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Anne Genetet - "Toute crise est aussi une opportunité"

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Écrit par Damien Bouhours
Publié le 27 mars 2020, mis à jour le 30 mars 2020

Alors qu'une crise sanitaire sans équivalent secoue la planète, lepetitjournal.com est allé à la rencontre des députés des Français de l'étranger. Anne Genetet, députée de la 11e circonscription, a répondu à nos questions concernant l'impact actuel et futur de cette pandémie pour les Français vivant en Asie et Océanie. 

 

Quelle est la situation dans votre circonscription ? 

Wuhan étant dans ma circonscription, je suis confrontée au virus depuis le mois de janvier. Les nouvelles de Chine, de Corée du Sud, de Taiwan ou de Singapour sont plutôt rassurantes aujourd’hui, même s’il faut craindre une seconde vague. La situation est plus difficile à appréhender dans les pays d’Asie du Sud-Est. Officiellement, il y a encore très peu de cas mais on voit bien que les différents gouvernements sont en train de mettre en place des mesures de confinement et ferment leurs frontières. Nous avons moins de visibilité sur ce qui se passe en Asie Centrale ou même en Russie. Bien entendu, tout cela a des conséquences en chaîne pour les Français de ma région : sanitaires, économiques et demain sociales. Je redoute que beaucoup de nos compatriotes soient dans l’obligation de revenir en France suite à la perte de leurs emplois et donc de leurs visas. Il faudra les aider, les accompagner et valoriser leurs parcours. Je voudrais avoir une pensée particulière pour notre communauté en Iran. C’est l’un des pays les plus touchés sur le plan sanitaire. L’Union Européenne encouragée par la France essaie d’aider mais la complexité des relations avec le régime rend ce soutien difficile. Enfin, dans ma circonscription, nous devons faire face au rapatriement et ces derniers jours, je suis totalement mobilisée en étroite collaboration avec le Quai d’Orsay pour ramener tous nos compatriotes sains et saufs à la maison !

La crise que nous traversons pourrait faire revenir jusqu’à 800 000 Français à travers le monde !

Constatez-vous des difficultés particulières rencontrées dans certains pays par les expatriés ? 

J’évoquais le cas de l’Iran mais l’un des pays qui me préoccupe le plus en ce moment, c’est l’Australie. Nous y avons une communauté de jeunes avec parfois des situations précaires. La crise économique qui sera inévitable risque fort de voir une vague de Français être obligée de revenir en France.  On estime que la crise que nous traversons pourrait faire revenir jusqu’à 800 000 Français à travers le monde !

L’autre sujet qui me préoccupe, c’est le développement d’une « xénophobie anti-occidentale » liée au virus. En effet, on m’a remonté quelques exemples où des Français avaient été chassés d’hôtel, de taxis, etc. Dans certains pays où le niveau d’éducation est faible, je ne voudrais pas qu’en plus des problèmes de santé et de rapatriement que peut générer le Covid-19, les Français voient leur sécurité menacée. Notre ministère des affaires étrangères est particulièrement vigilant sur ce point et nous pouvons compter sur lui et sur notre Ministre Jean-Yves Le Drian pour intervenir auprès des plus hautes autorités locales si certaines situations devaient dégénérer.

Autre difficulté, celle de l’enseignement. L’AEFE a déployé de nombreux outils pour assurer la continuité de la scolarité de nos 375 000 élèves dont 97% sont aujourd’hui à la maison. Toutefois, je suis sensible à l’alerte des parents d’élèves concernant la dégradation de leur situation personnelle et le poids des écolages face à leur perte de revenu. C’est pour eux que j’ai demandé que des crédits supplémentaires soient débloqués et qu’une commission exceptionnelle de bourses soit rapidement mise en place pour ceux qui ne pourraient plus faire face à tout ou partie de ces coûts. Ce dispositif a été mis en place en Chine et au Vietnam. Il va falloir regarder si l’AEFE peut l’étendre car de nombreux pays sont touchés.

Je pense que c’est un moment sans précédent dans l’histoire de l’aviation !

Constatez-vous des problèmes de rapatriement pour les touristes bloqués sur place ? 

