Le règlement d’une succession en France en présence de plusieurs épouses ne se rencontre que dans le cas particulier du décès d’un homme polygame. Ces successions suivent un traitement spécifique.
Les notaires de France vous renseignent.
Nous partirons de l’hypothèse de la succession d’un homme laissant pour lui succéder deux épouses :
Préalablement, rappelons les effets qu’un mariage polygamique peut produire dans notre société. On sait que ce dernier est autorisé pour les hommes dans certains pays, C'est le cas non seulement de la quasi-totalité des pays à forte population musulmane, à l'exception de la Turquie et de la Tunisie (interdit en 1957), mais également de quelques pays africains majoritairement chrétiens et/ou animistes. Il puise dans les pays musulmans sa légitimité dans le fait qu’il est permis par le Coran. On constate que certains de ces pays mettent en place une législation afin de limiter le nombre d’épouses autorisé à un maximum de deux1. Selon le Coran, l’homme est autorisé à avoir jusqu’à quatre épouses.
Rappelons que dans ces pays, la disparité de culte peut constituer un empêchement à la célébration du mariage :
-Un homme musulman peut épouser une femme non musulmane mais il lui est interdit d’épouser une femme n’appartenant pas à l’une des religions « aux gens du livre », c’est-à-dire une femme chrétienne ou juive, religions ayant comme base l’Ancien ou le Nouveau Testament (Coran, Verset-5). A l’inverse, une femme musulmane n’est pas autorisé à épouser un non musulman. En général, elle doit apporter la preuve que son futur époux d’origine non musulmane s’est converti à l’Islam. Dans de nombreux pays, ce mariage sera soumis à autorisation et à une enquête administrative et les conditions de fonds du mariage s’imposent même lorsque l’union est célébrée à l’étranger, c’est-à-dire en dehors du pays de droit musulman (entre deux nationaux musulmans ou entre un national musulman et un étranger). Par exemple le mariage d’une Marocaine musulmane avec un non-musulman, même célébré en France, ne sera jamais regardé comme valable au Maroc2.
Rappelons également que la polygamie est interdite en France (code civil art. 147).
Mariage célébré en France : l’ordre juridique français tout en acceptant que le mariage polygamique valablement célébré à l’étranger puisse produire quelques effets en France, a expressément interdit toute célébration de ce type d’union sur son territoire. Par conséquent, un mariage bigame ne peut être valablement contracté sur le territoire français3.
Ainsi, les femmes sont protégées contre l’introduction dans leur vie conjugale d’une coépouse tant que le mariage est célébré en France puisque la prohibition de la polygamie s’impose à tous les étrangers qui se marient en France même lorsque leur loi nationale les autorise à avoir plusieurs épouses4.
1 tel est le cas au Maroc ; en effet dans ce pays un second mariage doit faire l’objet d’une autorisation judiciaire préalable, par conséquent, le demandeur doit objectivement motiver sa requête (par exemple en invoquant la maladie de la première épouse ou sa stérilité et en le justifiant en produisant un certificat médical.) le juge vérifie également que le futur époux dispose de ressources suffisantes pour subvenir aux besoins des familles et de garantir tous les droits (notamment l’entretien, le logement et l’égalité de toutes les épouses dans tous les aspects de la vie (C. fam marocain., art. 41). La polygamie est impossible dans le cas où l’époux a renoncé à cette possibilité dans son acte de mariage (C. fam marocain., art. 40). Cette clause permet au juge de rejeter d’office la demande d’un deuxième mariage du mari. A défaut de cette clause et si un époux fait une requête pour être autorisé à convoler une seconde noce, cette demande ouvre le droit à la première épouse d’obtenir automatiquement le divorce. Selon le Coran, l’homme est autorisé à avoir plusieurs épouses dans la limite maximum de quatre.
2 C. fam. marocain, art. 14. A l’inverse, le mariage d’une marocaine musulmane en premières noces avec un non-musulman en France est valable en France.
3 TGI Paris, 22 janv. 1968, JCP 1968, IV, 116.
4 Dijon, 23 mai 1995, JCP G 1996, IV, 176.
Dans l’hypothèse d’un second mariage contracté en France, la jurisprudence refuse de lui faire produire effet même si la loi nationale des deux époux valide le mariage polygamique5.
Mariage célébré hors de France : le mariage à l’étranger d’une française, même de double nationalité, et d’un étranger polygame n’est pas valable en France. L’interdiction, pour un ressortissant français, de contracter une union polygamique6, est absolue et l’exigence de monogamie suit le Français en quelques pays qu’il aille se marier7.
