Diminution du dérèglement climatique, territoires préservés, changement des modes de consommation… Un monde sans énergie fossile est un monde où “sacrifices” et “sobriété” seront les mots d’ordre pour durer ! Un monde sans énergie fossile, c’est à en rendre marteau les plus puissants pollueurs de la planète. Mais visiblement, ils sont enfin prêts à sauter le pas. Ou alors, est-ce parce qu’ils n’ont plus vraiment le choix ?
La semaine passée, la COP 28 a rendu son verdict après une dizaine de jours de conférence à Dubaï. Le texte final a annoncé une “sortie progressive des énergies fossiles”, une décision jugée historique par les participants puisque jamais une COP n’avait évoqué la fin de ces énergies dans les ambitions mondiales. Du côté des experts et militants écologistes, cette décision a été au contraire âprement critiquée : “Progressif” ne précisant pas la temporalité de l’arrêt des énergies fossiles.
Mais se focaliser sur la terminologie est-il si pertinent puisque d’ici 2050, les stocks d’énergie fossile sont amenés à fortement diminuer. 2050, “c’est déjà demain” comme le veut l’expression, et l’économie mondiale est encore hyper-dépendante du pétrole, du gaz naturel ou encore du charbon.
Réinventer le modèle économique de l’énergie
La conséquence de la raréfaction de l’énergie fossile se traduira par des modèles économiques plus raisonnables. Ce que l’on appelle une économie de fonctionnalité, c’est-à-dire une économie qui préserve les ressources naturelles et qui priorise l’usage plutôt que la vente d’un produit.
Une économie sans énergie fossile est donc vouée, contrainte même, à s’adapter à de nouvelles formes “créatrices de plus de valeurs et qui stoppent la course au quantitatif” nous explique Xavier Pouria, expert en adaptation et atténuation au changement climatique. “L’adaptation n’est en rien une défaite, c’est juste factuel. Si on ne s’adapte pas, ça ne sert à rien de chercher à s’atténuer.” Il précise aussi qu’un monde “sans énergie fossile n’est pas un monde sans fossile”. Quand le pétrole en tant que ressource énergétique ne sera plus, il restera une source de production existante mais rare pour la pétrochimie, pour les médicaments et peut-être même encore pour le plastique.
Viser une stratégie énergétique sur le long terme
Un monde sans énergie fossile est un monde un peu trop utopique. Pourquoi ? Car il faudrait que les politiques mises en place soient réfléchies sur le long terme… À l’échelle de la France, les gouvernements se succèdent et aucun plan énergétique n’a été imaginé sur 30 à 40 ans, soit le temps qu’il faut pour que les choses se renouvellent. À l’échelle mondiale, il aura fallu 28 conférences sur le climat pour qu’enfin la sortie des énergies fossiles soit envisagée - et difficilement acceptée - .
À l’échelle européenne, en revanche, un changement commence à se dessiner. Un nouveau dispositif de la commission européenne pourrait d’ailleurs accélérer la transition énergétique chez les plus grandes industries installées sur le continent. Mise en application en 2023, la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) demande aux entreprises de plus de 250 employés et représentant un chiffre d’affaires de 40 millions d’euros - soit plus de 500 sociétés concernées - de fournir l’impact de leurs activités sur l’environnement, incluant le climat. La CRSD demande à l’entreprise d’évoquer publiquement pourquoi elle suit ou ne suit pas une trajectoire compatible avec un réchauffement de 1.5 degré (soit l’accord de la COP21 de Paris, ndlr).
Nucléaire, hydraulique, éolien, solaire… des alternatives à prioriser ?
Quoiqu'il arrive il faut réagir car le réchauffement climatique concerne le monde entier. D’ici 2050, ⅓ de l’humanité pourrait vivre dans des zones non habitables, trop arides et quasi invivables. Aujourd’hui, les zones désertiques représentent 1% de la surface terrestre. Elles pourraient passer à 20% de la planète, touchant en partie l’Inde, le Nigeria ou encore les Philippines. Malgré tout, chaque pays s’adapte aux solutions présentes sur son territoire. C’est le cas de l’Islande qui utilise 100% d’énergie renouvelable grâce à la géothermie et l’hydraulique, une abondance énergétique à pondérer aussi avec sa petite population de 370.000 habitants. Cette alternative de ressources ne se transpose malheureusement pas partout et ne “permettrait peut-être pas de répondre au besoin d’un pays comme la Belgique et ses 11 millions d’habitants” fait remarquer Xavier Pouria.
Du côté de l’hexagone, une France sans énergie fossile deviendra à court terme une France nucléarisée. Le choix d’une ressource limitée, non-renouvelable et qui oblige à stocker en profondeur ses déchets radioactifs sans savoir le danger pour les espèces futures. Le nucléaire ne peut qu’être “une énergie de transition” rappelle notre spécialiste et qui n’est pas utilisé par la plupart des pays du monde à l’heure actuelle. Derrière les Etats-Unis, la France est le 2e pays à posséder le plus de centrales nucléaires sur la planète (56 EPR) alors qu’elle relance sa filière dans ce domaine.
Hormis le nucléaire, les énergies fossiles laissent déjà leur place à différentes sources d’énergie renouvelables, que sont l’hydraulique, le solaire ou l’éolien. Si les deux dernières sont encore difficilement stockables mais rapides à construire ou à mettre en place, l’hydraulique semble détenir plus de certitudes dans une planète composée à 70% d’eau. Son principal défaut reste le bouleversement de l’écosystème engendré par l’installation de barrages ou d’hydroliennes. Quelque soit la stratégie des pays, la transition énergétique ne pourra se faire sans inconvénients.
Transport, agriculture, bâtiment… quel secteur va le plus en souffrir de la fin de l’énergie fossile ?
Le transport est le secteur par excellence qui va devoir inscrire le terme adaptation à son vocabulaire. Que ce soit en termes de circuits de vente ou de mobilité pour les populations, le transport est l'activité qui contribue le plus aux émissions de gaz à effet de serre (GES) en France, la deuxième dans le monde après la production d’électricité. Le transport vert s’imagine déjà. Les premiers tests de “l’avion du futur” et décarbonés arriveront dès 2025 chez Airbus. En termes de mobilité verte, le vélo se fait timidement une place dans les villes , particulièrement aux Pays-Bas, alors que la voiture électrique doit - elle - régler son problème d’autonomie pour pouvoir s’émanciper. Celui qui a le vent en poupe reste le train, qui n’échappera pas non plus à l’épreuve de l’innovation dans un monde sans énergie fossile.
Un autre secteur n’a pas le vent en poupe et est au contraire sujet à de nombreuses critiques : l'agriculture qui a causé depuis des décennies l'appauvrissement de la biodiversité et la destruction d'écosystèmes naturels. Les conséquences d’une ligne de conduite “sur-productiviste” répondant au cahier des charges mondial, à contre-courant de ce qui est désormais préconisé pour le bien-être de l’environnement.
Le bâtiment est la preuve même de la réussite d’une politique de longue durée et devrait inspirer les secteurs précédemment évoqués. En 1974, la première réglementation thermique est instaurée à la suite du premier choc pétrolier. Un événement qui déclenche. Après 50 ans de réglementation “de serrage de vis”, le bâtiment est désormais sobre et performant : “il y a eu une ligne très stricte mais aujourd’hui il y a des bâtiments neufs sortis du fossile. Avoir été visionnaire a tout changé” avoue Xavier Pouria.