La situation est très compliquée parce que de nombreux pays ferment leurs espaces aériens et que les vols commerciaux se raréfient. La tension est à son comble avec l’inquiétude aussi de tomber malade. Je pense que c’est un moment sans précédent dans l’histoire de l’aviation ! Le Quai d’Orsay fait un travail de fourmi exemplaire et plus de 100 000 Français sont déjà rentrés en France. Il resterait environ 30 000 Français. Il y en a beaucoup dans ma circonscription en particulier en Australie et en Thaïlande où la situation est complexe malgré un travail exceptionnel des équipes consulaires. Je suis particulièrement attentive à ce qui se passe en Thaïlande car il y aurait encore entre 3000 et 5000 compatriotes bloqués et force est de constater que le pays ne nous aide pas ! Je travaille étroitement avec tous les postes consulaires. Nous sommes également beaucoup intervenus au Cambodge où notre poste diplomatique est d’une remarquable efficacité. Le plus difficile reste les situations de Français très isolés comme dans les îles du Pacifique ou aux Philippines par exemple où des Français sont bloqués très loin des aéroports internationaux de Cebu ou de Manille. Il faut essayer d’apporter des réponses et surtout des solutions à tous. Pour tous ces Français de passage, deux messages clefs : inscrivez-vous sur Ariane et consultez le site internet et les réseaux sociaux du consulat de France le plus proche sur lesquels se trouvent les informations les plus fiables et les plus récentes. En cas de danger imminent, contacter la cellule de crise à Paris, le second message : dans la mesure du possible tenez-vous à proximité des aéroports internationaux.

 

Des aides ont-elles été mises en place (ou en négociation) pour aider les entrepreneurs présents dans votre circonscription et pour qu'ils se protègent de cette crise sanitaire qui pourrait se prolonger en crise économique ? 

Pour l’instant, la BPI a mis en place des aides auxquelles sont éligibles les filiales des entreprises exportatrices françaises. Pour le reste, je n’ai pas encore connaissance des aides spécifiques mises en place par les pays de résidence. J’espère qu’a l’instar de ce que nous faisons au niveau européen – injection de 750 milliards d’euros dans l’économie auxquels s’ajoutent les interventions des états séparément,  45 milliards pour la France – chaque pays mettra des moyens d’envergure pour rebooster leurs économies et que nos entrepreneurs sur place pourront en profiter. Après comme je le disais précédemment, il va falloir dans les mois à venir trouver de nouveaux moyens d’accompagner nos compatriotes à l’étranger qui sont des Français à part entière et qui sont un vecteur essentiel de notre influence. Je voudrais aussi lancer un cri d’alerte pour notre réseau d’influence, nos alliances françaises notamment qui sont des structures de droit privé local, qui pour la plupart n’ont pas la trésorerie qui leur permettrait d’encaisser le choc. Beaucoup sont menacées de disparaitre dans les semaines à venir : c’est un outil construit patiemment au fil du temps depuis plus de 100 ans, qui a permis de créer des amitiés, des relations, des réseaux sans égal qui menacent de s’évanouir : un désastre à venir sans un sursaut national.

 

Quel message souhaiteriez-vous communiquer à nos lecteurs en cette période difficile ? 

Tout d’abord, prenez soin de vous et des autres. L’Etat Français fait tout pour venir rapidement en aide à nos compatriotes « naufragés » du coronavirus à l’étranger. Ils peuvent notamment compter sur le professionnalisme et le dévouement exemplaires de tous les personnels de notre réseau diplomatique et consulaire, que je tiens à saluer et remercier. La crise que nous traversons ne laissera personne indemne. Mais nous nous relèverons. La France et les Français ont traversé d’autres tempêtes à travers l’Histoire. Toute crise est aussi une opportunité. Il est évident qu’il faudra prendre des mesures de rupture par rapport à un certain laisser faire depuis 20 – 30 ans notamment pour relocaliser des pans entiers de notre économie en France et en Europe particulièrement dans le domaine de la santé mais pas seulement. Il faudra aussi réinvestir dans ce secteur. Je crois que pour surmonter à l’avenir d’autres évènements comme celui-ci il sera nécessaire de replacer la solidarité au cœur des relations internationales. Par exemple dans la course au vaccin, c’est la coopération internationale qui nous permettra d’y arriver et non le repli sur soi. La question du rôle de l’Etat, de son agilité, de son adaptabilité et sa capacité à anticiper et à prévoir seront également à interroger. Plus largement, je souhaite que l’après-crise soit un moment de concorde nationale. Les Français ont besoin de se réconcilier avec eux-mêmes, de refaire nation qu’ils soient à Montpellier, à Strasbourg ou à Hong Kong. Pour inventer une nouvelle page de l’Histoire de notre pays nous avons besoin de tout le monde.