Le biopic est un genre cinématographique que nous avons dégusté à toutes les sauces en 2023. Des succès au box office avec Oppenheimer et Napoléon jusqu’au dur combat de l’Abbé Pierre en passant par la comédie Bernadette, les écrans se sont éclairés aux lumières de personnalités célèbres. Et cela n’est pas prêt de s’arrêter. C’est ce qui nous a poussé à nous interroger sur l’histoire du biopic avec trois experts en la matière. Moteur, action !
Sorti sur la plateforme Netflix le 20 décembre, le film Maestro retrace la vie et l’art du compositeur américain Leonard Bernstein, peu connu du grand public malgré sa célèbre œuvre musicale West Side Story. Pour son second film à la réalisation, Bradley Cooper a ainsi fait le choix du film biographique pour narrer un nouveau récit terriblement émouvant. Il vient de clôturer une année 2023 riche en biopic. Mais cette cuvée n’est pas une exception.
Le biopic remonte aux origines du cinéma. Dès 1895, le film biographique voit le jour avec L'Exécution de Marie, reine des Écossais de William Heise et de Cléopâtre un peu plus tard (1899) de Georges Méliès. Se distinguant du film documentaire par son aspect fictionnel et romancé, il devient un genre cinématographique populaire et qui ne cesse de plaire aujourd’hui.
Biopics, les raisons d’un succès
Pour les spectateurs : “une fenêtre sur le réel”
Encore plus que les films d'action, le biopic est le genre cinématographique qui sait mettre en valeur le personnage pour porter son récit. Peu importe son degré de célébrité, le personnage devient un super-héros, sa vie quotidienne est embellie, ses qualités intrinsèques sont exagérées. C’est ce que décrit le critique cinéma N.T. Binh : “on va gommer ou atténuer fortement tous les aspects négatifs. Et puis on va montrer quelqu'un qui est très idéalisé et qui devient un modèle.” Le public voulant ainsi comprendre la recette du succès, savoir comment le personnage est devenu “quelqu’un que tout le monde connaît”.
Ce procédé narratif propre au biopic induit un sentiment d'appartenance chez les spectateurs qui les poussent à aller voir le film. N.T. Binh poursuit : “sa vie a l’air réelle et cela vous projette dans des fantasmes.” L’effet d’identification est encore plus fort, c’est ce qui facilite l’adhésion du public à l’histoire et provoque même une grande curiosité : “On va vous raconter ce que vous ne savez pas, les coulisses” complète le critique ciné “et cela intrigue le voyeur qui est caché dans l’esprit du public. C’est comme si un prestidigitateur montrait ses combines magiques.”
Pour leurs créateurs : “la garantie de faire des entrées”
“Le biopic est une valeur à privilégier pour les studios” explique Achilleas Papakonstantis, historien du cinéma et responsable à la cinémathèque suisse. Comme de nombreuses industries, celle du cinéma n’a pas été épargnée par quelques crises. Le mouvement #MeToo, le Covid, la grève à Hollywood, l’arrivée massive du streaming… Des difficultés récentes qui obligent le cinéma et ses créateurs à s'appuyer sur des valeurs économiques certaines qui ont fait son succès. Le biopic est une de ses options : “En règle générale, c'est un film à gros budget avec des stars pour jouer les premiers rôles. Le biopic rassure et attire des investissements financiers conséquents.”
En s’inspirant des aventures de personnes qui ont réellement existé, on pourrait penser que les scénaristes, producteurs ou réalisateurs préfèrent la simplicité à inventer de A à Z un nouvel univers fait de personnages fictifs. Peut-être est-ce le cas parfois, peut-être aussi est-ce l’occasion pour les créateurs de proposer leur propre vision du personnage. Ce n’est pas un documentaire alors il n’y a pas vraiment de limite à fabuler. Illustration parfaite avec le biopic semi-autobiographique de Steven Spielberg The Fabelmans qui ajoute de l’imaginaire à une vie peu palpitante : “cela nous permet de rêver” assure N.T. Binh.
Ces choix de créateurs peuvent devenir risqués et rendre le biopic problématique. C’est ce que nous fait remarquer David Da Silva, historien du cinéma et enseignant : Car il est “inspiré de faits réels” - c’est d’ailleurs un outil promotionnel - si son auteur manipule des faits pour s’adapter à une idéologie, les spectateurs du biopic pourraient “prendre pour argent comptant” ce qu’ils voient à l’écran. Comme si c’était une biographie du personnage.
Le biopic reste plus “la garantie du succès qu’une prise de risque” pour les créateurs selon Achilleas Papakonstantis mais cela ne l’empêche pas de s’attirer les critiques. Le Napoléon de Ridley Scott en est le parfait exemple. Personnage historique, qui comptabilise une trentaine de biopics à son effigie, n’a pas du tout fait l’unanimité en France lors de sa dernière représentation au cinéma. Réalisé par un britannique et produit à l’américaine, le Napoléon de Ridley Scott a autant séduit par ses scènes de batailles spectaculaires qu’il a déplu pour ses fautes historiques. Il n’empêche que ce dernier Napoléon - présentant des événements datant de plus de deux siècles avec un regard contemporain - a réussi à conquérir le box-office avec 1,5 million d’entrées en France.
Le biopic, seulement une passion occidentale ?
