Qu’ils soient partis très jeunes ou bien il y a seulement trois ans, qu’ils aient été moteurs de cette expatriation ou suiveurs, qu’ils se soient facilement ou difficilement adaptés, ce retour est bien souvent la transition la plus complexe.
Article écrit pour Expat Pro par Cécile Gylbert pour la Revue de Mexico Accueil – Mai 2020 Consultante interculturelle et coach d'expatriés. Spécialisée sur les enfants, adolescents et adultes de la Troisième Culture. Co-fondatrice d'Expat Pro, le réseau des Experts pour les Expats.
" On rentre… " Ces deux petits mots sont comme le sac de Mary Poppins: ils contiennent tellement de choses que l’on a du mal à faire le tri. Pour nous parents, cela signifie retourner près de nos bases (avec plus ou moins d’enthousiasme) et pour nos ados c’est plonger dans un inconnu considéré comme connu.
Qu’ils soient partis très jeunes ou bien il y a seulement trois ans, qu’ils aient été moteurs de cette expatriation ou suiveurs, qu’ils se soient facilement ou difficilement adaptés, ce retour est bien souvent la transition la plus complexe.
Origines des difficultés des adolescents à la fin d'une expatriation
Le déséquilibre culturel
L’adolescence est une période de la vie où l’entourage compte beaucoup, où l’appartenance à un groupe est essentielle pour poursuivre la construction de l’équilibre culturel et pour se positionner en fonction de sa personnalité.
En effet, le parcours culturel de l’individu se déroule en trois phases :
- Dans l’enfance : apprendre les règles culturelles de la société par osmose avec son environnement
- Pendant l’adolescence : se les approprier et les mettre à l’épreuve notamment avec ses pairs et sa famille
- À l’âge adulte : les accepter et les mettre en pratique avec l’ensemble de la société.
Pour un adulte qui revient dans sa culture d’origine, les bases culturelles existent déjà, il n’a plus qu’à les réactiver.
Pour un adolescent, les fondations culturelles sont fragiles même si plus ancrées que chez l’enfant. Il se retrouve lors du retour à devoir appliquer des règles culturelles qu’il ne maîtrise pas mais qu’il est censé maîtriser. En effet, il n’a plus le statut d’étranger et ne bénéficie plus de l’indulgence de son entourage. Cette position d’immigrant caché (apparence similaire mais mode de pensée et de fonctionnement différents) peut être perturbante.
Jusqu’à présent, en expatriation, il ne dominait pas forcément les pratiques sociales ou culturelles de son environnement mais il était « excusé ». Lors du retour dans le pays d’origine, il se retrouve souvent dans des situations qui le désorientent, ce qui se traduit par des faux pas récurrents générant peu à peu une perte de confiance.
Naturellement il va donc adopter une de ces trois attitudes :
- Le Caméléon : qui se fond dans l’environnement mais parfois au péril de son identité véritable. C’est une adaptation de surface.
- Le Marginal : qui insiste tellement sur ses différences qu’il se marginalise. « Je ne suis pas comme eux, tant pis, je ne changerai pas »
- Le Fantôme : qui se met en retrait et ne s’implique plus ni socialement ni académiquement.
Dans les trois cas, son expérience et son identité ne sont pas valorisées
L’adolescence est également une période où le jeune essaie de prendre contrôle de sa vie. À l’annonce du retour, il doit se plier à une décision qui lui est imposée. Il peut se sentir alors en perte d’autonomie.
Lorsque je suis revenue en France à 17 ans, je ne connaissais pas le vocabulaire des jeunes de mon âge : j’ai eu l’impression d’apprendre une nouvelle langue ! Et je faisais beaucoup de gaffes ! »
Quand les enfants expatriés partent pour étudier...
Les attentes
Les attentes jouent un rôle déterminant dans l’adaptation au retour, notamment celles que l’on peut considérer comme de fausses croyances. L’adolescent qui retourne dans son pays d’origine pense souvent le connaître. Soit parce qu’il a étudié dans une école de ce pays (comme le lycée français), soit parce qu’il y retourne régulièrement en vacances. Or cette connaissance est superficielle. Il ne connaît pas forcément les codes du quotidien, les séries ou les musiques à la mode, le vocabulaire utilisé entre pair, ce que l’on nomme la culture populaire. Il n’a pas les mêmes références. À un âge où les relations avec le groupe sont d’une importance capitale, il peut lui manquer les éléments basiques pour créer des liens et s’intégrer.
