L’expatriation, c’est la promesse d’une vie nouvelle. Mais derrière cette liberté se cachent parfois des réalités plus dures : celles des imprévus, des accidents de la vie. Vivre à l’étranger, c’est aussi accepter que, parfois, il faut affronter l’impensable… loin de chez soi, comme un décès, dont l’anticipation ne semble pas souvent la priorité. Et pourtant…


Sans jugements, Lepetitjournal.com vous présente un exemple construit d’une compilation de cas de décès et successions malheureusement déjà arrivés à Singapour parmi la communauté française expatriée. L’histoire contée de Marc et Élodie est, hélas, inspirée de faits réels.
A Singapour, il était une fois une expatriation en famille
Marc et Élodie Dubois, 40 et 36 ans, arrivent à Singapour en janvier 2017. Lui, directeur marketing Asia pacific chez un géant de l'agroalimentaire, elle, ancienne DRH qui a "mis sa carrière entre parenthèses" pour suivre. Dans les bagages : Les jumeaux Emma et Lucas (7 ans) et Chloé (3 ans), tous les trois scolarisés à l’IFS. Les rejoindront pour les vacances, Lucie, 13 ans, fille aînée que Marc a eu d’une précédente relation.
Il faut qu'on fasse un testament ici, c'est recommandé pour les expats.
Le couple ouvre un compte joint à la DBS "pour simplifier" car Elodie est en DP et ne peut pas avoir un compte personnel. Marc garde son compte français "pour les investissements", ouvre un compte singapourien "pour le salaire et les bonus". Élodie a accès au joint, pas aux autres. "Question d'organisation", explique Marc. "Tu gères la maison, je gère le reste." Juin 2019, Marc revient du bureau avec des papiers. "Il faut qu'on fasse un testament ici, c'est recommandé pour les expats." Il a trouvé un « modèle » sur internet, c’est super facile dit-il. Elodie et leur voisin, Philippe, servent de témoins. "Une bonne chose de faite !"
Dans les années qui suivent Marc obtient promotions sur promotions, augmentation sur augmentation, les années exceptionnelles succèdent aux années exceptionnelles, Elodie même si elle regrette de ne pas travailler, apprécie la vie d’expatriée. Les économies de la famille ont été multipliées par 15 et Marc gère tout cela de main de maître, il explique de temps en temps tous ses investissements, les ouvertures de comptes, les transferts pour bénéficier d’un meilleur rendement à Elodie, qui l’écoute d’une oreille distraite.
Pour les décisions médicales importantes, il nous faudra une procuration légale." Procuration ? Quelle procuration ?

Mais un jour, un drame survient…
Le 12 février 2023, 18h47, Marc rentre du bureau à vélo, comme tous les jours. Ce soir-là, un chauffeur de bus ne le voit pas au croisement d'Esplanade Drive. Choc frontal, malgré son casque Marc souffre d’un traumatisme crânien majeur. Il est mis en coma artificiel au Singapore General Hospital. Élodie arrive en urgence. Les médecins sont clairs : "Nous avons besoin de votre autorisation pour les soins." Elle signe, évidemment. Puis ils ajoutent : "Pour les décisions importantes, il nous faudra une procuration légale." Procuration ? Quelle procuration ? "Celle que vous avez dû faire ici, à Singapour. Un LPA, Lasting Power of Attorney." Élodie fouille partout. Rien. Marc n'a jamais signé ce document.
Madame, votre mari n'est pas décédé. Nous ne pouvons rien débloquer.
Trois jours après l'accident, Élodie veut accéder au compte personnel de Marc pour avancer les frais médicaux qui seront sans doute remboursés plus tard par l’assurance. La DBS est formelle : "Nous ne pouvons pas vous donner accès sans procuration légale ou ordonnance du tribunal." Le compte joint couvre les dépenses courantes, pas les 8.000 dollars singapouriens par jour d'hospitalisation en soins intensifs. Élodie appelle les banques, les assurances-vie de Marc. "Madame, votre mari n'est pas décédé. Nous ne pouvons rien débloquer."
Rentrer en France en urgence aboutirait à laisser Marc seul à Singapour puisqu’il ne peut pas être déplacé.
L’employeur de Marc paye encore un salaire mais sur le compte personnel de ce dernier. Il intervient néanmoins auprès de l’assurance pour faire accélérer les remboursements. Premier contact avec un avocat local. "Pour obtenir un LPA, il faut que votre mari reprenne conscience et soit déclaré apte. En attendant, vous pouvez demander une tutelle d'urgence au tribunal, mais cela prendra plusieurs semaines." Pendant ce temps, les factures s'accumulent. Elle ne peut plus payer le loyer ni les frais de scolarité. Rentrer en France en urgence aboutirait à laisser Marc seul à Singapour puisqu’il ne peut pas être déplacé.
Mai 2023. Marc est toujours dans le coma. Le tribunal de Singapour accorde finalement à Élodie une tutelle temporaire limitée. Elle peut accéder à certains comptes, pas à tous. Mai 2023, voyage prévu en France pour voir les grands-parents. Problème : Élodie n'arrive pas à récupérer les passeports des enfants, bloqués dans le coffre de la banque de Marc. Accès refusé malgré la tutelle partielle. "Désolé Madame, ce coffre était au nom de Monsieur uniquement." Heureusement le consulat, prévenu, aide et des "laissez passer provisoires" sont émis.
Élodie noyée de chagrin pense qu’au moins le cauchemar administratif et judiciaire va se terminer. Erreur naïve

