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Cédric Cannone parcourt 2100 km à pied pour porter la voix des personnes sourdes

Cédric Cannone s'est tracé un chemin sans bruit, mais avec une détermination qui résonne au-delà des mots. Sourd depuis sa naissance, il a trouvé une manière de faire entendre son message : des livres, une marche de 2.100 km entre Paris et Milan, et un combat pour la reconnaissance de la Langue des signes française (LSF).

Cedric Cannone à MilanCedric Cannone à Milan
Écrit par Liz Fredon
Publié le 14 octobre 2024, mis à jour le 15 octobre 2024

 

 

Dans le bruit ambiant, les personnes qui se font entendre sont souvent celles qui parlent le plus fort, qui portent leur voix au plus haut. Celles qui haranguent avec indignation, déclarent avec assurance, conversent à droite à gauche… Avoir une voix est l’outil le plus précieux pour porter un message. Mais sans voix, sans oreilles, le courage pour se faire entendre revêt une admiration encore plus profonde.

Cédric Cannone est sourd, mais son message, il le porte haut ; suffisamment haut pour faire changer le regard sur son handicap ; suffisamment pour espérer rencontrer le Président de la République française en personne.

Cédric vit à Poitiers depuis sa naissance, il y a 46 ans. Au moment de la pandémie de la covid 19 en 2020, le confinement lui donne l’opportunité d’écrire deux livres, Le Silence du Girafon et La Girafe au Grand Cœur. Le premier ouvrage traite de la problématique de l’éducation au sein de la famille, de l'école spécialisée pour sourds et de l'intégration en école entendante. Le second ouvrage aborde son propre parcours de vie et témoigne de la société, d'une portée plus ample. Il narre son expérience de privation de langage — la Langue des signes française (LSF) — pendant près de 43 années. Dans son enfance, Cédric est forcé d’apprendre à parler comme un entendant, avant de connaître la LSF.

 

"Dans mes deux livres, je raconte mes histoires difficiles, notamment en ce qui concerne l'éducation et la société entendante. Je m'engage toujours à trouver des solutions pour m'adapter et avancer."

 

 

Son combat pour la reconnaissance de la Langue des Signes Française

 

Dans le livre La Girafe au Grand Cœur, le personnage Patrick Belissen - qui a créé l’association OSS 2007 - se prépare pour une marche de Paris à Milan afin d'interpeller le gouvernement et demander l'inscription de la LSF dans la Constitution. Il est motivé par le manque d’accessibilité et les graves problèmes dans l’éducation. Malheureusement, le gouvernement n'a pas pleinement pris en compte ces besoins, et les choses n'ont pas évolué.

Le 18 mai 2024, Cécric Cannone réalise le projet de son personnage : il part de Paris, traverse la France et arrive le 22 juin 2024 à Milan. Il revient chez lui à Poitiers le 30 juillet, après avoir parcouru 2100 km à pied afin de se faire entendre du gouvernement. Milan est un véritable symbole pour la communauté sourde, la ville lombarde ayant interdit la langue des signes en 1880.

 

“Je souhaite simplement que la société évolue pour mieux répondre à leurs besoins.” - Cédric Cannone.

 

Son objectif ultime : rencontrer le président de la République, ainsi que le député de la Vienne, Sacha Houlié. Ce rêve, Cédric le nourrit depuis son enfance.  « J'ai déjà envoyé mes deux livres accompagnés d'une lettre solennelle. Lors de cette rencontre, je m'exprimerai en LSF pendant un court moment, et j'inviterai également des associations essentielles qui réclament des changements depuis plusieurs années. »

En mai 2024, Sacha Houlié lui répond. Cédric attend maintenant de le rencontrer pour lui faire entendre son message et exprimer ce qui, selon lui, devrait changer, avec, en haut de la pile l’inscription de la langue des signes dans la Constitution. Ce changement permettra un meilleur accès à une éducation bilingue dès le plus jeune âge, une amélioration de l'accessibilité des services publics et privés, un soutien à l'insertion professionnelle avec des environnements de travail plus inclusifs, et un changement des mentalités en légitimant la LSF comme une langue à part entière : le tout pour une meilleure inclusion des personnes sourdes dans la société. C’est ce que proclamait la bannière accueillant Cédric Cannone à son retour triomphant : « Langue des signes dans la Constitution = citoyen à part entière ».


 

Affaires de randonnées

 

 

 

Un parcours éprouvant et symbolique

Lors de ce voyage à travers la France, la démarche de Cédric est accueillie avec beaucoup de positivité, de solidarité et d’admiration. Les messages de remerciements reçus montrent que son périple et ses livres contribuent à réparer des liens et à initier des changements. Il documente ses journées sur Facebook, Instagram et Tiktok, immortalisant ses semaines de marche. Sur Facebook, 1.800 personnes soutiennent le pèlerin sur sa page Être privé de langue maternelle LSF.

Le long chemin parcouru par Cédric Cannone entre Paris et Milan est bien plus qu’un défi physique. C’est un parcours symbolique, une extension de sa vie, de ses livres, et de son combat. À travers chaque pas, il a tracé les contours d’une histoire qui mérite d’être entendue.