Léa : « Toute ma vie je n’ai parlé français qu’avec mes parents. J’étais en école internationale et je parlais anglais ou la langue du pays le reste du temps. Lorsque je suis revenue en France à 17 ans, je ne connaissais pas le vocabulaire des jeunes de mon âge : j’ai eu l’impression d’apprendre une nouvelle langue ! Et je faisais beaucoup de gaffes ! »
Une autre fausse attente peut concerner son acceptation dans les groupes qu’il connait déjà. Quand l’adolescent rentre en France pour les vacances, il est souvent attendu, choyé par famille, par des amis qui ne le voient que rarement. Or, lors du retour, cette bienveillance et cette présence sont moins marquées ou ne durent pas.
Antoine : « Pour moi rentrer, c’était retrouver mes cousins et les amis avec qui je sortais pendant les vacances. En réalité, ils m’ont moins inclus lors du retour, sauf…pendant les vacances. Comme si j’avais été encore expatrié. Alors que moi, j’avais besoin d’amitié toute l’année ! »
Enfin, attention également à l’idéalisation lorsque le retour est attendu avec impatience.
Il peut être l’objet d’incompréhension, de critiques et lui-même observer le monde qui l’entoure par le biais de comparaisons négatives.
Le décalage
L’adolescent qui retourne dans son pays d’origine doit s’attendre à vivre une période de décalage, tout comme les adultes ou les enfants. Sauf qu’il a davantage besoin de l’acceptation de ses pairs car il se trouve dans une phase de construction qui passe par le regard de l’entourage. Il se définit par sa place au sein du groupe. Le sentiment d’appartenance peut alors être mis à mal dans une période où il est la clé de l’équilibre.
L’adolescent qui rentre va se retrouver la plupart du temps (sauf s’il intègre une école internationale dans son pays d’origine) dans un environnement homogène alors qu’il a construit des compétences d’adaptation dans un environnement hétérogène. Il peut être l’objet d’incompréhension, de critiques et lui-même observer le monde qui l’entoure par le biais de comparaisons négatives.
Je me sentais différente, dans le bon sens du terme. J’avais l’impression de représenter les clichés sur la France et de faire rêver. Ici, je suis une parmi tant d’autres.
Les pertes
Lorsque l’on quitte un pays, on se sépare de beaucoup de choses matérielles et immatérielles. Ces pertes, si elles sont clairement identifiées, sont moins douloureuses. Certaines d’entre elles sont intangibles et peuvent pourtant retarder l’adaptation lors du retour.
C’est le cas, par exemple, du changement de statut. L’expatriation suppose un statut d’étranger avec ses difficultés mais également ses privilèges. Louise : « Dans mon école aux Etats Unis j’étais « la française », si on se moquait parfois de moi sur certains sujets, on acceptait pourtant mes erreurs. Surtout, je me sentais différente, dans le bon sens du terme. J’avais l’impression de représenter les clichés sur la France et de faire rêver. Ici, je suis une parmi tant d’autres. »
Le retour suppose aussi la perte d’un cadre de vie, le sentiment de quitter une vie aventureuse, exaltante pour une vie de routine. Ou encore la perte d’une identification à l’entourage immédiat. Qu’il ait été scolarisé en école internationale ou en lycée français, l’adolescent expatrié a vécu dans un milieu de gens qui lui ressemblent, qui vivent des expériences similaires et avec qui il partage un vécu. Gabriel : « Lorsque je suis rentré en France en seconde, personne dans ma classe n’avait habité à l’étranger. Certains n’avaient jamais voyagé hors de France. Je passais pour un mythomane lorsque je racontais ma vie d’avant. Petit à petit, je n’en ai plus du tout parlé. Mais j’ai trouvé difficile de ne pouvoir partager avec personne, notamment lorsque l’actualité s’y prêtait »
Trouver un mentor : une personne qui a vécu un retour d’expatriation ou qui arrive en même temps dans les mêmes circonstances
Conseils aux Adolescents pour faciliter leur adaptation
- Avant le départ, connaitre les phases de la transition (phase d’engagement, de séparation, de transition, d’acceptation et de réengagement) pour identifier les difficultés et voir où l’on en est. Il est toujours plus simple de gérer une situation quand on sait qu’elle est l’étape d’un processus normal.
