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Français de l’étranger : des citoyens de seconde zone ?

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Écrit par Justine Hugues
Publié le 24 août 2019, mis à jour le 3 décembre 2020

Comment vais-je cotiser pour ma retraite en France ? Pourquoi dois-je faire l’avance des frais relatifs aux soins en France alors que je paie la CSG/CRDS ? A quel numéro puis-je joindre les services fiscaux ? Autant de problématiques du quotidien des expatriés que l’association Français du Monde- adfe a passé au peigne fin dans son baromètre. 

 

« Oui, c’est une enquête de plus, mais pas que, défend Claudine Lepage, sénatrice socialiste des Français établis hors de France et présidente de Français du monde-adfeLa situation des Français à l’étranger évolue tellement vite qu’il faut savoir sortir des sentiers battus »

En février dernier, l’association a lancé une enquête de grande ampleur, en collaboration avec Dauphine Junior Conseil. L’adfe était aux commandes des questionnaires et la junior-entreprise de l’Université Paris-Dauphine garante de la méthodologie statistique. Objectif : « prendre le pouls des Français de l’étranger, de leurs besoins et attentes », détaille Florian Bohême, membre du Conseil d'administration de l’association à l’origine de l’initiative. En un temps record, le duo institutionnel a reçu plus de 16.000 réponses, dont l’analyse vient d’être communiquée. 

Un chiffre phare - et pas des moindres : un répondant sur deux a des préoccupations relatives à son statut de Français de l’étranger. 

 

La retraite, préoccupation principale

 

La retraite, et notamment la reconnaissance en France ou dans le pays de résidence des points de retraite acquis en cotisant dans les différents systèmes locaux, est le principal sujet de préoccupation des Français de l’étranger, cité par 47% des répondants. Le système actuel de cotisation à la Caisse des Français de l’Etranger (CFE) est jugé beaucoup trop cher et très restrictif. 

L’accès aux soins (et leur coût) dans le pays d’accueil constitue la seconde priorité. L’obligation de faire l’avance des frais de soins en France en raison de l’absence de carte vitale et la non reconnaissance de la CFE dans les bases informatiques des établissements de santé est vécu comme d’autant plus injuste que les Français de l’étranger établis hors de l’Union européenne cotisent à la CSG/CRDS. 

L’éducation des enfants fait également l’objet d’inquiétudes, notamment quant à la possibilité de suivre un enseignement en français à l’étranger (soit parce qu’il n’existe pas, soit parce qu’il est trop cher), ou la difficile reconnaissance, par la France, des études suivies dans le système éducatif local. 

 

Problématiques communes

 

D’autres préoccupations concrètes sont abordées dans le baromètre telles que l’impossibilité d’avoir un compte bancaire en France pour certains non résidents, les problèmes de renouvellement de visa, les conséquences du Brexit, l’instabilité du pays de résidence ou encore la mauvaise perception des Français dans le pays (notamment dans certains pays d’Afrique ou en Italie).

Réparties équitablement entre tous les Français de l’étranger, quels que soient leur âge, catégorie socioprofessionnelle et la longueur de la vie à l’étranger, ces problématiques témoignent d’une réelle inquiétude partagée par une partie importante des citoyens hors de France. Citoyens qui sont, pour beaucoup, coutumiers de l’expatriation : 64 % vivent à l’étranger depuis plus de 10 ans et 36% depuis plus de 20 ans. 

 

 

« Ça déconstruit une bonne fois pour toutes le concept d’expatriation tel qu’on l’a connu »

 

Pour Florian Bohême, ces préoccupations concrètes sont corrélées à la proportion d’expatriés en contrat local - 42% dans le baromètre- toujours plus importante.  «  C’est la preuve concrète qu’on n’est plus sur le profil de l’expatrié envoyé par sa boite qui s’occupe de tout mais bien de l’immigré, présent sur le long terme, et qui doit gérer ses pépins de santé, prévoir son avenir, explique-t-il. Ça déconstruit une bonne fois pour toute le concept d’expatriation tel qu’on l’a connu ». 

Gaëlle Barre,  conseillère à l’Assemblée des Français de l’étranger et membre du bureau national de Français du monde-adfe assure, chiffres à l’appui, que «  non seulement les expatriés se sentent français, mais ils n’ont pas envie de rentrer en France demain ». 80% des répondants à l’enquête ne prévoient pas de rentrer en France ou sont indécis quant à la possibilité de retour. « Il va falloir mettre en place des politiques spécifiques pour ce public », recommande Florian Bohême. 

 

Sentiment d’abandon

 

« On constate avec amertume qu’il n’y a pas une ligne consacrée aux Français de l’étranger dans le compte rendu du grand débat, alors qu’ils se sont mobilisés » poursuit le Français établi au Cambodge. 

Le baromètre montre comment la complexité des démarches administratives, l’impossibilité de joindre les administrations en France, le fait de « ne rentrer dans aucune case » et de faire face à des fonctionnaires de manière générale incapables de comprendre les spécificités de leurs problèmes, affectent les Français de l’étranger. Ces derniers se sentent « moyennement bien représentés » par leurs élus, indique le rapport.  Même constat du côté des associations de Français de l’étranger, qui ne mobilisent que 30% de la communauté expatriée. 

Face à ce sentiment d’abandon et la peur de perdre des services publics de proximité, les questions de dématérialisation numérique –et d’illettrisme numérique – doivent faire l’objet d’une attention particulière, conseille l’adfe. « Comment va se manifester le lien avec la France si les services consulaires se coupent de tout contact avec les citoyens ? Si cela passe uniquement par un site Web quelques fois par an ? » interroge Florian Bohême.  

 

 

Lanceurs d’alerte

 

Comment garantir que ce nouveau baromètre ne vienne pas simplement gonfler la pile des dossiers gouvernementaux en attente de traitement ? « Aujourd’hui, on peut porter des préoccupations qui vont bien au delà de celles de nos quelques milliers d’adhérents, estime Gaëlle Barre. Cela nous confère une légitimité et une compréhension actualisée des enjeux, qui nous sera très utile dans notre quotidien d’association comme lors des prochains rendez-vous électoraux ». 

Pour Florian Bohême, les associations telles que l’adfe doivent être des « lanceurs d’alerte » à même d’informer les pouvoirs publics sur les inquiétudes des Français de l’étranger et « l’invisibilité permanente » dont ils souffrent. « Libre aux autorités de s’en saisir… ou pas » pointe-il. A l’heure d’une rentrée politique riche en réformes qui affecteront aussi nos concitoyens expatriés, le scepticisme règne. 

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