Édition internationale

Quelles portes d’entrée sûres pour les femmes victimes de violences à l’étranger ?

Alors qu’en France une femme est victime de violences sexistes et sexuelles toutes les 23 secondes, la situation des Françaises vivant à l’étranger et subissant de telles violences reste largement méconnue et sous-estimée. En 2024, seules 186 situations ont été signalées aux autorités consulaires, un chiffre “bien en dessous de la réalité”, alerte Pauline Carmona, directrice de la Direction des Français de l’étranger et de l’administration consulaire. En cette journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, la question de la protection des citoyennes hors du territoire se pose largement.

femmes du monde, celles qui peuvent vivre de la violence à l'étranger femmes du monde, celles qui peuvent vivre de la violence à l'étranger
Écrit par Capucine Canonne
Publié le 21 novembre 2025, mis à jour le 27 novembre 2025

 

 

186 situations de violences faites aux femmes ont été rapportées en 2024, un chiffre qui peut paraître moindre mais bien en dessous de la réalité

 

Les chiffres de l’Observatoire national des violences faites aux femmes, piloté par la Miprof, font froid dans le dos. En 9 ans, les forces de sécurité intérieure françaises ont enregistré 767.997 victimes de violences sexuelles. 1.740.346 victimes de violences au sein du couple. Pour le dire autrement, une femme est victime toutes les 23 secondes en France. Mais, qu’en est-il des femmes françaises établies à l’étranger ? Selon la Direction des Français de l’étranger, 186 situations de violences faites aux femmes ont été rapportées en 2024, un chiffre qui peut paraître faible mais qui se situe bien en dessous de la réalité selon Pauline Carmona, sa directrice. Et pour cause, les situations à l’étranger sont spécifiques : dépendance économique au conjoint, isolement linguistique et social, présence d’enfants… Des contextes locaux rendent parfois très difficile un appel à la justice ou à la police locale. Mais alors, en 2025, qui peut aider une victime française à l’étranger ? 

 

 

 

une femme qui a été violentée en expatriation

 

 

 

“Une porte d’entrée sûre, gratuite et bilingue” pour comprendre ses droits 

 

Beaucoup d’initiatives sont prises en France et à l’étranger pour soutenir les personnes victimes de tous types de violences, il y a en a bien une qui nous marque depuis 2019. À Singapour, Maître Chloé Vialard a mis en place un dispositif inédit pour accompagner les Françaises victimes de violences. Avocate au barreau de Paris installée dans la cité-État, elle décrit son initiative comme “une porte d’entrée sûre, gratuite et bilingue” permettant aux victimes “de comprendre leurs droits, décider en sécurité et agir efficacement entre deux systèmes juridiques”.

 

 

Le modèle pilote de Singapour doit inspirer des déclinaisons adaptées dans d’autres pays, en cohérence avec la diplomatie féministe de la France

 

Né d’un besoin identifié dès 2019 avec le consulat, le dispositif repose sur un partenariat tripartite institutionnel innovant entre la ‘"Law Society of Singapore’ et son service ‘Pro Bono SG’, le Barreau de Paris et son Barreau de Paris Solidarité, et l'Ambassade de France à Singapour”. Deux fois par mois, des permanences gratuites se tiennent dans un lieu “central, sécurisé, sans contrôle d’identité”. Les femmes y sont reçues en français par des avocats bénévoles capables d’articuler “le droit français et le droit singapourien”. Après quatre ans et plus de 75 permanences, il s'agit de la première clinique de droit français hors de France. 

 

 

Diplomatie féministe et lutte contre les violences : “la France montre l’exemple”

 

 

Une telle initiative peut-elle avoir une portée plus large ? “Le modèle pilote de Singapour documente les difficultés du terrain, il alimente les échanges institutionnels et il inspire des déclinaisons adaptées dans d’autres pays, en cohérence avec la diplomatie féministe de la France espère Chloé Vialard. En attendant de voir d’autres permanences dans le monde, Vanessa Bousardo, vice-bâtonnière de Paris depuis 2024 rappelle l’existence du réseau Bâtonnières du monde créé il y a un an, “une quarantaine de bâtonnières et vice-bâtonnières à travers le monde”, de San Francisco à Abidjan en passant par l’Ukraine et l’Algérie. “C’est une vraie force de frappe” capable de dupliquer ou déployer des dispositifs comme celui de Singapour. “Le Barreau de Paris dispose du plus grand nombre d’avocats français exerçant à l’étranger.” rappelle-t-elle avant de conclure : “Vous êtes loin, mais vous êtes citoyennes françaises”. 

 

 

Une question essentielle se pose : Quelle est la feuille de route pour former les agents du réseau consulaire et pour mieux accompagner les femmes victimes ?

 

 

les violences en expatriations sont souvent invisibles, une affiche de manifestation

 

 

 

Former les conseillers et les agents consulaires à recevoir la parole des victimes 

Créée en 2013, la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof) joue un rôle central dans la formation des professionnels, la coordination des politiques publiques et l’analyse des données nationales sur les violences. “Nous sommes une petite équipe, mais très efficace”  souligne Cécile Mantel, secrétaire générale adjointe au sein  de la Miprof. Longtemps centrée sur la production de guides pédagogiques, la mission a revu sa méthode et son ambition à l’arrivée en 2023 de la nouvelle secrétaire générale, Roxana Maracineanu, qui fut ministre des Sports de 2018 à 2022 : “créer des outils ne suffit pas : il faut s’assurer de leur diffusion et de leur utilité au regard des besoins du terrain”. Aujourd’hui, la mission intervient dans des secteurs variés et administre le portail arretonslesviolences.gouv.fr.