- Faire comme si on s’adaptait à un nouveau pays : l’aborder avec des yeux nouveaux. Mettre ses « lunettes d’observation » et imiter les autres.
- Se donner le droit d’exprimer ses difficultés et les exprimer réellement. En matière de retour, il n’y a pas de super héros !
- Rester en contact avec sa vie précédente mais sans excès. Ne pas s’y enfermer car cela peut devenir une bulle virtuelle et un obstacle à l’intégration
- Trouver un mentor : une personne qui a vécu un retour d’expatriation ou qui arrive en même temps dans les mêmes circonstances (tout est plus facile à deux). Le mentor ne devient pas forcément le meilleur ami mais il facilite la transition académique et sociale. Il peut répondre aux questionnements et permet de créer des liens plus rapidement. Le mentor idéal est déjà passé par là et a relevé les défis.
- Rencontrer d’autres ados qui ont été expatriés ou bien encore des étrangers via l’école ou des associations.
- Enfin se faire aider si l’adaptation est trop longue ou trop difficile : le coaching est un outil qui fonctionne extrêmement bien avec les adolescents car les ressources sont en eux, elles ne demandent qu’à émerger.
Il faut accepter leur résistance au changement et ne pas tout mettre sur le compte de l’adolescence.
Conseils aux parents pour accompagner l'après expatriation
- Faire les adieux ensemble : avant le départ, retourner au premier restaurant où l’on a été, refaire la première balade… C’est une étape importante, à tout âge, dans le processus de séparation.
- Les impliquer avant le départ dans le choix de l’école, du quartier, de la maison…
- Certains adolescents n’ont quasiment jamais vécu dans leur pays d’origine. Nous, parents, avons une longueur d’avance sur eux, la patience est alors de mise. Leur intégration peut se faire par palier et les régressions sont fréquentes.
- Ne pas hésiter à leur montrer nos propres difficultés. La famille a été le pilier durant les années d’expatriation car ses membres ont traversé les cycles d’adaptation simultanément. C’est aussi vrai lors du retour.
- Valoriser leur histoire, leur parcours et leur vécu.
- Accepter leur résistance au changement et ne pas tout mettre sur le compte de l’adolescence. Cette acceptation est parfois difficile car cela nous renvoie à un échec ou à une culpabilité de notre part.
- Accepter les mauvaises notes alors que votre enfant était brillant à l’école. Un changement de cadre scolaire n’est jamais anodin surtout lorsqu’il se double d’un effort d’intégration sociale.
- Être attentif à une modification de la personnalité et leur proposer une aide extérieure si l’adaptation est complexe.
- Faire des projets les incluant. Comme par exemple un retour dans le dernier pays de résidence au bout d’un an à 18 mois : cela permet de boucler la boucle et évite d’idéaliser le passé car ils retrouveront leur ancien pays avec des yeux différents. C’est aussi un moyen de connecter le passé et le présent, une étape fondamentale pour la construction de l’identité à l’âge adulte.
- Connaître la notion de Troisième Culture : ses caractéristiques, ses forces et ses fragilités. Car c’est la culture de vos enfants, pas forcément la vôtre.
- Les motiver à rencontrer des adolescents comme eux, qui viennent de rentrer de l’étranger ou qui y ont vécu. Pourquoi pas de jeunes étrangers de leur âge qui arrivent en France ? Ils pourront jouer un rôle d’accompagnement et changer ainsi de posture.
- Lorsque l’adaptation est réussie, accepter l’évolution de vos enfants. Cette adaptation leur a demandé des efforts et entraîne parfois une modification de leur comportement.
- Enfin, laisser du temps au temps. Certainement le conseil le plus difficile à suivre ! Que ce soit en expatriation ou lors du retour, on voudrait que tout soit rapide. N’exigez pas de votre enfant d’accélérer sa phase d’ajustement même si vous avez l’impression d’avoir fait tout ce qui est en votre pouvoir pour que ce retour se passe bien. Ce serait lui mettre une pression supplémentaire alors qu’il gère déjà des transitions sociale, culturelle et académique.
Donnez-leur le temps et l’espace nécessaire pour ordonner leur sac de Mary Poppins !