Puriste rebelle, sacré Meilleur Ouvrier de France chocolatier en 2000, Patrick Roger n’a pas sacrifié l’authenticité et la subtilité de ses chocolats. Exigeant, passionné, travailleur acharné sans vernis, l’artiste est à l’image de ses sculptures : audacieux, sensible et atypique.
Quand l’école cède le pas à la révélation
Rien ne prédestine le jeune Patrick à entrer dans le monde du chocolat. Au Poislay, son village natal de 80 âmes situé au fin fond du Perche, travailler dans le chocolat est utopique. Au fournil, à la rigueur puisque ses parents tiennent la boulangerie du village. Mais avant il faut travailler studieusement à l’école, et ce n’est clairement pas sa priorité. Au Poislay, il s’ennuie terriblement alors heureusement, il y a les copains et le championnat de moto-cross une fois par an, un rituel-passion qu’il entretient avec son père depuis le plus jeune âge.
« C’est une enfance paisible. On passe notre vie dehors. Mes parents travaillent du matin au soir. Nous sommes en liberté totale, nous sommes des enfants de plein air et après je deviendrai un chocolatier de plein air. Chose que j’ai toujours revendiquée. On mangeait très bien, il ne se passait pas grand-chose … On a jamais pris l’avion, on ne voyait jamais de Noir, pas de feu rouge, pas de château, pas de rivière, rien. C’était le monde du “rien”, cette époque. C’était extrêmement paisible. Mes parents m’ont appris deux choses essentielles : la valeur du travail et celle des bonnes choses : on mangeait comme des dieux à la maison et tout venait du jardin », raconte-t-il.
Scolairement, il s’oriente en 3e vers la pâtisserie ; en attendant d’acheter la moto de ses rêves, il reçoit de ses parents une 125 cm3 pour se rendre à son stage à Châteaudun. Alors qu’il était à la traîne dans le cursus scolaire habituel, en moins de trois mois, il devient premier. La formation est rude et les patrons aussi. Il s’accroche et ça paie. Deux ans plus tard, le coup de pouce du destin frappe à sa porte. Pierre Mauduit, célèbre pâtissier - traiteur, également originaire du Perche, embauche les deux meilleurs apprentis de chaque région, et décide que ce sera lui.
Chocolat mon amour
Chez Pierre Mauduit, Patrick Roger est mis d’office à la pâtisserie. Mais le jeune homme dont l’esprit rebelle a repris le dessus, ne s’imagine pas fabriquer des religieuses et des éclairs à longueur de journée, et il a du mal à le cacher. Pour le punir de son manque de motivation, direction la chocolaterie. Dès le premier contact avec le chocolat, c’est la révélation. Véritable coup de foudre pour la matière qui l’incite à se dépasser. De cette fusion entre la matière et Patrick naissent des gestes précis et justes. A ce moment-là, on lui confie des tâches minutieuses et des pièces artistiques comme le décor de scènes, façon ancienne usine à l’abandon pour Serge Gainsbourg, la raquette géante de Noah cassée en trois secondes pour être dévorée et les puzzles en chocolat destinés à Jean-Paul Gaultier.
Tout est remis en cause avec le service national qu’il effectue dans un camp semi-disciplinaire. Mais pour ne rien perdre de cette année, Patrick profite de ses permissions et, de retour chez ses parents, tire le meilleur en apprenant encore et encore : reproduire les gestes pour ne rien oublier, pour s’améliorer, pour s’exprimer.
Pendant dix ans, Patrick Roger va tout faire pour garder la tête hors de l’eau. Son but : trouver un poste de chocolatier mais la micro-niche n’offre que peu de débouchés. Ce sera « La Chocolaterie de Monaco » à raison de 400 heures par mois puis direction la Suisse près de Lausanne. Glacier le jour, serveur dans un restaurant gastronomique le soir, tout en préparant des chocolats pour la boulangerie de ses parents. En parallèle il s’inscrit au Concours National de Romorantin, catégorie chocolat. Inconnu de tous, il se prépare tout seul, décroche la 4ème place et se voit confier pour une saison un poste de chocolatier chez Ménard à Tours. Il entre enfin dans la cour des grands. Peu après il retentera le concours de Romorantin dont il raflera cette fois la première place. Qualifié pour le Grand Prix International du Chocolat il remporte le défi grâce à l’Amazone, une demie sphère dans les tons vert au chocolat croquant, un savant mélange de citron vert du Brésil et de caramel.
1997 marque son installation à Sceaux. Dès les premiers jours ses chocolats font recette. Trois mois plus tard, dix-huit personnes travaillent à ses côtés. C’est Noël, les clients sont déjà accros aux petits rochers pralinés et patientent pour se faire servir tout en admirant les œuvres chocolatées de l’artiste exposées dans les vitrines. De véritables œuvres d’art mêlant sculpture et architecture, sorties de l’imagination, du cœur et des mains du « cancre » du Poislay.
En 2000, il remporte le titre de Meilleur Ouvrier de France Chocolatier. Pour se qualifier, il présente une sculpture en chocolat appelée Harold, un planteur sud-américain accroupi qui travaille le cacao. Détail de taille : le colosse de 62 kg ne tient que sur la pointe des pieds ! Une véritable prouesse qui laisse le public sans voix.
En 2009, il quitte son atelier de 40 m2 devenu trop exigu et s’installe dans son nouvel atelier à Sceaux. 700 m2 sont dédiés à la confection des chocolats, à la création de nouvelles recettes, sans compter la partie artistique où naissent les sculptures en chocolat les plus rocambolesques.
Je suis en création constante
Quand on lui demande où il puise son énergie créatrice, il est clair : « Sans coach, sans coaching. Je déteste que l’on formate les gens et souvent je reprends la formule de Yohann Diniz : “le jour où on l’a laissé il est devenu Champion du Monde”. C’est la chance que j’ai eue, de pouvoir rester moi-même et de puiser dans mon fort intérieur, dans ce qui m’habite profondément. Ce côté naïf est très important, c’est une richesse à part entière. La difficulté dans la vie, c’est de conserver cette naïveté. »
Pâques arrive bientôt et ce ne sera pas sans surprise chez le choco-sculpteur : « Je prépare plein de jolies choses, ça déborde et ça dérive. C’est Pâques Racing ! Le Rugby, en même temps, on a un peu du drapeau du Mexique, le tout proche de la haute couture. La poule de Pâques est devenue bleue, c’était donc évident que l’on se retrouve à Marseille au Vélodrome. Pâques c’est aussi l’histoire du canard qui entre dans la poule, alors que la poule est dans l’œuf, dans la plume.... Vous verrez. Je suis en création constante. Dès que c’est pensé, c’est déjà fait ! »
Patrick Roger n’a pas de rêve précis pour l’avenir, pour lui tout est possible. « Je souhaite continuer à créer en toute liberté et faire partie de la minorité qui décide de la suite, peut-être.»