Comme dans ses récits, cette marche l’a confronté à des obstacles inattendus. Seul sur la route, Cédric marche 30 km par jour à travers trois pays – la France, la Suisse et l’Italie – parfois sous des conditions météorologiques éprouvantes. Le sol, inégal et hostile, ses pieds douloureusement meurtris, fatigue envahissant corps et esprit : il nous raconte que trois fois, il a failli abandonner. Pourtant, à chaque étape, il choisit de continuer.

"Je n'aime pas particulièrement la randonnée", confie-t-il. "Mais j'ai refusé d'abandonner, car mon objectif essentiel était de montrer mon courage et de sensibiliser le public entendant à ce dont je suis capable. Mon caractère a montré que je ne lâche jamais, en protégeant notre communauté des sourds."

Cédric a trouvé une forme de résonance entre ses écrits et cette aventure. Comme il l’exprime, marcher chaque jour revenait à raconter les histoires de ses livres, à revivre ces moments où il a dû s’adapter, trouver des solutions pour surmonter les difficultés liées à sa surdité et à la méconnaissance de la LSF.

 

 

"On est frères."

L’un des moments les plus marquants de ce périple est une rencontre singulière avec un inconnu. Alors que le soleil commençait à décliner, Cédric cherche un endroit pour monter sa tente. Un homme l’accueille avec bienveillance dans son jardin pour la nuit. Ne parlant pas la langue des signes, ils échangent à travers des écrits sur papier et Google Traduction, partageant des histoires, des détails sur le défi de Cédric, et ses deux livres.

À la fin de leur échange, cet homme insiste pour que Cédric dorme dans son studio plutôt que dans sa tente. Bien que Cédric refuse poliment, une phrase marque cet instant :

"On est frères."

Ces mots ont une résonance particulière. Ils ne sont pas seulement une invitation à partager un toit, mais une reconnaissance de son combat. Ce monsieur et sa femme, touchés par l’histoire de Cédric, sont allés plus loin en achetant Le Silence du Girafon pour mieux comprendre la culture sourde et l’expérience de leur hôte.

 

"Cela m'a profondément touché. Cela prouve que les entendants peuvent m'écouter, s’impliquer et participer à mon combat."

 

Ce moment de fraternité renforce la conviction de Cédric : son histoire peut toucher les entendants, les amener à voir au-delà de la barrière de la langue, et les encourager à participer activement au changement.

 

 

Un message pour les médias et les décideurs politiques

Le message est fort, mais pour qu'il résonne pleinement, il serait souhaitable que les médias relaient l’histoire de Cédric, sensibilisent les décideurs et les incitent à ouvrir la voie à de véritables évolutions. L'écoute et l'inclusion doivent devenir des priorités.

La radio, la télévision et la presse écrite gagneraient à adapter leurs contenus avec des sous-titres, des interprètes en LSF, et des formats accessibles, afin que les personnes sourdes puissent accéder à une information complète et être pleinement intégrées dans la société.

 

« Je refuse de rester les bras croisés, car il est impensable que notre communauté des sourds disparaisse un jour. Il est donc impératif d'agir dès maintenant. » - Cédric Cannone

 

Selon le voyageur, c’est également au tour des politiques d’initier de véritables changements pour la communauté sourde. Si cette dernière s'est éveillée dans les années 80’, et lutte depuis pour la reconnaissance, il reste un long chemin à parcourir. 

« Mon message aux décideurs serait simple : écoutez notre communauté et engagez des actions concrètes pour garantir nos droits, car l'inclusion de la LSF dans la Constitution est essentielle pour notre égalité et notre participation pleine à la société. » - Cédric Cannone

Cédric Canonne redouble aujourd’hui de créativité pour faire entendre sa voix. Son message doit trouver les bons interlocuteurs, les marquer afin d’initier de véritables changements.

« Mon objectif est de rendre mon combat visible, malgré le fait que les entendants ne nous voient pas toujours clairement. Cependant, je ne lâche rien. Je suis déterminé et motivé à poursuivre cette lutte jusqu'au bout, car il est essentiel que notre communauté soit reconnue et entendue. Je continue également à soutenir toutes les associations essentielles qui se battent depuis des années pour les droits des sourds. »

 

Cedric Cannone la main sur le coeur

 

 

Une vision renouvelée du combat

Après une telle expérience, Cédric a vu son engagement sous un nouveau jour. Ce long voyage, ponctué de difficultés, mais aussi d’une immense solidarité, a ravivé son espoir en l’humanité.

"Je veux rendre mon combat visible. Même si les entendants ne nous voient pas toujours clairement, je continue de croire que nous pouvons changer les choses."

Après une telle marche, Cédric a-t-il de nouveaux projets pour poursuivre la sensibilisation à la cause des sourds ? Sans dévoiler tous les détails, il laisse entrevoir une idée ambitieuse :

"J'ai déjà une idée de projet surprenant, mais je préfère la garder secrète pour le moment. Ce sera un défi difficile, mais je ne lâcherai rien tant que je n'aurai pas été entendu par le gouvernement."

Dans sa marche, Cédric Cannone a montré que la surdité n’est pas une limite, mais une forme de communication, de courage, et de persévérance. Son combat pour la reconnaissance de la LSF continue, et, comme il le dit si bien, il ne lâchera rien tant que sa voix n’aura pas été pleinement entendue.

 

 

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