Professeure à Harvard, originaire de Detroit, Claire-Marie Brisson a bâti un pont entre ses racines familiales québécoises et ontariennes et son engagement académique. Dans ses cours entièrement en français, elle invite ses étudiants à pagayer sur les rivières de l’histoire et à cartographier une francophonie nord-américaine vibrante, souvent ignorée, mais bien vivante. Rencontre avec une pédagogue qui fait de la langue une aventure humaine.


Detroit, creuset linguistique et identitaire
« Pour moi, c’était une ville où les langues se mélangeaient », se souvient Claire-Marie Brisson en évoquant Detroit, sa ville natale. Dans ce carrefour industriel et migratoire, l’anglais côtoie l’arabe, le russe, l’espagnol, et bien sûr, le français – celui de ses grands-parents québécois et ontariens. Ce quotidien plurilingue forge en elle un rapport à la langue qui dépasse la simple transmission : « C’était partager le français avec mes voisins, mes frères, la communauté. Ce n’était pas une langue étrangère, c’était une langue parmi d’autres. »

Un rêve guidé par la langue
Si le français s’impose très tôt dans sa vie, c’est à l’université qu’il devient vocation. « J’ai commencé à rêver », dit-elle. Rêver de visibiliser une francophonie nord-américaine méconnue, souvent réduite au seul Québec.
De la licence à l’Université du Michigan à un doctorat sur l’identité franco-américaine à l’Université de Virginie, son parcours académique est un itinéraire de réappropriation. « On lisait des auteurs français, mais rien sur la francophonie d’ici. C’était une lacune… et une invitation à ouvrir la porte. »
À Harvard, une carte blanche pour une langue vivante
Depuis 2022, Claire-Marie Brisson a lancé un cours novateur à Harvard : Découverte de la langue française en Amérique du Nord. Son point de départ ? Une carte vierge. « Je demande aux étudiants : où sont les francophones ? Certains pointent le Québec, d’autres la Louisiane, parfois Haïti. Et très vite, la carte se remplit… jusqu’à déborder. »
Avec elle, on découvre la Louisiane de Zachary Richard, les ouvrages de Gabrielle Roy, les voix autochtones de Michel Jean. On rencontre également des auteurs comme Brad Cormier, écrivain hydrographique.
On apprend à lire une carte autrement : non plus en frontières, mais en fleuves, en récits, en trajectoires humaines.
Brad Cormier est un auteur canadien contemporain dont l’œuvre explore les thèmes du voyage, du territoire et de la rivière comme fil conducteur identitaire. Son livre Rivièrances, publié chez Leméac, se distingue par une écriture fluide et rythmée, saluée pour sa profondeur et sa portée symbolique.
Un cours comme un voyage
Son approche pédagogique est résolument incarnée, immersive. « Ce n’est pas un cours sur le passé composé. C’est un voyage. On trace, on explore, on invite des auteurs, on échange avec d’autres universités, on vit la francophonie. » Chaque semestre devient une odyssée, chaque étudiant un explorateur de la langue et de la mémoire.
En complément des textes étudiés, les étudiants utilisent aussi des outils numériques pour suivre les traces de la francophonie nord-américaine — le tout entièrement en français. Certains changent de thèse, d’autres publient, plusieurs poursuivent leur engagement dans des conférences en français.
« Le français devient un espace de pensée, un lieu de confiance. »
Une francophonie choisie, vécue et partagée
À la fin du cours, elle pose toujours la même question à ses étudiants : « Et vous, que ferez-vous pour la francophonie ? » Certains publient, d’autres changent le sujet de leur thèse. Tous sortent transformés. « Apprendre le français, c’est apprendre à vivre », lui confie un jour un étudiant. Et Claire-Marie Brisson de conclure : « Ce que je fais, c’est partager la vie… la vie qui se tient en français. »
La francophonie comme engagement
Mais au fond, qu’est-ce qu’être francophone ? Brisson retourne la question à ses étudiants. « Êtes-vous francophones ? Faites-vous partie de la francophonie ? » La réponse est souvent hésitante, puis s’affirme : « C’est par curiosité, par humanité, que nous voulons en être. »
Pour cette enseignante, la francophonie n’est pas une étiquette figée, mais un mouvement. « Un de mes étudiants m’a dit : apprendre le français, c’est apprendre à vivre. » Et c’est peut-être là l’essentiel : faire de la langue un lien, un engagement, un choix.
Revoir les frontières, raviver les voix
Et si, comme le propose Claire-Marie Brisson, nous reconfigurions nos cartes mentales ? Si la francophonie n’était pas seulement un héritage, mais une invitation à habiter autrement le monde ? En redonnant voix aux territoires, aux récits et aux langues oubliées, elle nous rappelle que la francophonie nord-américaine n’a jamais cessé d’exister — elle attendait simplement qu’on la regarde.
Article réalisé en collaboration avec le RIMF, avec le soutien de l’Organisation Internationale de la Francophonie
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