En revange, les mariages célébrés à l’étranger sont reconnus comme valable au fond s’ils sont conformes à la loi personnelle de chacun des époux. La jurisprudence admet la reconnaissance en France d’un mariage célébré à l’étranger en état de bigamie, à condition que les lois nationales de chacun des époux autorisent la bigamie8. Dans un tel cas, l’ordre public français, en raison de ses effets atténués, ne s’oppose pas à ce qu’un mariage polygamique contracté régulièrement à l’étranger selon la loi locale produise en France des effets d’ordre successoral au bénéfice d’une seconde épouse et de ses enfants légitimes. Seule exception, déjà ci-dessus rappelée : un tel mariage ne produira aucun effet en France lorsque l’un des époux possède également la nationalité française9.
En cas de mariage polygamique, quel est le régime matrimonial applicable ?
La solution logique serait de considérer que seul un régime de séparation de biens est compatible avec la polygamie, dès lors que la séparation de biens est le régime « légal » en droit musulman. Le mariage polygamique serait exclusif d’un régime communautaire. Telle est la position d’une partie de la doctrine10. Cependant, du côté français, il n’y a pas lieu d’écarter l’application de la règle de conflit de lois applicable en matière de régime matrimonial.
Prenons l’exemple d’une succession internationale comprenant un de cujus de nationalité marocaine, résident de France au moment de son décès et qui s’était marié une première fois au Maroc en l’an 1969, sous le régime légal marocain de la séparation de biens. Ce dernier s’était marié une seconde fois au Maroc avec une épouse de nationalité marocaine en 1999 (les deux époux étant uniquement de nationalité marocaine, ce second mariage polygamique est valable en application de la loi marocaine). Ces deux nouveaux époux résidaient en France au moment de leur mariage et y ont fixé leur résidence jusqu’au décès de Monsieur. En principe, la détermination de la loi applicable au régime matrimonial doit être faite conformément aux règles de droit international privé commun. Or, on constate qu’il n’existe pas de convention bilatérale conclue entre la France et le Maroc en matière de régimes matrimoniaux et qu’il convient donc d’appliquer les règles posées par la convention de la Haye du 14 mars 1978 qui est applicable à ce mariage. L’article 4 de celle-ci soumet le régime matrimonial à la loi du pays de la première résidence habituelle des époux, sans qu’il soit tenu compte de la volonté des époux. Par conséquent, en
5 CA Lyon, 21 mars 1974. Droit international privé et européen pratique notariale 10ème édition Defrénois, p. 95 Mariel REVILLARD.
6 Cass 1ère Ch. Civ., 24 sept. 2002. Dans ce cas particulier, le mariage serait frappé de nullité pour bigamie. Cependant, l’action en nullité doit être intenté dans le délais de l’article 184 du code civil « Tout mariage contracté en contravention aux dispositions contenues aux articles 144, 146, 146-1, 147, 161, 162 et 163 peut être attaqué, dans un délai de trente ans à compter de sa célébration, soit par les époux eux-mêmes, soit par tous ceux qui y ont intérêt, soit par le ministère public.
7 En présence d’époux ayant plusieurs nationalités, la jurisprudence française dans un tel cas, affirme le principe de la prééminence de la nationalité française en cas de conflit de nationalité.
8 Cass. Civ. 1ère,24 sept. 2002, n° 00-15.789.
9 Cass. Civ. 1e, 6 juillet 1988 : « La conception française de l’ordre public s’oppose à ce que le mariage polygamique contracté à l’étranger par celui qui est encore l’époux d’une française produise ses effets à l’encontre de celle-ci » ; Mariel Revillard, Droit international privé et européen : pratique notariale, édition Defrénois, 10e édition, §1049. Cass. Civ. 1ère,17 février 1982, Baaziz, Rev. crit. DIP 1984, note Y. Lequette.
10 B.Bourdelois, Mariage polygamique et droit international privé français, Paris, 1993, n°595 et s. – TGI paris, 26 février 1986 : JDI 1988, p. 420, note G. Wiederkehr.
application de cette convention, ils sont mariés sous le régime légal français de la communauté de biens réduite aux acquêts.
Le notaire en charge du dossier se trouve devant une difficulté. Il doit considérer dans un tel cas que le régime de la séparation de biens est applicable si et seulement si l’ensemble des héritiers et les épouses survivantes sont d’accords. En effet, à défaut, ces derniers seraient en droit de demander l’application stricte de la règle de conflit de loi français et par conséquent retenir comme régime celui de la communauté. En cas de litige, il reviendra au juge de trancher la question de la loi applicable au régime et donc du régime.
Quels sont les droits des différentes épouses dans le cadre du règlement en France d’une succession d’un polygame ?
