Sophie Briante Guillemont, Française de l’étranger ayant grandi en Argentine, succède au sénateur Jean-Pierre Bansard, décédé le 16 août 2024. Diplômée de Sciences Po, juriste de formation — Docteur en droit — et secrétaire générale de l'Alliance solidaire des Français de l'étranger (ASFE) depuis 2018, elle s'engage depuis des années pour défendre les intérêts des Français de l’étranger. Dans cet entretien avec lepetitjournal.com, elle revient sur l'héritage de son prédécesseur, l'évolution de l'ASFE, et les défis qui l'attendent durant son mandat : “La meilleure manière de lui rendre hommage est de poursuivre ce qu’il a commencé.”
“Nous allons tous travailler en équipe pour continuer de faire grandir l’ASFE.”
L'actualité récente nous amène naturellement à évoquer Jean-Pierre Bansard. Pouvez-vous nous partager votre vision de son héritage aujourd'hui ?
Jean-Pierre Bansard nous a quittés il y a un peu plus d'un mois. Il était le fondateur de l'Alliance Solidaire des Français de l'Étranger (ASFE), il y a dix ans. Au cours de cette décennie, l'ASFE a considérablement évolué.
Jean-Pierre Bansard est entré dans l'univers des Français de l'étranger par le biais de ses activités professionnelles. En tant que transitaire, il a travaillé toute sa vie avec des expatriés. C'est d'ailleurs Bernard Kouchner, alors ministre des Affaires étrangères, qui l'a nommé personnalité qualifiée à l'Assemblée des Français de l'étranger. Lors de la réforme qui a supprimé ce statut, Jean-Pierre Bansard a pris conscience de la nécessité d'un mouvement indépendant pour représenter les Français de l’étranger. C'est ainsi qu'il a fondé l'ASFE, d'abord sous forme associative, avant de la transformer en parti politique pour pouvoir présenter des candidats et accéder aux listes électorales consulaires, nous permettant ainsi d’échanger en permanence avec les Français à l'étranger et nourrir notre action. Depuis, l'ASFE a beaucoup grandi, notamment lors des élections consulaires de 2021, où nous avons présenté des candidats pour la toute première fois, dans 103 circonscriptions sur 130.
Notre visibilité s’accroît petit à petit. Les élus de l'ASFE sont des relais essentiels sur le terrain, particulièrement parce que, en tant que sénateurs des Français de l’étranger, nous couvrons une zone géographique immense et ne pouvons être partout à la fois. Ces élus nous font remonter les problématiques locales, ce qui est crucial pour notre travail.
Depuis 2018, je suis secrétaire générale de l'ASFE. J'ai donc été responsable de la coordination des différentes élections, et surtout du développement de notre mouvement.
Nous poursuivons tout cela aujourd'hui. Les trois sénateurs, Évelyne Renaud-Garabedian, Jean-Luc Ruelle et moi-même, sommes très soudés, et nous avons pris la décision de continuer à faire vivre l'ASFE, en hommage à Jean-Pierre Bansard. Évelyne, qui a été son associée pendant 40 ans, a une relation particulière avec cet héritage. Pour ma part, la meilleure manière de lui rendre hommage est de poursuivre ce qu’il a commencé. Nous allons tous travailler en équipe pour continuer de faire grandir l’ASFE.
“En tant que Française de l'étranger, je n'ai pas eu à découvrir un environnement inconnu.”
Vous avez justement travaillé longtemps avec les autres sénateurs, comment voyez-vous votre rôle de sénatrice des Français établis hors de France à présent ?
En réalité, il n'y a rien de vraiment nouveau, dans la mesure où je ne découvre ni les problématiques ni les spécificités de ce mandat. Qu'il s'agisse des collaborateurs parlementaires, des sénateurs ou ceux de l'ASFE, nous sommes familiers avec nos thématiques depuis longtemps. Cela fait huit ans que je travaille, tant sur le plan technique que politique, sur ces sujets.
