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Jacky Deromedi : «Les expatriés sont massacrés sur beaucoup de plans»

Jacky Deromedi sénatriceJacky Deromedi sénatrice
Écrit par Aurélie Billecard
Publié le 6 octobre 2020, mis à jour le 24 novembre 2020

Dans cet entretien exclusif, Jacky Deromedi, sénatrice LR pour les Français établis hors de France, regrette le manque de soutien de l'État envers les problématiques des Français de l'étranger. Elle évoque avec nous la gestion de la crise sanitaire mais aussi les grandes difficultés des entrepreneurs à l'étranger, de beaucoup de familles, des établissements scolaires et du réseau culturel.

 

Vous faites partie de la commission d'enquête sur la gestion de la crise sanitaire. Quels sont les enseignements que nous pouvons déjà en tirer ?

La Commission d'enquête n'arrive pas à connaître la vérité. Les ministres qui ne sont plus en fonction aujourd'hui affirment ne pas la connaître non plus. Ce qui démontre de graves dysfonctionnements du système de santé qu'il faut reprendre en main. Quant aux professeurs et aux scientifiques, leurs contradictions multiples inquiètent nos compatriotes en créant de l'incertitude. Je pense que nous n'avons pas tiré les leçons de cette crise. Nous avons fait des erreurs au début, car nous sommes rarement confrontés à des pandémies aussi dramatiques. Mais, le plus grave est que depuis mars, nous aurions eu le temps de nous organiser, et ce n'est pas le cas.

Individuellement ils n’ont aucune responsabilité… Le ministre de la santé Olivier Véran considère qu'il a tout fait comme il le fallait. Les pays raisonnables se reconfinent. Nous n'avons pas été capables de faire respecter les restrictions nécessaires au moment où elles s'imposaient, et nous en supportons les conséquences aujourd'hui.

 

Vous avez indiqué dans votre dernier bulletin que les Français de l'étranger étaient « fiscalement massacrés ». Pourquoi cette expression ?

La loi de finances pour 2019 a supprimé le système actuel de retenue à la source partiellement libératoire à trois tranches, 0% en deçà de 14 839 €, 12% de 14839 € à 43 047 €, et 20% au-delà de 43047 €.

Dès leur arrivée au Gouvernement, les Ministres et les Députés LAREM n’ont eu de cesse que d’aller dans le sens souhaité par Bercy…

 

Il fallait remplacer un système juste pour des Français qui vivent à l’étranger et qui ne bénéficient de RIEN …. Chômage – Sécurité Sociale – Ecole Gratuite – Allocations diverses -  par un régime punitif.

Il fallait mettre en place le prélèvement à la source selon le barème métropolitain mais sans la plupart des déductions et crédits d'impôt dont bénéficient nos compatriotes résidents.

Nombre de nos compatriotes ont estimé que leur imposition allait de ce fait augmenter de 20% à 400 % dans certains cas.

Sous la pression des Conseillers des Français de l’Etranger et des Sénateurs les représentant, le Gouvernement a dû reculer et faire voter un moratoire qui s'achève le 31 décembre de cette année.

Un rapport gouvernemental au Parlement constate cette surimposition.

Non seulement il n’y a plus de clause libératoire… c’est-à-dire pas d’impôts à payer pour des revenus inférieurs à 14.839€ mais l’imposition au 1er Euro passait de 20 à 30% pour les revenus égaux ou supérieurs à 27519 €.

 

Aujourd'hui, c'est donc à partir du premier centime d'euro de revenus que vous payez des impôts. On enlève aux Français de l'étranger plus d'un tiers de leurs revenus.

Pour les petits revenus de l’ordre de 1.200€ par mois, c’est un tiers de ce revenu qui doit être reversé à l’Etat. Ces personnes, souvent retraitées, doivent réadapter leurs conditions de vie quand ils le peuvent… dans certains pays ils n’arrivent plus à joindre les deux bouts.

Je confirme qu’ils sont « massacrés »  ! Que le Gouvernement décide de leur faire vivre une vie de misère, pour les punir d’avoir quitter leur pays dans lequel ils ne pouvaient plus vivre en raison de retraites trop faibles… Quelle solution leur reste-t-il ?

Je me bats également pour la résidence principale des Français de l'étranger. Pour ceux qui ont la chance d'avoir acheté un appartement en France avant de partir à l'étranger ou qui ont acheté pendant leur séjour à l’étranger, en économisant pour avoir un toit « chez eux »…

C’est leur refuge. C’est leur lieu de repli… Cela devrait être leur résidence principale.

Mais, le gouvernement considère leur logement comme une résidence secondaire, alors qu'ils sont locataires à l'étranger, qu’ils peuvent devoir rentrer en cas de perte de leur emploi, de guerre civile, de pandémie….