Dernier chantier en date ? La sensibilisation des consulats, désormais intégrée dans la Stratégie de la France pour une diplomatie féministe, grâce à l’impulsion notamment de la Sénatrice des Français et Françaises établis hors de France, Olivia Richard. Le 20 novembre 2025 à l’occasion de ses Rencontres interprofessionnelles annuelles (300 personnes présentes et plus de 5000 connectées à distance), la Miprof a organisé une grande table ronde dédiée aux femmes françaises à l’étranger à laquelle lepetitjournal.com a assisté. Une question essentielle est alors posée : “Quelle est la feuille de route pour former les agents du réseau consulaire et pour mieux accompagner les femmes victimes ?” 

 

 

Table ronde organisée par la Miprof le 20 novembre sur les violences faites aux femmes à l'étranger - Capucine Canonne
Table ronde organisée par la Miprof le 20 novembre sur les violences faites aux femmes à l'étranger - Capucine Canonne

 

Selon Pauline Carmona, directrice de la DFAE, des agents référents sont mobilisés dans les consulats et les ambassades du monde. Environ 180 agents vont bénéficier d’une formation spécialisée élaborée par la Miprof avec le soutien de l’Académie diplomatique et consulaire. Les élus des Français et Françaises de l’étranger seront aussi sensibilisés “pour savoir ce qu’ils peuvent faire, ce qu’ils doivent faire et ne pas faire” si une victime à l’étranger se confie. La directrice travaille sur “le parcours de la victime : à qui peut-elle s’adresser ? Que doit-elle faire ? Comment préserver les preuves ? Où porter plainte ?...” et déclare vouloir bâtir un dispositif complet qui “couvre tous les besoins”. Du côté de la Miprof, et pour toucher un plus grand nombre, trois webinaires sont en cours de finalisation. 

 

Les webinaires devraient être proposés  les 4, 5 et 6 février et intégralement consacrés aux violences sexistes et sexuelles (VSS), pour poser les bases essentielles pour comprendre des mécanismes encore trop souvent méconnus, savoir repérer les signaux d’alerte, savoir accueillir la parole des femmes victimes et les orienter efficacement. Au programme : la définition des infractions pénales en France, une exploration du cycle des violences ainsi que des stratégies employées par les agresseurs. La séance abordera également  un volet central : le psychotrauma et ses conséquences sur les victimes mais également sur leurs enfants. 

 

 

 

Nous croyons au terrain. Nous faisons confiance à des acteurs qui connaissent mieux les situations locales que ce qui peut se décider au ministère

 

 

la dépendance des femmes en expatriation

 

 

La société civile en appui ou en renfort auprès des victimes à l’étranger 

Ceux qui sont sur le terrain savent que chaque minute compte lorsqu’il s’agit de violences faites à autrui. C’est pourquoi l’Etat français doit s’appuyer sur la société civile pour lutter contre les violences. Interrogée par notre rédaction en mars 2025, la ministre chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes, Aurore Bergé, en a bien conscience : “Nous croyons au terrain. Nous faisons confiance à des acteurs qui connaissent mieux les situations locales que ce qui peut se décider au ministère. Les élus ont des relais incroyables de connaissance des réalités sociales de nos compatriotes.” Une nécessité, selon la ministre, car les Français de l’étranger vivent “une hétérogénéité de vie remarquable”, mais aussi “de la complexité”, dans des pays où “on peut devenir plus vulnérable”. 

 

 

Convention de partenariat signée entre Save You et le MEAE - mars 2025
Convention de partenariat signée entre Save You et le MEAE - mars 2025 

 

A défaut d’être partout, l’État peut au moins garantir une fiabilité des acteurs comme Save You le programme développé par The Sorority Foundation, “un tiers de confiance” depuis la signature d’une convention de partenariat avec le MEAE. Save You s’anime partout dans le monde avec 378.000 membres actifs. Pour sa fondatrice Priscillia Routier Trillard et son équipe, la communauté de proximité est une réponse à un danger immédiat, que ce soit à son domicile, dans la rue, au travail ou dans les transports. L’application, traduite en 18 langues dont l’espagnol, propose également des outils pratiques : une sonnerie stridente pour déstabiliser un agresseur, une liste de numéros d’urgence, et un message de détresse affichable à l’écran pour demander de l’aide en toute discrétion. Une réponse technologique mais très humaine pour renforcer la protection des femmes.

Mais Pauline Carmona rappelle que “les Françaises de l’étranger restent confrontées à des zones grises, comme le 3919 qui n’est pas accessible depuis l’étranger”. Un tchat vient cependant d’être créé par la Fédération nationale Solidarité Femmes, qui administre le 3919 pour l’Etat, afin de compléter les dispositifs accessibles depuis l’étranger, comme l’est également la PNAV, plateforme de tchat 24/24 et 7/7 qui permet d’échanger confidentiellement avec des policiers et des gendarmes spécialement formés aux violences sexuelles. Chaque avancée nécessite “un combat quotidien” pour rendre les dispositifs réellement accessibles et prendre en charge efficacement les victimes, au plus près de leurs besoins.

 

 

Commentaires

Votre email ne sera jamais publié sur le site.