Mon rôle de sénatrice me permet désormais de m'investir davantage, de façon plus directe et personnelle. Cela me permet de travailler sur des sujets qui me correspondent plus spécifiquement. Nous avons également réorganisé la répartition des thématiques entre sénateurs pour assurer une couverture complète de ces sujets.
“L'objectif est d'améliorer constamment l'accès à cette éducation française, qui n'est pas toujours garantie.”
En tant qu'ancienne élève des lycées français, quel est votre point de vue sur les défis auxquels font face les jeunes Français de l'étranger en cette rentrée 2024 ?
Pour l'instant, nous n'avons pas observé de difficultés majeures sur cette rentrée scolaire, à l'exception de quelques situations spécifiques, notamment dans certains pays du réseau MLF, où nous avons dû intervenir sur des cas individuels. De manière générale, tout semble se dérouler sans encombre, grâce à l'engagement des enseignants et des personnels du réseau AEFE. Il faut toutefois rappeler que cette rentrée ne concerne pas tous les établissements français à l'étranger, car certains suivent le calendrier scolaire de l'hémisphère Sud.
Cependant, il y a des problématiques récurrentes, notamment en ce qui concerne le coût des lycées français, qui restent stables, mais élevées dans de nombreux pays. L'accès aux bourses scolaires pose également des difficultés, particulièrement en ce qui concerne le calcul des quotités. Certains paramètres essentiels ne sont pas pris en compte, ce qui complexifie l'accès aux aides. Il est important de revoir les modalités d'accès aux bourses scolaires, remettre à plat le mode de calcul. L'objectif est d'améliorer constamment l'accès à cette éducation française, qui n'est pas toujours garantie.
“Il est crucial de soutenir ces populations pour éviter qu'elles ne se sentent dépassées.”
En ce qui concerne les démarches administratives, l'ASFE s'engage à simplifier les procédures en ligne. Pourriez-vous expliquer à nos lecteurs pourquoi cette démarche est si cruciale ?
À l'ASFE, notre mission consiste principalement à faciliter l'accès au droit en fournissant des informations claires, précises et fiables. Nous veillons à ce que les informations disponibles soient véritablement utiles et dignes de confiance pour les citoyens. Dans ce cadre, la dématérialisation des services joue un rôle essentiel.
Par exemple, la semaine dernière, nous avons discuté de la nouvelle application biométrique pour le certificat de vie. Ce développement soulève également des questions générationnelles, car il s'adresse à une population qui n'est pas toujours à l'aise avec ce type d'outil numérique. Nous avons donc jugé important de rappeler qu'il est toujours possible d'envoyer le certificat de vie de la manière traditionnelle. Il est crucial de soutenir ces populations pour éviter qu'elles ne se sentent dépassées. Finalement, notre objectif est de fournir une information et une pédagogie adaptées dans le but d'assurer un accès équitable aux droits des Français de l'étranger sur tous les sujets les concernant.
Vous avez mentionné des sujets qui vous tiennent particulièrement à cœur. Pourriez-vous nous parler de votre priorité pour 2024 ?
Étant moi-même issue d'un lycée français à l'étranger et née hors de France, j’ai plusieurs sujets de prédilection. Un de mes grands axes de travail concerne le renforcement des liens entre les Français de l'étranger et la France, car aujourd'hui plus de 50 % des Français de l'étranger sont en réalité binationaux. Nous avons plusieurs générations de Français à l'étranger, et il est très important que la France conserve et renforce ce lien, qui se distend avec les années. Lorsque ces établissements deviennent trop chers, voire inaccessibles, nous assistons à une diminution du nombre de familles qui peuvent y inscrire leurs enfants, ce qui affaiblit le lien avec les générations futures.
“Il est essentiel de reconnaître que de nombreux Français de l'étranger vivent dans une certaine précarité.”
Il devient nécessaire de repenser ce concept, car les expatriés traditionnels envoyés par de grandes entreprises sont en déclin. Avec l’extinction de ce modèle d'expatriation qui incluait souvent un lycée français financé, il est essentiel de reconnaître que de nombreux Français de l'étranger vivent dans une certaine précarité. Ce n'est pas toujours une précarité maximale, mais il existe des situations sensibles. Nous devons aborder ce sujet au Sénat et en France, car la réalité des Français de l'étranger est bien plus complexe qu'il y a vingt ans.
