rurales et urbaines, ou encore entre générations. « Pour que la francophonie ait un sens économique, il faut garantir un accès équitable aux ressources, à l’innovation et à l’accompagnement. »
Hervé Prince et l’OFÉ : mettre l’économie au cœur de la Francophonie

Invisibilité statistique et biais de genre
Marie Langevin, co-directrice de l’Observatoire francophone pour le développement inclusif par le genre, s’attaque à une autre forme d’inégalité : l’absence de données fiables sur les réalités vécues par les femmes. « Trop souvent, les bases de données ignorent ou simplifient les enjeux de genre », déplore-t-elle. Grâce à une nouvelle infrastructure numérique, son observatoire cherche à combler ce « fossé de données », en croisant des indicateurs économiques, sociaux et politiques pour rendre visible ce qui ne l’est pas. « Une politique inclusive commence par une donnée inclusive. »

En guise de conclusion : un appel à la lucidité et à l’ambition
L’introduction de la table ronde, prononcée par Slim Khalbous, recteur de l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF), a posé avec force les termes du débat. Dans un discours dense, articulé et parfois incisif, il a rappelé l’origine même de l’AUF — fondée à Montréal en 1961 avec une poignée d’universités — et son évolution en un réseau mondial rassemblant aujourd’hui plus d'un millier d'établissements membres dans 120 pays. Une croissance fulgurante, certes, mais à ses yeux insuffisante si elle ne s’accompagne pas d’un sursaut stratégique.
« Le nombre de francophones augmente, mais leur influence décline. » - Slim Khalbous
Le constat est sans appel. Le recteur a alerté sur la domination écrasante de l’anglais dans la production scientifique, avec 94 % des publications mondiales rédigées dans cette langue. « Ce n’est pas une guerre contre l’anglais, a-t-il précisé, mais un combat pour la diversité des pensées, des visions du monde, des références culturelles. » Il a dénoncé une forme de désengagement des institutions internationales qui, malgré la présence officielle du français dans leurs statuts, l’emploient de moins en moins dans les faits.
Mais son message ne s’est pas arrêté au constat. Il a aussi proposé des pistes de transformation, plaidant pour une diplomatie scientifique francophone forte, une relation plus directe avec la jeunesse — notamment à travers les clubs leaders étudiants francophones — et une approche fondée sur les données et les connaissances partagées.
« La Francophonie ne se décrète pas, elle se prouve. Par la rigueur, par l’utilité, par l’exemplarité. » - Slim Khalbous
Son intervention, à la fois politique et académique, a servi de fil rouge implicite à toute la table ronde. Elle a rappelé que la Francophonie n’est pas un héritage figé, mais un projet vivant, exigeant, qui suppose de penser autrement la coopération, l’éducation, l’économie et le savoir.
L'intervention de Slim Khalbous en préambule de la table ronde
Et maintenant ?
Cette table ronde n’a pas clos les débats, elle les a ouverts. Comment renforcer l’attractivité du français auprès des jeunes ? Comment faire de la francophonie un espace d’opportunités économiques et scientifiques ? Comment transformer les données en leviers d’action ? Autant de défis à relever. Ensemble.
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