Un deuil loin de chez soi, des obstacles insurmontables
Marc décède le 12 septembre 2023. Huit mois après l'accident. Élodie noyée de chagrin pense qu’au moins le cauchemar administratif et judiciaire va se terminer. Erreur naïve. Les banques lui expliquent qu'il faut d'abord obtenir un "Grant of Probate" auprès de la Cour de Singapour avant qu’ils puissent lui remettre les fonds.
Elodie est effondrée, pour tenir à Singapour elle s’est endettée auprès de la famille, des amis
Mais voici le piège : le testament singapourien a été signé en présence de deux témoins qui étaient... son épouse et son voisin. Or Elodie est bénéficiaire du testament. Conflit d'intérêts potentiel. Le testament est invalide. Les avocats singapouriens expliquent à l’épouse que le testament de son mari, invalide selon le droit local, ne permet pas d’obtenir un Grant of Probate. Elle doit donc engager une procédure de Letter of Administration pour pouvoir gérer la succession. Comme leurs enfants sont mineurs et étrangers, le tribunal lui impose de trouver au moins deux personnes résidant à Singapour, solvables et prêtes à se porter garantes de sa gestion. Ces « sûretés » doivent couvrir une valeur proche de celle des avoirs successoraux — près de deux millions de dollars — sous forme d’un engagement financier ou d’une garantie bancaire… Qui va accepter de prendre le risque ?
Car trouver ces garants est impératif, car sans eux, la procédure reste bloquée et l’accès aux fonds familiaux suspendu. Elodie est effondrée, pour tenir à Singapour elle s’est endettée auprès de la famille, des amis, comment rembourser, comment demander à ces personnes d’attendre et de s’engager pour ceux qui résident à Singapour à devenir des garants…. Elle est prévenue que la procédure en présence de mineurs peut être allongée.
Un an après l'accident, Élodie n'a toujours pas accès aux actifs de Marc à Singapour. Les procédures s'enlisent.
Un nouvel obstacle se présente : Marc n’avait pas consigné de manière précise la liste complète de ses comptes bancaires. Certes, il en avait évoqué certains avec Élodie, mais celle-ci ne se souvient plus dans quelles banques ils étaient ouverts. Les avocats la mettent en garde : il sera nécessaire d’adresser des courriers à l’ensemble des établissements bancaires et institutions financières de Singapour, chaque envoi entraînant bien entendu des frais. Et si certains comptes étaient détenus à l’étranger, les chances de les retrouver s’amenuisent considérablement — à moins qu’Élodie ne parvienne à retrouver des informations exactes permettant de les identifier.
Il y a pire…La dévolution singapourienne écarte Lucie de l’héritage de son père car ses parents n’étaient pas mariés. Elle est considérée comme « illégitime » par la loi singapourienne, or quasi tous les biens sont à Singapour. Il faut que la juridiction reconnaisse que le testament invalide prime tout de même sur la dévolution successorale légale. La mère de Lucie suspecte Elodie de vouloir spolier la jeune fille de son héritage et menace d’intenter une action. Un an après l'accident, Élodie n'a toujours pas accès aux actifs de Marc à Singapour. Les procédures s'enlisent.

Épilogue deux ans après…
En Février 2025, les procédures judiciaires suivent leur cours. Lentement. Élodie, rentrée en France avec les enfants, a retrouvé un travail, les enfants se sont réadaptés tant bien que mal. L'héritage de Marc ? Partiellement débloqué, partiellement en cours, partiellement perdu dans les frais de procédure. L’histoire de Marc et Élodie est, hélas, inspirée de faits réels. Elle n’en illustre qu’une infime partie des difficultés qui surgissent lorsqu’un décès survient à l’étranger. Lorsqu’on est le seul - ou la seule - à assurer la charge financière du foyer, anticiper sa succession n’est pas une option, mais une nécessité.
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