Alors qu'une crise sanitaire sans équivalent secoue la planète, lepetitjournal.com est allé à la rencontre des députés des Français de l'étranger. Samantha Cazebonne, députée de la 5e circonscription, nous parle de la situation toujours inquiétante des Français expatriés en Espagne, au Portugal, à Monaco et en Andorre suite à la pandémie de Covid-19.
La situation évolue de jour en jour
Quelle est la situation dans votre circonscription ?
Samantha Cazebonne - Comme en France, la situation évolue de jour en jour. L’Espagne fait désormais partie des pays les plus touchés du monde, notamment la région de Madrid et la Catalogne. Les mesures de confinement y sont drastiques, le gouvernement ayant même récemment décrété l’arrêt des productions non essentielles pour au moins 15 jours. Les chiffres de ce week-end montrent que le confinement produit des effets positifs même s'ils restent à confirmer et qu'il ne faut en rien relâcher notre discipline à suivre les consignes car tout le monde craint de voir les chiffres repartir à la hausse et une seconde vague arriver.
Le Portugal est pour l’instant un peu moins touché, et les mesures de restriction de déplacement et de l’activité économique y sont légèrement moins strictes, mais si elles ont quand même un impact social et économique important pour un pays qui sortait tout juste de la dernière crise. Le gouvernement a par ailleurs fait un appel aux émigrés portugais pour qu’ils ne rentrent pas y passer les vacances de Pâques.
Le nombre de cas à Monaco et en Andorre est beaucoup plus faible, mais des mesures de restriction des déplacements et de soutien économique ont également été prises.
De nombreuses familles sont en situation de détresse financière et éprouvent ou éprouveront des difficultés pour payer les frais de scolarité
Constatez-vous des difficultés particulières rencontrées dans certains pays par les expatriés ?
Certains problèmes ont été résolus très vite grâce à la réactivité des administrations françaises et des ministères suite à nos signalements : je pense notamment à la question des certificats de vie que les retraités français résidant en Espagne ou au Portugal ne pouvaient faire établir auprès des autorités locales. Ils bénéficient d’un moratoire le temps des mesures de confinement. Je pense également à l’annulation temporaire du délai de carence pour bénéficier des soins de santé en cas de retour en France.
Par ailleurs, des associations FLAM se trouvent en grande difficulté. J’ai fait remonter leurs inquiétudes et leurs besoins auprès de l’AEFE et sa tutelle la DGM (Direction Générale de la Mondialisation, de la Culture, de l’Enseignement et du développement international), qui a accepté de verser par anticipation les subventions d’ordinaire réglées à l’automne et de mettre en place un soutien supplémentaire financier en fonction des contextes critiques.
J'ai demandé lors de nos réunions hebdomadaires avec le ministre Jean-Baptiste Lemoyne, la mise en place d'une cellule de crise et de suivi réunissant ministères, direction générale de la mondialisation, opérateurs, établissements, personnels, familles, élus, pour trouver ensemble des moyens de répondre à la crise sans précédent que vit l’enseignement français à l’étranger. J'ai reçu un accord de principe : nous devons nous réunir cette semaine.
Les enseignants continuent en effet de travailler avec beaucoup d’implication pour assurer la continuité pédagogique des élèves, mais de nombreuses familles sont en situation de détresse financière et éprouvent ou éprouveront des difficultés pour payer les frais de scolarité. Des bourses exceptionnelles sont prévues pour les familles françaises, mais il faudra également penser aux familles étrangères, via une aide aux établissements, quel que soit leur statut, sinon beaucoup d’entre eux ne pourront rouvrir leurs portes en septembre. Je travaille chaque jour sur ce sujet en étant en contact avec les associations et fédérations de parents d'élèves, les cabinets ministériels et l'AEFE.
Enfin, les Français établis à l’étranger vivent les contrecoups du ralentissement de l’économie : crainte de voir leur commerce ou entreprise fermer, mise au chômage partiel, perte sèche d’activité pour les autoentrepreneurs. Sans parler bien sûr de la crainte des conséquences sanitaires pour eux ou leurs proches, notamment pour ceux qui vivent dans les épicentres de la pandémie.
Je vous voudrais saluer le travail de nos ambassades, consulats généraux, consuls honoraires et élus
Constatez-vous des problèmes de rapatriement pour les touristes bloqués sur place ?
Il y a eu des problèmes en raison des annulations de vol et de fermeture des hôtels sur place, en particulier à Madère, Porto et aux Canaries. Ma priorité a été de soutenir nos consulats et ambassades d’Espagne et du Portugal sur ce sujet. En relation avec la Cellule de crise et le cabinet ministériel du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, notre travail a été principalement de rendre nos compatriotes prioritaires pour l'organisation de nouveaux vols et la négociation des tarifs de billets d'avion pour qu'ils puissent rester abordables et correspondre au montant remboursé par les compagnies aériennes ayant annulé leur vol.
J’ai également entamé un suivi téléphonique en fonction des lieux plus ou moins critiques avec les consuls honoraires afin de faire avec un point d’information sur chaque situation.
Je vous voudrais d’ailleurs saluer le travail de nos ambassades, consulats généraux, consuls honoraires et élus ainsi que leurs équipes et leur témoigner, au nom de mes concitoyens et du mien, notre profonde reconnaissance pour leur travail dans des circonstances complexes et inédites.