Il a été rappelé ci-dessus que l’ordre public français ne s’oppose pas à ce qu’un mariage polygamique régulièrement contracté à l’étranger, produise en France des effets d’ordre successoral11 au bénéfice de plusieurs épouses et des enfants issus de ces unions. La Cour de cassation considère ainsi que la seconde épouse d’un étranger polygame peut prétendre aux droits reconnus au conjoint survivant par la loi successorale. En d’autres termes, toutes les épouses sont considérées comme le conjoint survivant au sens de la loi française.
Dans la pratique, le notaire en présence de plusieurs conjoints survivants va répartir entre eux la part ab intestat qui serait revenue à un seul. Les droits des conjoints survivants ne peuvent porter que sur ¼ en propriété de la succession (et non sur l’universalité de l’usufruit), en présence d’enfants non communs. La répartition de ce quart peut être égalitaire ou conventionnelle (par exemple en tenant compte de la durée respective de chaque union). Par conséquent, il faut obtenir l’accord des épouses sur le mode de répartition. A défaut, il y aura lieu de saisir le juge pour qu’il tranche. Enfin, le droit temporaire ou le droit viager ne bénéficie qu’à ou aux épouses qui occupaient effectivement le logement d’habitation principale.
Quelle épouse aura le droit à la pension de réversion ?
Par arrêt du 12 mars 200912 , la Cour de cassation a jugé que la veuve épousée en second n’avait pas droit à la pension de réversion, à moins que le second mariage n’ait fait l’objet d’un jugement prononçant son annulation et reconnaissant son caractère putatif.
11 Cass. 1e civ., 3 jan. 1980. La position de la jurisprudence française à l’égard des effets successoraux d’un mariage polygamique a été fixée dans l’arrêt Bendeddouche du 3 janvier 1980 (Rev. Crit. 1980.331, note Batiffol ) ; « alors que la dévolution successorale d’immeubles sis en France relève de la loi française, l’établissement de la parenté nécessaire au jeu de cette dévolution est soumise à la loi algérienne, loi des intéressées. Dès lors qu’il s’agit seulement de laisser acquérir des droits en France sur le fondement d’une situation crée sans fraude à l’étranger conformément à la loi compétente en vertu du droit international privé français, l’ordre public français ne s’oppose pas à ce qu’un mariage polygamique régulièrement contracté à l’étranger selon la loi personnelle des époux parties, produise en France des effets d’ordre successoral au bénéfice d’une seconde épouse et de ses enfants légitimes » .
12 Cass. 2e Civ., 12 mars 2009, pourvoi n° 08-10.974.
Un autre arrêt en 2021 est venu préciser que dans un tel cas, la pension de réversion doit être calculée en fonction de la durée totale des mariages, peu important que leurs durées se chevauchent13.
La loi confortant les principes de la République (Loi 2021-1109, 24 août 2021, art 25 et s.) applicable aux pensions versées depuis le 26 août 2021, est venu confirmer le principe du non partage entre les épouses de la pension de réversion en cas de mariage polygame, sauf en cas de mariage putatif : « En cas de pluralité de conjoints survivants, la pension de réversion est versée au conjoint survivant de l’assuré décédé dont le mariage a été contracté, dans le respect des dispositions de l’article 147 du code civil, à la date la plus ancienne. Le présent article n'est pas applicable aux mariages déclarés nuls mentionnés à l'article 201 du code civil. Dans ce cas, la pension de réversion est partagée entre les conjoints survivants, selon des modalités définies par décret en Conseil d'Etat. » » (L. n° 2021-1109, 24 août 2021 art. 29. CS, art L 161-23-1 A). En conformité avec la jurisprudence en vigueur, un décret du 25 mars 2022 est venu préciser les règles de répartition des pensions dans ce cas.
12 Cass. 2e Civ., 21 oct. 2021, n° 20-7-462 F-B : JurisData n°2021-016683 Un mariage est annulé pour cause de bigamie de l’époux mais reconnu putatif à l’égard de l’épouse. Au décès du mari, celle-ci demande une pension de réversion à la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav), qui lui est refusée. Le litige est porté devant les tribunaux. Les juges du fond lui accordent le bénéfice de la pension mais la veuve conteste la règle de partage qui est appliquée. Le premier mariage a duré 229 mois, le second 136. La cour d’appel retient qu’en L’absence de texte légal ou de convention internationale proposant une clef de répartition entre les deux épouses partageant concomitamment une même période de mariage, chacune pouvait prétendre, au titre du principe d’égalité, au versement d’une période de réversion sur la moitié de cette période. Autrement dit, la période de concours des deux mariages, soit 136 mois, devait être divisée en deux pour le calcul des pensions de réversion : la seconde épouse devait bénéficier d’une répartition de 68 mois sur 229 mois au total. Ce raisonnement n’a pas été approuvé par la Cour de cassation qui a considéré que les droits des conjoints survivants doivent être déterminés en fonction de la durée totale des mariages, peu important que leurs durées se chevauchent. Elle applique les mêmes règles de partage qu’en cas de divorce, soit un calcul au prorata de la durée respective de chaque mariage. Statuant au fond, la Haute Juridiction décide donc qu’en l’espèce la seconde épouse est en droit de bénéficier de 37,26 % (soit 136 mois sur 365 mois au total) du montant de la pension de réversion. En conséquence de ce calcul, les droits de la première épouse devront être révisés.