Mes propositions ont été votées au Sénat mais l'Assemblée Nationale aux ordre de Bercy refuse de discuter de ce sujet.

 

Vos amendements relatifs au troisième projet de loi de finances rectificative ont été adoptés au Sénat mais justement pas à l'Assemblée Nationale. Comment expliquez-vous cela ?

Malheureusement, le ministère de l'Économie et des Finances ne veut rien faire pour les Français de l’Etranger. Le gouvernement n’est pas  intéressé par les Français de l'étranger. Pire encore, il les méprise… Il les considère comme des privilégiés… Raisonnement qui n’existe plus depuis plus de 20 ans.

Aujourd’hui vous trouvez à l’étranger des personnes courageuses qui n’ont pas trouvé de travail en France, des jeunes qui refusent de s’inscrire au chômage, des auto entrepreneurs qui décident de se lancer dans une aventure en créant une minuscule entreprise…

 

Le Gouvernement refuse de les prendre en compte car les entreprises ainsi  créées sont « de droit local »… pas le choix… vous ne pouvez pas créer à l’étranger une entreprise de droit français, sauf peut-être certains grands groupes… mais ce ne sont pas eux qui nous préoccupent…

Le Ministre nous dit qu’on ne va tout de même pas aider des « entreprises étrangères »… mais ces entreprises sont créées par des Français qui détiennent le capital et ce sont des clients de la France. Ils achètent des produits français, ils en font la promotion.. On considère aujourd’hui que ces entreprises participent au commerce extérieur de la France pour au moins 25%... Est-ce que la France a les moyens de se passer de ces commandes ? Qui souffre, outre les entrepreneurs de l’étranger ? les entrepreneurs français…

Aujourd'hui, nous devons les aider. Beaucoup d'entre eux ont perdu leur emploi à cause du coronavirus, mais ils risquent également de perdre leur visa, et ne peuvent pas payer l'école de leurs enfants.

La seule aide qui a été accordée par le Gouvernement est une subvention exceptionnelle de 50 millions d’euros… c’est peu, mais peut-être certains auraient pu sortir la tête de l’eau… Cette aide ne concerne évidemment pas les entrepreneurs mais les familles.

 

Cette subvention exceptionnelle, lorsqu’elle est accordée après avoir monté un dossier très lourd qui décourage la plupart des demandeurs… se limite par exemple, pour Pondichéry, à 47,75 euros par mois… c’était pour une fois seulement et nous avons obtenu 4 mois… ce n’est même pas la charité…

Pour une somme aussi dérisoire, les Français à l'étranger préfèrent ne pas déposer la demande d'aide au consulat ou à l'ambassade, car ce n'est qu'une perte de temps. Grâce à mes protestations et à celle de mes collègues, le Gouvernement a aménagé cette prise en compte des indemnités versées par les pays étrangers du fait de la pandémie. 

 

J’ai proposé par un amendement que cette aide exceptionnelle de 50 millions d'euros très peu utilisée puisse être consacrée en partie  (10 millions) aux petits entrepreneurs. Cette somme était votée ! Ce n’était pas une somme supplémentaire. Il s’agissait d’utiliser une partie de ce qui était débloqué…

Je demandais qu’on accorde aux petits entrepreneurs une trésorerie de 6 mois de fonctionnement…

S’ils ne réussissaient pas à repartir cette somme était perdue pour l’Etat mais s’ils réussissaient, on leur demandait deux ans après avoir réussi à repartir, de rembourser ce qu’on leur avait avancé… et ils l’auraient fait… Evidemment rejeté !

 

Évoquons la situation de l'enseignement français à l'étranger. Comment s'est déroulée cette rentrée si particulière ?

Pratiquement tous les établissements scolaires sont ouverts, avec des cours en présentiel, tout en respectant le protocole sanitaire. Les parents n'aiment pas l'idée des cours en ligne qui les contraint à leur corps défendant à se substituer parfois aux enseignants pour aider leurs enfants à comprendre les enseignements dispensés en ligne. J'ai vu des professeurs qui travaillaient beaucoup, qui suivaient des formations pour assurer les cours à distance. 

Les réinscriptions sont en diminution et la manipulation des chiffres par le Gouvernement fait croire le contraire… Comme il y a un certain nombre d’établissements supplémentaires, il y a des inscriptions dans ces écoles qui cachent les désinscriptions dans les autres établissements…

Nous aurons de mauvaises surprises dans les mois qui viennent.

L’AEFE fait le maximum mais avec les sommes « avancées » par France Trésor, ils font ce qu’ils peuvent au coup par coup… et avec beaucoup d’efforts pour analyser la situation de chaque établissement.

