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Olivia Mvondo brise le tabou des règles en Afrique

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Sensibilisation sur les bonnes pratiques en matière d'hygiène menstruelle en camp de réfugiés
Écrit par Alhéna Domela
Publié le 7 mars 2019, mis à jour le 4 mai 2022

Une Africaine sur 10 ne va pas à l’école pendant ses règles. Interpellée par ce sujet tabou lors de son expatriation au Cameroun, Olivia Mvondo décide de créer une entreprise pour produire des serviettes hygiéniques réutilisables. Très engagée, elle complète son action avec des « causeries éducatives » dans les écoles, les prisons et les camps de réfugiés. Elle est lauréate du Trophée Education des Trophées des Français de l'étranger 2019.

Serviettes hygiéniques trop coûteuses, sanitaires peu adaptés, sujet tabou…. De nombreuses jeunes Camerounaises sont privées d’école et condamnées à rester chez elles pendant leurs règles. Vieux chiffons, feuilles sèches, bottes d’herbes : telles sont leurs méthodes de substitution pour remplacer les protections hygiéniques classiques. Olivia Mvondo découvre cette réalité lors de son expatriation en Afrique.

En 2009, cette cheffe de projet quitte Grenoble pour suivre son mari en Ouganda, avec sa fille de deux mois. A son arrivée, elle créé une marque de tabliers destinés aux touristes. Mais durant son séjour à Mbarara et plus particulièrement pendant ses vacances au Cameroun, Olivia Mvondo se rend compte d’une véritable injustice : « La jeune fille, en raison du coût élevé des protections hygiéniques jetables ou du manque de sécurité que peut procurer un tissu quand on a ses règles, est obligée de rester à la maison et de manquer l’école », explique-t-elle. Cette situation creuse les inégalités entre les filles et les garçons.

Après de nombreuses recherches sur le sujet, la Française découvre une petite structure en Ouganda, spécialisée dans la création de serviettes hygiéniques réutilisables. « Ne pourrait-on pas répliquer le même type d’initiative au Cameroun ? », se demande-t-elle. Cette idée ne la quitte plus. Elle la présente aux trois futurs cofondateurs : « Ils ont trouvé l’idée intéressante, originale et même porteuse. On a décidé de se lancer dans une belle aventure ! ». Ainsi est née Kmerpad, une entreprise dédiée à la création de protections hygiéniques lavables.

« Le lavable n’a pas bonne réputation »

 « Dans ce pays, et même dans le reste du monde, c’est un sujet que l’on n’aborde pas comme ça avec n’importe qui. C’est un sujet qui rencontre encore beaucoup de gêne », confie Olivia Mvondo. Lors du lancement de Kmerpad au Cameroun, il a fallu convaincre. Son idée de serviettes hygiéniques réutilisables ne remportait pas l’unanimité auprès des femmes. « Le lavable n’a pas bonne réputation. Pour ceux qui ne s’y connaissent pas beaucoup, ils pensent que ce n’est pas hygiénique alors que ça l’est beaucoup plus que du jetable. C’est comme porter des sous-vêtements », explique-t-elle.

Sept ans plus tard, la cheffe d’entreprise a vu les Camerounaises changer d’avis : « On a eu le temps d’avancer et de créer une petite communauté. Des personnes sont totalement convaincues que c’est l’avenir ». Plus de 200.000 serviettes hygiéniques de la marque FAM ont été vendues. Elles s’exportent à présent dans de nombreux pays d’Afrique tels que le Sénégal, le Bénin ou la Mauritanie. S’il est vrai qu’elles sont disponibles dans certaines pharmacies et supermarchés, les principaux clients restent les organisations internationales.

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Briser le silence par l’éducation

Olivia Mvondo n’imaginait pas se lancer dans un tel projet sans mettre en place un programme éducatif. Au contact des femmes et des filles, elle s’est aperçue d’un véritable manque de connaissances de leurs corps. Afin d’apporter une certaine science sur les règles, la trentenaire n’a pas hésité à faire plus de 10.000 kilomètres en deux ans dans tout le pays pour aller à la rencontre des femmes dans les écoles, les prisons et les camps de réfugiés. Il lui fallait dans un premier temps briser le silence sur ce sujet tabou et leur expliquer le fonctionnement de leur cycle menstruel. Elle leur présentait également toutes les protections hygiéniques existantes et les manières d’éliminer en toute sécurité les déchets. « A la fin de ces discussions, beaucoup de ces jeunes ont encore tellement de questions à poser autour de ça. C’est vraiment génial ! », s’enthousiasme Olivia Mvondo.

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Les règles de la liberté

Chaque mois, 4.500 serviettes hygiéniques sont produites chez Kmerpad par une quinzaine de personnes au Cameroun. Cette entreprise locale a permis à une vingtaine de femmes de devenir autonomes. Par exemple, des couturières ont pu ouvrir leur propre atelier et travaillent aujourd’hui pour Kmerpad en freelance. Au total, ce sont plus de 35.000 personnes qui ont été directement impactées par l’action d’Olivia Mvondo, sans compter ses différentes interventions dans les médias et sur internet. De nombreux projets sont à l’étude pour Kmerpad : « Notre projet, c’est de pouvoir changer d’échelle. Nos clients sont de plus en plus nombreux donc on souhaiterait pouvoir augmenter notre capacité de production. Une fois qu’on aura la capacité de produire plus, on pourra autonomiser plus de femmes », explique-t-elle.

L’engagement d’Olivia Mvondo a fait l’objet de nombreuses récompenses au Cameroun, en Suisse et en France. Elle avait notamment été la lauréate en 2015 du dispositif « La France s’engage au Sud » et avait été reçue à l’Elysée par François Hollande. Elle est aujourd’hui finaliste pour le prix des Trophées des Français de l’étranger. Le palmarès sera dévoilé le 12 mars au Quai d’Orsay.

 

Photo Alhéna Domela (1)
Publié le 8 mars 2019, mis à jour le 4 mai 2022
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