Quelles sont les problématiques liées au vote électronique et existe-t-il des projets pour améliorer cette procédure ?
Le vote électronique représente une chance extraordinaire. Le droit de vote est fondamental, et de nombreux Français à l'étranger rencontrent des difficultés pour se rendre aux urnes, risquant parfois de perdre ce droit. Il est donc essentiel que la France offre cette possibilité aux Français vivant à l'étranger. Ce n'est pas seulement crucial pour les Français de l'étranger, mais aussi pour l'avenir de la démocratie en France, surtout avec la baisse du taux de participation global. Les Français de l'étranger constituent une sorte d'expérimentation à cet égard.
C'est pourquoi, pour chaque vote électronique, que ce soit pour les législatives ou les élections consulaires, le ministère des Affaires étrangères dispose d'un bureau dédié. Ce bureau regroupe plusieurs administrations françaises, de l'ANSSI pour la sécurité à d'autres services. Cependant, il y a encore beaucoup de problèmes liés au vote électronique, qui se résolvent progressivement.
Les dernières législatives se sont bien déroulées, compte tenu du peu de temps dont le prestataire a disposé pour se préparer. Personnellement, j'étais persuadée que nous n'aurions pas de vote électronique, mais finalement, ce fut possible. C'est un sujet qui continue d'évoluer, et je ne veux pas être négative. Cela soulève néanmoins de nombreuses questions techniques, en particulier concernant le contentieux électoral.
L'intérêt de tous les Français de l'étranger et du ministère des Affaires étrangères est que cela fonctionne le mieux possible. Mon seul regret serait peut-être que nous n'ayons pas développé de solution en interne, alors que notre pays a les moyens techniques de le faire. À chaque fois, nous travaillons avec un prestataire dans le cadre d'un marché public. La qualité de leur travail n’est pas en cause, même si l’outil reste perfectible, mais de fait cela rend des élections dépendantes du bon fonctionnement de prestataires et opérateurs privés.
Quelle est votre réaction suite à la nomination de Michel Barnier comme Premier ministre ?
Michel Barnier semble a priori bien informé des enjeux concernant les Français de l'étranger. Il était le dernier ministre des Affaires étrangères au moment de la transition de la CSFE à l'AFE, ce qui fait de lui techniquement le premier président de l'Assemblée des Français de l'étranger. Nous espérons donc qu'il se souviendra de cette expérience.
“L’ASFE est transpartisane, ce qui signifie que nous respectons les sensibilités de chacun.”
Concernant le positionnement de l'ASFE au Sénat, dans quel regroupement allez-vous vous situer ?
Jusqu'à présent, les trois sénateurs de l'ASFE étaient rattachés au groupe politique Les Républicains au Sénat, en accord avec leurs sensibilités. Il faut préciser que les groupes politiques ne correspondent pas nécessairement aux partis politiques, et ils étaient rattachés administrativement, ce qui représente le plus faible degré de rattachement.
Evelyne Renaud-Garabédian et Jean-Luc Ruelle restent administrativement liés aux Républicains. Pour ma part, en raison de la charte de l'ASFE, de notre engagement transpartisan et de mes propres convictions, j'ai choisi de me rattacher à un groupe appelé RDSE, Rassemblement Démocratique et Social Européen. Ce groupe est également transpartisan, héritier du radicalisme, incluant à la fois des membres de centre-droit et de centre-gauche, même si, à l'heure actuelle, il a une dominante plus à gauche.
La charte de ce groupe promeut véritablement des valeurs transpartisanes. L'objectif est d'être constructif, que l'on soit dans l'opposition ou bien minoritaires, en évitant les débats stériles et en ne s'opposant pas par principe. Je pense que cela est très important pour l'avenir de l'ASFE, car cela démontre notre réelle nature transpartisane et notre volonté de ne pas être simplement associés à un seul côté de l'échiquier politique. C’est une preuve supplémentaire d’indépendance.