Le sujet des entrepreneurs français établis hors de France entrera lui aussi dans les réflexions d'entraide
Des aides ont-elles été mises en place (ou en négociation) pour aider les entrepreneurs présents dans votre circonscription et pour qu'ils se protègent de cette crise sanitaire qui pourrait se prolonger en crise économique ?
En Espagne, les aides prévues sont notamment un moratoire pour le paiement des loyers commerciaux, des impôts, des remboursements de prêts, l’accès facilité à des crédits bancaires. Il y a également, comme en France, une aide pour les autonomos dont le chiffre d’affaires a chuté. Pour les TPE et les PME, une aide a également été prévue pour qu’elles puissent s’équiper rapidement d’ordinateurs pour le travail à distance. Pour les Français, je soutiens l’initiative de mon suppléant Stéphane Vojetta, avec lequel nous sommes en train de créer un réseau de ressources et d’idées pour l’après, à travers un groupe LinkedIn “Emploi et entrepreunariat français en Espagne au temps du COVID19”.
Au Portugal, il est prévu des mesures de délais supplémentaires ou d’étalement pour le paiement de charges sociales, des mesures de protection de l’emploi en gelant par exemple les licenciements pour les entreprises bénéficiant du plan de soutien, d’un moratoire sur les remboursements de crédits pour les familles et les entreprises, d’un régime d’arriérés sur les loyers permettant l’octroi de prêt pour le paiement des loyers, des autorisations exceptionnelles d’absence pour soutien ou assistance à la famille et la garde des enfants pour les salariés essentiels (médecins, policiers,…)
A Monaco, un dispositif de chômage total temporaire est également renforcé, ainsi que des arrêts maladies indemnisés pour garde d’enfant. Une bonification de garantie des crédits, une procédure facilité de recours au Fonds de Garantie Monégasque et une commission d’Assistance aux Entreprises en difficulté ont été mises en place, ainsi qu’un report de paiement de TVA et des cotisations sociales. Les locaux commerciaux sont exonérés de loyers. Un revenu minimum extraordinaire a été mis en place pour les indépendants subissant une perte importante de leur activité.
En Andorre, ont été prévus des prêts pour les sociétés dont les intérêts à bas taux (0.25%) seront pris en charge par le gouvernement, ainsi des interventions directes (prise en charge des charges patronales, des salaires des parents ne pouvant pas travailler pour garder des enfants de moins de 14 ans, exemption de loyer pour les sociétés ayant dû cesser leur activité.
Pour les aides françaises, le sujet des entrepreneurs français établis hors de France entrera lui aussi dans les réflexions d'entraide mais, à ce stade, il est difficile d'évoquer des pistes possibles de soutien puisque nous ne connaissons ni l'ampleur ni la durée de la récession économique qui probablement suivra cette crise sanitaire mondiale.
Le coronavirus ne pourra jamais vaincre l'intelligence humaine
Quel message souhaiteriez-vous communiquer à nos lecteurs en cette période difficile ?
Nous vivons tous un moment sans précédent dans l'histoire de notre civilisation, nous n'avons aucun moment de l'histoire à l'échelle mondiale pour tirer des enseignements des expériences passées, nous avançons en terrain inconnu, inexploré. La crise sera très forte et les nations devront être solidaires, plus que jamais, revoir chacun nos priorités et nous ranger en pareilles circonstances derrière l'intérêt général pour ensuite pouvoir se concentrer sur l'intérêt individuel pour lequel chacun, au sortir de ce moment, attendra un soutien de la solidarité nationale lorsque sa situation personnelle le réclamera. Si nous espérons tous très vite retrouver notre liberté de mouvement, nous savons désormais que ce temps sera plus ou moins long en fonction du développement de l'épidémie. À l'exception de ceux qui sont devenus nos héros de l’ombre, nos personnels de santé, les enseignants, caissières, livreurs, entrepreneurs dans les métiers prioritaires, facteurs, personnels navigant aérien ou maritime, chauffeurs de taxi, de camion etc, tous ceux qui continuent à travailler à l'extérieur pour que nous puissions continuer à vivre, nous sommes tous des acteurs contraints à agir à travers notre quasi immobilité.
C'est difficile mais tous les sacrifices que nous faisons doivent être relativisés au regard de ceux qui exposent leur vie ou la perdent actuellement. Comme nombre d'entre vous, j’ai dû réorganiser ma vie autour de la scolarité de mes enfants, du télétravail quotidien, et d'une réflexion que nous nous devons d'avoir individuellement et collectivement ensuite sur la manière dont nous allons devoir adapter nos modes de vie pour ne plus vivre un tel phénomène qui ne laissera aucun pays ou peuple indemne. Notre discipline et notre solidarité seront essentielles pour les jours, semaines, mois à venir. Notre adversaire est invisible, il nous déstabilise, comme chacune des crises qui ont mis à mal des pays et des peuples, mais il ne pourra jamais vaincre l'intelligence humaine qui a permis à l'Homme de se sortir des pires situations auxquelles il a eu à faire face. Gardons notre détermination et cet espoir qui nous amène tous à croire qu'après la tempête revient le soleil… Bon courage à tous; cultivez du mieux possible la patience et votre joie de vivre. Ensemble nous gagnerons mais ensemble seulement.