Le partage de la pension entre les épouses est désormais réalisé suivant les règles édictées par l’article R 161-19 du Code de la sécurité sociale14.
En présence d’une assurance vie laquelle des épouses va être bénéficiaire des capitaux ?
Les assurances-vie sont hors succession, si le défunt avait souscrit une assurance-vie avec comme clause bénéficiaire « le conjoint de l’assuré », les deux épouses ont vocation à être bénéficiaires du contrat. Toutefois s’agissant de l’interprétation d’une clause contractuelle, en cas de litige, cette interprétation relèvera du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond.
Pour une épouse qui découvre que son mari s’est marié en secondes noces sans qu’elle en ait été informé que lui conseiller ?
Pour qu’un mariage polygamique ne produise pas d’effet en France (lors du règlement de la succession) il faut que ce mariage soit annulé par une décision de justice. Il n’y a pas de nullité du mariage sans décision judiciaire, le principe étant qu’il n’existe pas de nullité de droit15, ni de nullité virtuelle. Or, la première épouse doit avoir connaissance que l’action en nullité doit être intenté dans le délai de l’article 184 du code civil « Tout mariage contracté en contravention aux dispositions contenues aux articles 144, 146, 146-1, 147, 161, 162 et 163 peut être attaqué, dans un délai de trente ans à compter de sa célébration, soit par les époux eux-mêmes, soit par tous ceux qui y ont intérêt, soit par le ministère public ».
Que se passe t’il si l’action en nullité du second mariage est prescrite ? La jurisprudence décide qu’un mariage, même frappé de nullité absolue, existe tant qu’un jugement ne l’a pas annulé. La seconde épouse participera à la succession en qualité de conjoint survivant.
Si l’action judiciaire n’est pas prescrite mais que le mariage n’est pas annulé, le notaire en charge du règlement de la succession est tenu de prendre en compte le mariage polygamique et de faire produire des effets aux actes établis tant que ce mariage n’aura pas été judiciairement annulé.
Enfin, même un mariage annulé peut parfois produire des effets si ce dernier est putatif.
14 CSS art. R 161-19 « Sous réserve qu'ils remplissent les conditions prévues par les régimes servant cette pension, la fraction de pension de réversion servie à chacun des conjoints ou anciens conjoints dont le mariage n'a pas été contracté dans le respect des dispositions de l'article 147 du code civil est égale au rapport entre la durée de mariage pendant laquelle, à la suite du décès du ou des précédents époux, de la dissolution du ou des précédents mariages ou de leur annulation dans des conditions autres que celles mentionnées au troisième alinéa, chacun d'entre eux était le seul conjoint de l'assuré décédé et la somme des durées de mariage avec celui-ci de l'ensemble des conjoints ou anciens conjoints pouvant bénéficier d'une pension de réversion de son chef. La pension de réversion restante est répartie entre les conjoints et anciens conjoints qui remplissent les conditions prévues par les régimes servant cette pension et dont le mariage a été contracté dans le respect des dispositions de cet article 147, s'il y en a, au prorata de la durée de leur mariage par rapport à la somme des durées de mariage de chacun d'entre eux.
Le conjoint ou ancien conjoint dont le mariage, contracté en violation des dispositions de cet article, a été de ce chef déclaré nul, dans des conditions dans lesquelles a été reconnu que la bonne foi de ce conjoint devait conduire à l'application des dispositions de l'article 201 du même code, bénéficie d'une fraction de pension de réversion dans les mêmes conditions que celles prévues au deuxième alinéa. Elle prend effet, lorsque le jugement d'annulation intervient avant le décès de l'assuré, dans les conditions prévues par le régime dont il relève, ou, lorsque ce jugement intervient après le décès de l'assuré, au premier jour du mois suivant celui du dépôt de la demande d'octroi ou de révision de la pension de réversion formée par le conjoint ou l'ancien conjoint dont le mariage a été annulé. Une copie du jugement d'annulation est adressée à l'appui de cette demande à l'organisme servant la pension de réversion.
15 Cass. 2e civ., 5 nov. 2015, n° 14-25565