La sénatrice des Français établis hors de France, Jacky Deromedi, lutte pour aider les entrepreneurs français à l’étranger à survivre à cette crise sanitaire. Elle évoque avec nous les mesures d’urgence qu’elle souhaite voir mises en œuvre avant qu’il ne soit trop tard.
Vous avez été chargée d’une mission flash sur les entrepreneurs français à l’étranger. Quelle est leur situation actuellement ?
Une grande majorité des petits entrepreneurs se retrouve dans une situation catastrophique, en particulier ceux du secteur des services et du tourisme. Ils n’ont pratiquement pas pu travailler pendant parfois 10 mois et ont épuisé leurs économies. Beaucoup ont dû rentrer en France. Il y a une véritable urgence pour les entrepreneurs. J’ai déposé deux amendements dans le cadre du 3e projet de loi de finances rectificative (adopté par le Sénat, il a disparu en Commission Mixte Paritaire) et du projet de loi de finances 2021, mais il a été rejeté. J’ai donc demandé au président de la délégation aux entreprises de me confier cette mission pour que nous puissions alerter directement le ministère de l’Economie, des Finances et de la Relance et le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères qui ne veulent pas comprendre la gravité et l’urgence de la situation.
On ne peut pas avoir un raisonnement étroit
Que répondez-vous à ceux qui pensent qu’il ne faut pas aider ces entrepreneurs car ils ne paient pas d’impôts en France ?
Je suis assez énervée d’entendre ce genre de remarques. Les entreprises françaises à l’étranger ne paient effectivement pas d’impôts en France mais elles contribuent au commerce extérieur de la France, notamment en achetant des produits français. Elles y contribueraient d’ailleurs à hauteur de 25% à 30%. Sans elles, nous perdrions des parts de marché. Les entrepreneurs français à l’étranger font travailler les sociétés exportatrices françaises et emploient souvent des Français sur place. Ils participent au rayonnement culturel de la France. On ne peut pas avoir un raisonnement étroit au point de dire que s’ils ne paient pas d’impôts, on ne les aidera pas. C’est ridicule.
Nous demandons 30 millions d’euros pour un déblocage d’urgence
Votre rapport sera rendu fin décembre. Après la tenue des deux tables rondes, quelles sont les recommandations vers lesquelles vous penchez ?
Il faut aider ces entreprises à reconstituer 6 mois de trésorerie au moyen de prêts remboursables, pour qu’elles puissent recommencer leur activité. Aujourd’hui, les entrepreneurs n’ont plus rien et ne peuvent pas réapprovisionner leurs stocks. Il faudrait pouvoir leur proposer, comme en France, des Prêts garantis par l’Etat. Nous demandons 30 millions d’euros pour un déblocage d’urgence mais il faudra compter une centaine de millions d’euros à terme. Peut-être que quelques-uns ne pourront pas rembourser ce prêt car plus le temps passe, plus ce sera difficile de repartir… la nature a horreur du vide et les autres pays qui soutiennent leurs entrepreneurs seront trop contents d’occuper les parts de marché libérées par nos entrepreneurs…
Ce sont des gens courageux. Ils l’ont prouvé en partant à l’autre bout du monde et en investissant tout ce qu’ils avaient sans aucune aide… Ils se feront un honneur de rembourser. Ils n’ont aucune envie de revenir en France. Le Gouvernement n’a pas prévu, dans son budget, le coût potentiel du rapatriement de ces entrepreneurs qui auront tout perdu… Il faudra les loger, les assurer, scolariser leurs enfants et leur donner des minima sociaux ce qui coûtera bien davantage qu’une aide ponctuelle remboursable…
Je trouve totalement discriminatoire que 2,5 milliards d’euros aient été débloqués par l’Agence Française de Développement et sa filiale PROPARCO, dans le cadre de l’initiative Choose Africa, pour 10.000 start-up, TPE et PME africaines mais qu’il soit impossible de débloquer un prêt de 30 millions d’euros pour les entrepreneurs français à l’étranger hors Afrique !
La réaction doit être immédiate
Dans une lettre, vous avez lancé un « appel au secours » au président Emmanuel Macron. Pensez-vous qu’il sera entendu ?
Je veux le croire. Je veux tout tenter. J’ai diffusé très largement ma lettre (disponible ici) et les comptes-rendus des deux tables rondes organisées dans le cadre de ma mission pour la Délégation aux entreprises. Beaucoup de médias s’y sont intéressés. Je compte sur eux pour publier et commenter.
Les Français de l’étranger ne peuvent malheureusement pas bloquer les rues à Paris pour se faire entendre. C’est malheureusement parfois le seul moyen de faire avancer les choses en France… Toutes les semaines, nous avons des manifestations violentes et bien souvent le Gouvernement recule… Les Français de l’étranger doivent sensibiliser leurs représentants à l’Assemblée nationale sur ce sujet. Les députés votent systématiquement contre tout ce que nous demandons ou obtenons mais, à force de leur mettre la pression, nous finissons par avoir de petites victoires… Les Français de l’étranger ne sont pas aimés par ce Gouvernement qui les punit d’avoir tant de courage !
Nous espérons que ce gouvernement comprendra l’intérêt de soutenir ces entrepreneurs pour les sociétés exportatrices, pour la place de la France dans le monde et son rayonnement culturel. Il a déjà perdu trop de temps. La réaction doit être immédiate. Sinon ce ne sera plus la peine, ces entrepreneurs auront fait faillite et rentreront en France, détruits. Nous espérons également que ce gouvernement finira enfin par se pencher sur ce dossier « Français de l’étranger ». Il y a eu une profonde évolution de la population des Français de l’étranger mais ce gouvernement en est resté à ses caractéristiques passées … Il serait temps d’avoir au gouvernement un ministre ou secrétaire d’Etat qui s’occupe exclusivement des Français de l’étranger et qui maîtrise parfaitement le sujet.