Le film biographique passionne partout dans le monde. Il n’est pas réservé qu’au blockbuster hollywoodien ou aux films d’auteurs européens, le biopic est au contraire “universel” comme le définit David Da Silva. “Il suffit de voir les films qui ont cartonné en Chine ces dernières années : ceux de la saga Ip man.” Soit le récit de la vie du maître Wing Chun qui a enseigné l’art du Kung-Fu à Bruce Lee. Il poursuit : “les fils dérivés de ce personnage historique ont été des très grands succès même s’ils sont très farfelus. Ils ont créé un mythe, Ip man n’a plus rien de réel.”
Pour N.T. Binh aussi, “tous les cinémas du monde font des biopics” puisque “toutes les cultures et toutes les religions idéalisent des figures célèbres” fait-il remarquer. Cette fois, nous partons en Inde avec le film Light of Asia - Lumière de l’Asie - qui est un biopic historique sur Bouddha : “le cinéma idéalise et défie les personnages historiques. Je pense que c’est quelque chose qui existe dans tous les pays qui ont une production cinématographique conséquente.”
Le biopic a-t-il évolué ?
Les décennies passent et la question de l’évolution des biopics se pose. Ce qui plaisait et qui était encore accepté hier est-il différent d’aujourd’hui ? À cette question, nos experts sont unanimes : “le biopic n’a pas tellement subi de changement” les époques passant.
Ce qui a pu changer, ce sont les techniques filmiques et le langage cinématographique mais pas vraiment l’essence du biopic. “Il s’adapte aux mœurs de l’époque” confie David Da Silva. Il poursuit “on va accentuer ou effacer des aspects du personnage selon les époques et selon ce que le public accepte ou non.” Sans se concerter, notre professeur et notre critique cinéma illustrent leur propos avec un exemple similaire, le tabou de la sexualité du personnage.
“Dans le biopic d’Alexandre le Grand datant de 2004, son réalisateur Oliver Stone évoque la bisexualité du roi, mais elle est cachée dans le précédent biopic de Robert Rossen de 1956” présente l’enseignant en cinéma. Dans le prochain film d’Olivier Py, Le Molière imaginaire, son réalisateur ruse pour présenter la bisexualité de Molière, quasiment jamais abordée parmi ses nombreuses biographies. N.T. Binh : “On ne connaît pas beaucoup de choses sur sa vie privée et Olivier Py prend un élément à moitié fictif de la vie du dramaturge. Et en même temps, le réalisateur se met un alibi en appelant son film Le Molière Imaginaire qui est aussi une référence à sa pièce.”
Le biopic de 2020 donne ainsi l’impression d’oser aborder des sujets qu’il préférait ne pas évoquer en 1950. En fait, le biopic fait résonner un événement du personnage historique avec quelque chose qui fait écho dans le monde d’aujourd’hui. De trouver un parallèle, un sens avec la société actuelle. Et pour cela, il n’y a parfois pas besoin que les époques soient trop éloignées… En 2022, le film Elvis de Baz Luhrmann sort sur les écrans avec un scénario qui se centre sur la relation entre le chanteur star et celui qui l’a façonné, l'influent colonel Parker. Début 2024 sortira un nouveau film biographique lié à Elvis Presley, Priscilla de Sofia Coppola. Cette fois, la caméra se tourne principalement sur la rencontre amoureuse d’Elvis - 24 ans - avec la collégienne Priscilla et l’histoire d’une adolescente effacée, propulsée épouse d’une star mondiale.
À quoi s’attendre à l’avenir ?
Le biopic a de très beaux jours devant lui, “il ne va jamais perdre les faveurs du public” lance même Achilleas Papakonstantis. Une conclusion simple et loin d’être anodine. À la différence du Western ou de la comédie musicale, le biopic survit et n’a pas vraiment besoin de se réinventer pour perdurer - aussi critiqué soit-il.
Au sein d’une sphère cinéma hautement concurrentielle depuis les années 2010 et l’arrivée d’une multitude de plateformes de streaming, il est plus que jamais important d’avoir des garanties économiques. C’est encore plus vrai lorsqu'en 2023, après plus de 200 jours de grèves des scénaristes et acteurs à Hollywood suivi en France d’une grève des techniciens de l’audiovisuel.
Qu’il se présente sous forme de film ou de série, le biopic plaît à ceux qui le regardent mais surtout à ceux qui le font. Extrêmement tendance, le format sériel pour le biopic est d’ailleurs exposé comme “idéal pour raconter et passer par toutes les étapes de la vie de quelqu’un” par N.T. Binh. Cela a été le cas avec le succès de The Crown, où des actrices différentes se sont succédées pour jouer la reine Elizabeth II. Peter Morgan, scénariste de la série, avait précédemment écrit le film The Queen (2006), retraçant les rapports politiques de la reine et du gouvernement britannique. Pour The Crown, il a pu en 6 saisons et 60 épisodes bénéficier de davantage de temps pour développer son histoire de la famille royale.
Dans les salles ou chez soi, en film ou en série, qu’il soit d’aventure, dramatique, comique ou satirique, ce genre tombe toujours à pic. Plusieurs biopics sont déjà attendus avec impatience, notamment ceux des artistes chanteurs Bob Marley, Charles Aznavour, Amy Winehouse et peut-être même sur le roi de la pop, Michael Jackson.