 

Le sénateur honoraire André Ferrand a sollicité votre aide concernant trois lycées français à l'étranger bénéficiant du soutien de l'ANEFE (Association Nationale des Écoles Françaises de l'Étranger). Qu'en est-il ?

De nombreux établissements scolaires français qui ont constitué des emprunts pour construire de nouveaux bâtiments, mettre leurs établissements aux normes, sont dans l'impossibilité de rembourser leurs dettes.

Même si l'AEFE les soutient, il reste beaucoup de problèmes quand il s'agit du remboursement de crédits qu'il faut parfois reechelonner. En tant que vice-présidente de l'ANEFE, je suis très sensibilisée à ce problème. J'ai écrit une lettre au Premier ministre, recommandant un examen de la situation de trois établissements, signée par neuf de mes collègues, ainsi que le président de la FAPEE (Fédération des associations de parents d'élèves des établissements d'enseignement français à l'étranger) François Normant.

Mais le temps passe, la banque s’impatiente… et certains établissements risquent d’être mis en défaut de paiement et l’ANEFE, organisme de garantie, devra prendre le relais… mais pour combien de temps…

Le ministère de l'Économie et des Finances pense que le système de l'ANEFE est à revoir, car l'association accorde la garantie d'État à des établissements qui empruntent des sommes conséquentes.

Pour remplacer l'association qui fonctionne parfaitement depuis 45 ans avec un Président bénévole et une merveilleuse directrice qui monte les dossiers sans salaire, mais juste le remboursement de ses frais… le Gouvernement a considéré que cette institution était trop légère en considération des crédits importants accordés par un comité des prêts dans lequel Bercy est partie !

Le gouvernement a imaginé un système qui le laisse maître d'attribuer lui-même la garantie de l'Etat. Le projet de loi de finances pour 2021 comporte, en effet, un article permettant au ministre chargé de l'économie d'octroyer la garantie de l'État aux prêts consentis par les établissements de crédit aux établissements français d'enseignement privés à l'étranger pour financer l'acquisition, la construction et l'aménagement des locaux qu'ils utilisent dans le cadre de leur mission d'enseignement.

La quotité du prêt garantie par l'État serait plafonnée à 80 % des sommes restant dues, en conformité avec le droit de l'Union européenne relatif aux aides d'État.

Cette quotité serait plafonnée à 90 % pour les établissements français d'enseignement privés situés dans un État non membre de l'Union européenne. Par ailleurs, l'encours total garanti ne pourrait excéder 350 M€.

Des décisions prises par des fonctionnaires à Bercy qui ne connaissent rien des soucis locaux et qui n’aideront pas les établissements à monter les dossiers…

Les délais vont considérablement augmenter et beaucoup d’établissements reculeront avant de s’engager dans des procédures kafkaiennes…

Ces limitations inquiètent les associations de parents d'élèves qui souhaitent  que non seulement, comme s'y était engagé le MEAE, le « niveau d'attractivité financière soit au moins équivalent au dispositif actuel » et que les associations gestionnaires soient parties prenantes à l'instance qui instruira les dossiers.

 

Les prochaines élections vont-elles réveiller l'attention politique des Français à l'étranger ?

Il faut l'espérer ! En cette période troublée, on réalise le rôle essentiel des Conseillers des Français de l'étranger, représentants de proximité de nos compatriotes. Je souhaite que la participation des Français de l'étranger soit aussi importante que pour les élections en France. Il est important que les Français de l’Etranger comprennent que la participation aux élections est essentielle… Ils doivent s’exprimer et nous prendrons le relais évidemment, mais il faut que nous ayons leur soutien !

Dans un an auront lieu les élections sénatoriales des Français de l'étranger. Il y aura six sièges à pourvoir. Il faut d'abord reconstituer le collège électoral des six sénateurs dont les sièges seront vacants.

Les élections consulaires, sont officiellement prévues les 29 et 30 mai 2021. On ignore si elles se dérouleront effectivement à ces dates. Tout dépendra de l'évolution de la pandémie.

Il est très important qu’en raison des circonstances, on remette en place une troisième option de vote ! Outre le vote à l’urne et le vote par internet, il faut rétablir le vote par correspondance pour donner aux Français de l’Etranger, toutes les possibilités de participer.

À cause de la crise sanitaire, je ne peux malheureusement pas voyager pour rencontrer les expatriés. Dès que les conditions me le permettront, je compte retourner sur le terrain soutenir les Conseillers consulaires et aller de nouveau à la rencontre des personnes qui font rayonner la France à l'étranger.

Je reste disponible pour des réunions en vidéo ZOOM pour donner toutes explications à ceux qui le souhaitent !

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